«Nous avons distribué 550 millions d’euros de Prêts garantis par l'État à l’ESS», Benoît Catel, DG du Crédit coopératif

Membre du groupe BPCE, le Crédit coopératif tire la majorité de ses revenus de l'Economie sociale et solidaire (ESS). Son directeur général, Benoît Catel, explique à La Tribune pourquoi ces associations et coopératives ont été davantage touchées par la crise sanitaire et comment la banque les a accompagnées. Il prévient que cette crise aura des conséquences durables pour le Crédit coopératif, qui s'attend à un potentiel doublement du coût du risque en 2020 et à une érosion d'au moins 5% de ses revenus.
(Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Comment le Crédit coopératif s'est-il organisé dans le contexte de la crise sanitaire ?

Benoît Catel - La priorité a été de préserver la santé de nos salariés et de nos clients tout en maintenant ouvert la totalité de nos centres d'affaires (72 pour le Crédit coopératif et une quarantaine pour nos filiales) ainsi que notre siège. Un tiers de nos collaborateurs était présent sur site, un tiers travaillait à distance et un autre tiers n'était pas en activité (arrêt maladie, personnes fragiles ou garde d'enfants).

Nous avons beaucoup fonctionné à distance avec nos clients, mais cela n'a pas toujours été possible, notamment parce que nous comptons quelques 150.000 personnes clientes sous tutelle ou curatelle. Ces clients, qui ont souvent des revenus très modestes, ne disposent pas de carte de paiement et étaient donc obligés de venir aux guichets pour retirer de l'argent. Nous avons alors mis en place des créneaux horaires et des modalités de retrait spécifiques pour garantir la sécurité des clients et de nos collaborateurs.

Certains de nos clients entrepreneurs avaient aussi des dossiers en cours, des urgences à traiter pour lesquelles le recours à nos centres d'affaires étaient nécessaire. En quelques semaines, nous avons transformé nos habitudes et fait preuve de créativité. Toutes les opérations courantes ont été assurées : les prélèvements, les versements de salaires, les paiements sans contact, etc. Ce sont des milliards d'opérations qui ont bien fonctionné. On a tendance à oublier qu'il y a un travail derrière ces opérations car elles sont invisibles, mais tous nos collaborateurs se sont fortement mobilisés.

La majorité des revenus du Crédit coopératif provient des clients de l'Economie sociale et solidaire (ESS). Comment ces structures ont-elles été impactées par la crise sanitaire et le confinement ?

Comme d'autres entreprises plus classiques, nos clients ont généralement vu leur modèle économique percuté par une absence, ou une baisse très significative, de leur chiffre d'affaires. Toutefois, les entreprises et associations de l'ESS constituent un tissu très hétérogène. Certaines se sont retrouvées sans activité, comme celles du secteur de la restauration, de la culture ou encore du tourisme. D'autres, au contraire, se sont retrouvées en surchauffe, notamment les structures qui oeuvrent dans le domaine médico-social. Ces dernières ont été très impactées sur le plan sanitaire, mais en termes économiques leur modèle n'a pas été chahuté. La taille des associations est aussi un élément déterminant : les grosses structures savent s'organiser et s'insérer dans les systèmes d'aides déployés par les pouvoirs publics. Les plus petites, elles, se retrouvent davantage dans les angles morts des politiques publiques.

Les entreprises de l'ESS sont-elles plus vulnérables que d'autres entreprises ?

Le monde associatif a été plus touché car si certaines associations génèrent du chiffre d'affaires, d'autres vivent aussi des subventions. Or, nous allons forcément assister à des arbitrages dans ce domaine. Dans le sport ou la culture par exemple, une activité est subventionnée uniquement si l'événement a bien lieu. L'arrêt des collectes de dons dans les rues a aussi eu un fort impact sur certaines associations, notamment sur celles qui se sont spécialisées dans cette activité pour le compte d'autres associations.

