Réalité virtuelle : le "métavers" de Facebook, pari fou ou coup marketing ?

En ressuscitant le mot "métavers" issu de la science-fiction des années 1990, Facebook a réussi à susciter l'engouement autour de la nouvelle relance de son activité dans la réalité virtuelle (VR), amorcée en 2014. Persuadé de longue date que cette technologie est le futur des interactions sociales, Mark Zuckerberg a annoncé 3 milliards de dollars d'investissements dans la réalité virtuelle et le recrutement de 10.000 personnes en Europe dans les cinq prochaines années. Suffisant pour enfin trouver le succès ?
François Manens

« Métavers », le mot tech de l'année 2021 ? Tombé en désuétude ces 15 dernières années, ce terme issu de la littérature de science-fiction des années 1990 revient en grâce ces derniers mois sous la plume de plusieurs gourous de la Silicon Valley.

Au centre de ce nouvel engouement se trouve Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook. En juin, le célèbre dirigeant a accordé une interview rare au site The Verge, pour présenter au public les contours d'un métavers made in Facebook. Au fil de l'entretien, le milliardaire américain décrit un « Internet incarné », où l'utilisateur serait projeté dans le contenu. Pour obtenir la définition concise, il faut se tourner vers un article publié par l'entreprise fin septembre : « Le « métavers » est un lot d'espaces virtuels où vous pouvez créer et explorer avec d'autres personnes qui ne sont pas présentes dans le même espace physique que vous ». Ou l'apologie d'un monde parallèle virtuel, dans lequel les barrières physiques n'existent pas, et où l'on peut prendre un café dans un environnement plus vrai que nature avec une personne à l'autre bout du monde.

Oculus, géant d'un tout petit secteur

Si Zuckerberg lui-même se mue en porte-parole du métavers, c'est parce qu'il compte placer le concept au cœur de la stratégie de développement de l'entreprise. Dans la vision du dirigeant, la réalité virtuelle (VR) a vocation à s'imposer comme la « technologie qui délivre la forme la plus claire de présence ». Autrement dit, la réalité virtuelle est nécessaire pour atteindre le sentiment immersif nécessaire à la création du métavers.

Les annonces de Mark Zuckerberg de cet été sont-elles vraiment majeures, ou s'agit-il d'un nouvel emballage marketing pour relancer son activité autour de la réalité virtuelle? La vérité se situe certainement entre les deux. Car Facebook croit énormément, et depuis longtemps, en la réalité virtuelle. En 2014, le géant des réseaux sociaux a dépensé 2 milliards de dollars pour s'offrir l'entreprise pionnière du secteur, Oculus. Aujourd'hui intégrée à la division « Reality Labs », la marque est la première du marché des casques, d'après Counterpoint, devant Sony, HTC ou encore DPVR. Son dernier modèle de casque écrase même la concurrence avec 75% de parts de marché depuis le début de l'année 2021.

Mais, malgré les espoirs de Facebook, Oculus n'a pas suffi à déclencher l'engouement du grand public, ni celui des entreprises. En 2017 par exemple, Facebook annonçait l'objectif extrêmement ambitieux de convertir « 1 milliard de personnes à la réalité virtuelle ». Pour y parvenir, il espérait que la détonation viendrait du « Oculus Quest », un nouveau modèle de casque débarrassé des fils encombrants et de la nécessité de se brancher à un ordinateur. Bref, un casque de VR, plus petit et pratique, qui se suffit à lui-même. Petite révolution dans le secteur, le Quest a permis de tripler le nombre de ventes de logiciels VR, mais il n'a cependant pas suffi à faire exploser le marché, la faute, entres autres, à un manque d'applications.

De même, son successeur, le Quest 2, sorti fin 2020, a beau écraser les records de ventes du groupe, il ne s'est écoulé qu'entre 5 et 8 millions d'exemplaires, selon différentes estimations. Loin de l'objectif pharaonique de Zuckerberg. Autrement dit, même si le secteur de la réalité virtuelle affiche une croissance rapide et à deux chiffres, cette technologie reste un phénomène de niche et doit plutôt être rangée, à ce jour, dans le camp des déceptions pour Facebook.

Pas d'horizon concret pour Horizon

Sur le marché de la VR, Facebook ne s'arrête pas au rôle de constructeur. En 2019, le groupe avait montré les premières images de « Facebook Horizon », un monde alternatif en réalité virtuelle. Encore au stade embryonnaire, le projet pose en fait les bases du métavers, bien que le terme n'était pas utilisé à l'époque.

