« La Blockchain est un pari sur l'avenir, pas une solution miracle ! » (Natixis)

Natixis, la filiale de banque internationale de financement, de gestion d'actifs, d'assurance et de services financiers du groupe BPCE, est investie dans des projets Blockchain majeurs. Frédéric Dalibard, le responsable du digital pour l'activité de Banque de grande clientèle et coordinateur Blockchain pour le groupe, nous dresse les perspectives de cette technologie qui pourrait transformer le secteur financier.
Delphine Cuny
Frédéric Dalibard est responsable du digital de la Banque de grande clientèle chez Natixis et coordinateur Blockchain pour le groupe.
Frédéric Dalibard est responsable du digital de la Banque de grande clientèle chez Natixis et coordinateur Blockchain pour le groupe. (Crédits : Fabrice Vallon / Natixis)

Discrètement, Natixis, filiale de BPCE (Banque Populaire Caisse d'Epargne), s'est fait une place de choix dans l'écosystème BlockchainResponsable du digital de la Banque de grande clientèle (entreprises, investisseurs institutionnels, institutions financières, secteur public) et coordinateur Blockchain pour le groupe, Frédéric Dalibard préside le conseil d'administration de la startup américaine R3, dont une quarantaine d'institutions financières sont actionnaires, et siège à celui de Komgo, startup de financement du commerce international où l'on retrouve ING, Société Générale, BNP Paribas et Crédit Agricole au capital. Cet expert se confie sur les espoirs suscités par cette technologie de stockage et de transmission d'information, née il y a dix ans  avec le Bitcoin, et les freins à son essor, notamment les enjeux liés à la "tokenisation" de l'euro. Entretien.

LA TRIBUNE -  Quand et comment vous êtes-vous intéressé à la Blockchain ?

FRÉDÉRIC DALIBARDJe me suis intéressé à la Blockchain dès l'été 2015, à l'occasion d'une initiative du comité de direction générale de Natixis demandant aux différents métiers d'identifier des sujets innovants. J'ai fait ajouter la Blockchain à la liste et nous avons décidé de nous rapprocher d'un consortium de place, R3, qui avait le plus de sens pour Natixis et notamment la Banque de grande clientèle : un consortium à vocation bancaire, de portée internationale et plutôt centré sur la banque de financement et d'investissement. Nous avons aussi mené des expérimentations en interne ainsi qu'avec certains de nos clients, afin de qu'ils s'approprient cette technologie.

Le management de Natixis soutient cette démarche et s'intéresse à la Blockchain du fait du fort potentiel de transformation de notre secteur que recèle cette technologie. Il a validé l'investissement dans plusieurs initiatives : R3, mais aussi Komgo et We.trade, des consortiums de financement du commerce international. La question de l'intérêt de prendre une prise de participation ou d'être un simple client se pose toujours. Le cas de R3 est un peu différent car sa plateforme Corda va sous-tendre tout l'écosystème et favoriser l'émergence de solutions métiers qui seront développées par les partenaires eux-mêmes.

Quelle est la stratégie de Natixis dans la Blockchain ?

Natixis n'est pas assez gros pour être leader sur tout, mais nous avons les moyens d'être un « smart follower », d'accompagner des banques leaders telles que HSBC, ING ou BBVA, qui investissent à tout-va, et de ne pas nous laisser distancer dans ce domaine. N'ayant pas les moyens d'aller tous azimuts, nous devons effectuer les bons choix, en ligne avec nos métiers de niche, par exemple dans des champs présentant peu de barrières réglementaires qui retarderaient leur mise en oeuvre.

Dans lesquels de vos métiers cette technologie a-t-elle le plus de potentiel ?

Nous avons très vite identifié le Trade Finance, le financement du commerce international, qui pâtit de lourdeur opérationnelle, qui met en jeu un grand nombre d'acteurs, et qui est sujet à peu de contraintes réglementaires - ce qui en fait un cas d'usage plus facile et plus intéressant à mettre en oeuvre. Il y a aussi du potentiel dans l'assurance : nous regardons des cas d'usage dans la transmission de données, la collecte de documents en cas de succession, etc.

Autre sujet : le KYC (Know Your Customer), la connaissance client. Nous avons mené une expérimentation avec R3 en novembre avec de grandes banques françaises et des corporates [dont BNP Paribas, Crédit Agricole CIB, Société Générale, Allianz, Danone, Engie, ndlr]. Il y a aussi l'affacturage et les métiers de titres, comme la conservation, où la réglementation française a fait évoluer les choses avec une ordonnance puis un décret Blockchain, ainsi que la loi Pacte. Natixis a émis un vrai billet de trésorerie, avec un code ISIN [numéro d'identification d'un titre financier] sur la Blockchain Corda de R3 en décembre, dans le cadre d'une collaboration avec ING, Commerzbank et Rabobank.

Des critiques s'élèvent sur les promesses de la Blockchain qui tardent à se matérialiser. Comment garder le soutien du management pour ces projets dans ce contexte ?

Nous avons fait des choix et il y a eu très peu de déchets dans les initiatives où nous avons décidé d'investir du temps et de l'argent. Les plateformes We.trade et Komgo sont passées en production et le projet Marco Polo continue d'avancer. Dans le KYC, tout le monde est convaincu qu'une solution décentralisée, redonnant la main aux clients sur leurs données, a du sens. On avance mais il faut être réaliste : le passage en production n'est pas aisé et prend toujours plus de temps qu'escompté. La Blockchain est un pari sur l'avenir, pas la solution miracle immédiatement !

Au-delà, ce qui se crée notamment autour de R3 est une révolution comparable à celle d'Internet, fondamentale dans la manière dont vont interagir les acteurs de la place. Par exemple, la plateforme Fusion LenderComm de Finastra [la première application mise en service sur Corda, ndlr] dans le marché des prêts syndiqués, va permettre de synchroniser la vision des différentes banques participantes et ainsi d'améliorer la transparence et l'efficacité. L'avènement du réseau Corda est l'aboutissement de la vision d'une infrastructure totalement partagée que nous avions il y a trois ans. Cet écosystème ouvert est une opportunité unique de transformer le secteur financier.

Voyez-vous des projets intéressants se développer en France ?

Nous sommes en phase de branchement avec la Blockchain de la Banque de France, Madre, un registre interbancaire décentralisé, qui permet d'alimenter délivrer instantanément le registre des identifiants de créanciers SEPA. Nous étions impliqués dès le début de la conception dans le groupe de travail. C'est le tout premier projet en production en France. La banque centrale s'est fortement investie, les acteurs de la place ont répondu présents et il a permis d'éprouver techniquement en interne cette technologie. C'est un bon cas d'usage et ça marche. La Banque de France s'est montrée très volontariste, alors que certaines autres banques centrales sont beaucoup plus attentistes à l'égard de la Blockchain.

Quels sont les freins au passage en production ?

L'un des obstacles majeurs est la contrepartie monétaire des opérations digitalisées sur la Blockchain sous la forme de « tokens » [jetons numériques]. La méthode idéale de « tokenisation » de l'euro serait l'émission directement par la banque centrale d'euros sur une Blockchain. Une partie des réserves des banques en monnaie de banque centrale pourrait être en tokens pour que ces établissements puissent répondre à leurs obligations sur la Blockchain. Ces tokens seraient fongibles [substituables] et n'auraient pas de risque de crédit associé.

D'autres versions dégradées sont possibles. Une banque commerciale pourrait émettre des jetons qui ne seraient garantis que par sa note de crédit, mais ils ne seraient pas fongibles et un risque de crédit pourrait apparaître. Il existe aussi des monnaies électroniques, comme les « stable coins » avec une parité d'un pour un avec la monnaie légale, garantie par des montants équivalents en monnaie légale dans un compte sous séquestre. Des réflexions sont en cours mais cela prendra du temps. Je rêverais qu'une banque centrale s'empare du sujet et décide d'émettre un « euro-token » pour les banques. Les banques centrales redoutent de désintermédier les banques. Je ne crois pas à ce risque. Or nous avons besoin de ce cash électronique pour faciliter les échanges interbancaires.

Explorez-vous l'univers des crypto-actifs comme classe d'actifs, à échanger ou conserver, comme le font des acteurs tels que Fidelity ?

Nous avons moins regardé la partie crypto-actifs comme produit de placement jusqu'à présent. Nous sommes davantage intéressés par leur potentiel comme moyen de lever des fonds. Nous en sommes restés éloignés à cause du flou réglementaire et juridique. Les banques telles que le Groupe BPCE, dont Natixis fait partie, vont devoir accompagner leurs clients pour leur offrir l'accès à cette source alternative de financement. Il peut s'agir d'entreprises ayant accès aux marchés et souhaitant diversifier leurs sources de financement, ou de startups qui ont levé des fonds par Initial Coin Offering (ICO), doivent payer des fournisseurs de service en « monnaie réelle » et ont besoin d'ouvrir un compte bancaire, mais se heurtent à des refus, du fait de l'origine incertaine des fonds. La loi Pacte doit permettre de débloquer la situation.

L'autre versant concerne la digitalisation des actifs quels qu'ils soient. Par exemple, il existe déjà la digitalisation des droits d'exploitation de réserves pétrolières prouvées mais non exploitées, comme le fait la société GuildOne, sur Corda, en Amérique du Nord. Natixis étant très présente dans les ressources naturelles, nous pourrions nous pencher sur le sujet, car ces droits se vendent, se financent. Nous nous intéressons aussi à la digitalisation des « Repo » [pension livrée, mode de financement court terme interbancaire très usité]. Ce domaine ne pose pas de problème réglementaire puisqu'il s'agit de digitaliser un droit sur un véhicule financier sous forme de tokens.

La suite logique, si des avancées réglementaires se font jour au niveau européen, serait d'autoriser la tenue de registre de titres sur une Blockchain, comme cela a été fait sur le non-coté en France. Cela permettrait à des compartiments de marché entiers d'être « tokenisés », d'ici deux à trois ans dans le meilleur des cas, sinon cinq à dix ans.

Propos recueillis par Delphine Cuny

___

LE CHIFFRE :

120 millions de dollars. Le montant levé par R3 auprès d'une quarantaine d'institutions financières, dont Natixis, BNP Paribas, Société Générale...

Delphine Cuny

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 08/03/2019 à 10:12
Signaler
Pourquoi autant de pub pour la blockchain? Cela sent le piège a pigeon pour attirer les capitaux! Pendant que d'autre se la coulera douce sans avoir eu a faire des bénéfices! Une chaine de Ponzy!

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.