Concrètement, le géant de la tech souhaitait, à terme, proposer des kits de développement à destination des utilisateurs, comme l'ont fait auparavant des jeux vidéo comme Second Life, Roblox, ou Minecraft. L'idée ? Transformer Horizon en un univers « bac à sable » (sandbox, en anglais) en permettant à ses habitants de créer -puis éventuellement vendre- à peu près tout et n'importe quoi, dans les limites des règles du monde virtuel. Facebook créerait ainsi une nouvelle économie de produits et de services, au sein d'Horizon. Une révolution ? Pas vraiment, car ce type d'univers personnalisables en réalité virtuelle existe déjà, à l'instar de VRChat, lancé en 2014, sans la puissance financière et commerciale de Facebook il est vrai.

Sauf qu'encore une fois, cet Horizon aux milliers de possibilités paraît bien lointain. En avril, Facebook a enfin reparlé du projet -après un silence d'un an et demi- et présenté une première démonstration, nommée « Horizon Workrooms ». Sorte de Zoom en réalité virtuelle, Workrooms permet à ses utilisateurs de se réunir à distance dans une salle de bureau virtuelle, casques de VR vissés sur la tête. Les participants dépourvus de ce matériel onéreux (350 euros pour le Quest 2) peuvent quant à eux rejoindre la réunion comme dans un système de visioconférence classique. Mais ils resteront en 2 dimensions, avec leurs images projetées sur un mur de la salle virtuelle.

L'entreprise, qui a elle-même testé l'outil en interne pendant 6 mois, met en avant le sentiment d'immersion : « On entend les personnes comme si elles étaient dans une vraie pièce, ce qui rend les conversations plus fluides. » Un bien maigre accomplissement par rapports aux fantasmes de la VR.

De la puissance de feu pour le métavers

Alors, pour appuyer sa nouvelle stratégie de développement de la réalité virtuelle, Facebook sort le portefeuille, et c'est la vraie nouveauté du "métavers". Le géant compte investir pas moins de 3 milliards de dollars sur dix ans pour développer la nouvelle génération de casques de réalité virtuelle. Il a également promis de dépenser 50 millions de dollars pour réfléchir aux questionnements éthiques sur le métavers, et il prévoit 10.000 recrutements dans l'Union Européenne sous cinq ans.

Pour se mettre en place, le métavers a besoin de casques plus légers -du propre aveu de Zuckerberg-, et surtout, d'un grand nombre d'applications. Les utilisateurs doivent avoir envie d'y passer du temps, notamment dans le cadre de l'entreprise. Mais la réalité virtuelle a pour le moment déçu le monde professionnel, comme le confirme à La Tribune Nosing Doeuk, directeur associé du cabinet de conseil mc2i :

« J'ai grandement diminué les investissements du cabinet dans la VR en 2019. Il n'y avait pas assez d'applications intéressantes pour les grands comptes. Trop peu d'entreprises avaient les compétences pour modéliser les formations de façon efficace, et nous espérions qu'il y aurait une plus forte adoption de la technologie chez les clients », justifie-t-il.

Non seulement Facebook doit affiner ces propres outils, mais il doit aussi réussir à entraîner avec lui toute une industrie, notamment logicielle, s'il veut atteindre ses ambitions. Par exemple, le mobilier de Facebook Horizon devra pouvoir voyager dans d'autres mondes virtuels, créés par des parties tierces. Le géant de la tech sait qu'un métavers limité à "FacebookLand" ne suffira pas, et pourrait d'ailleurs lui attirer, une fois de plus, les foudres des régulateurs.

François Manens

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Commentaires 3
à écrit le 21/10/2021 à 7:44
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Ni pari fou ni coup marketing. C'est la civilisation que les élites mondiales du nom veulent imposer aux peuple. Et malheureusement, c'est déjà la réalité.

à écrit le 20/10/2021 à 8:18
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Les GAFAM ont su attirer un maximum de chercheurs qui du coup cherchent.

à écrit le 19/10/2021 à 18:46
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Il semble quand même que du point de vue ingenierie, il y a des défis à relever peut-être plus pertinent pour rendre le monde meilleur. Facebook a fait des choses très intéressantes mais ce projet en vaut-il la peine en terme de sens. Je comprends qu...

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