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Les structures de l'ESS sont-elles éligibles au Prêt garanti par l'Etat (PGE) ?

Elles sont éligibles mais pour certaines associations, une problématique s'est posée car selon les modalités définies par le gouvernement, le PGE permet d'emprunter jusqu'à l'équivalent de trois mois de chiffre d'affaires. Or, beaucoup d'associations n'ont pas de chiffre d'affaires car elles ne facturent pas, ou bien celui-ci ne représente qu'une très faible partie de leurs revenus. Il a donc fallu élargir l'assiette comptable pour que les membres du monde associatif puissent en bénéficier.

Combien de PGE avez-vous distribués aux structures de l'ESS ?

Nous avons distribué pour 550 millions d'euros de PGE (environ 2.200 crédits) à deux grandes branches de l'ESS : les organismes d'intérêt général où l'on retrouve le monde associatif et les coopératives. Environ 130 millions d'euros de PGE ont été distribués au premier pilier et 420 millions d'euros au second. Globalement, la production de PGE représente 66% de la production annuelle de crédits à moyen et long terme accordés par le Crédit coopératif à la clientèle des personnes morales en 2019. Le taux de refus reste très faible : il est d'environ 2%. Le rythme des demandes décélère aussi. Sur les 15 premiers jours, nous avons reçu l'équivalent de 100 millions d'euros de demandes de PGE par jour. Aujourd'hui, nous avons un rythme de 10 à 30 millions d'euros de demandes de PGE par jour, mais tous ne concernent pas l'économie sociale et solidaire.

Quid des reports d'échéances ?

Pour certains secteurs, comme l'hôtellerie et la restauration, nous avons opté pour un report automatique de six mois. Au bout d'une semaine, nous avions traité 4.000 dossiers de manière automatique. Au fur et à mesure, d'autres secteurs (culture, handicap, petite enfance, tourisme social, commerce associé hors grande distribution) ont été ajoutés à ce traitement automatique. Pour d'autres, comme les entreprises spécialisées dans le domaine médico-social, nous avons procédé à des reports d'échéances à la demande. Au total, nous avons effectué quelque 7.500 reports, qui représentent en valeur près de 200 millions d'euros.

Quel impact la crise a-t-elle eu sur votre propre activité ?

L'impact au premier trimestre n'est pas très tangible mais cette crise va avoir des conséquences dans la durée pour le Crédit coopératif, qui est une banque de détail. Nous avons vendu beaucoup moins de produits bancaires et nous avons connu un télétravail contraint. Il n'était pas organisé. Résultat, les chiffres de ventes des commerciaux ont chuté de 50 à 80% selon la nature des produits. Nous avons, par exemple, arrêté totalement de faire du crédit immobilier pendant la période de confinement. Tous ces éléments auront un impact sur notre produit net bancaire, [l'équivalent peu ou prou du chiffre d'affaires, qui était déjà en baisse sur l'année 2019, ndlr]. Sur l'ensemble de l'année, il devrait baisser d'au moins 5% et c'est une érosion qui s'ajoute à la baisse régulière que connaissent les banques de détail.

Comment anticipez-vous la hausse du coût du risque ?

Nous estimons que sur l'ensemble de l'année, le coût du risque pourrait doubler. Il s'élevait à 20 millions d'euros en 2019. Si certains secteurs auxquels nous sommes exposés ne devraient pas trop souffrir, comme l'agroalimentaire, d'autres pourraient connaître des difficultés. C'est le cas du secteur de la culture, qui n'est pas forcément très endetté, mais qu'il va falloir accompagner. Je pense également aux acteurs du tourisme ou encore à certaines coopératives dans l'industrie. Nous avons les mêmes intérêts que nos clients. S'ils ne s'en sortent pas, cela se traduira par des pertes pour nous. Nos 127 chargés d'affaires spécialisés dans l'ESS s'attellent donc à les accompagner au mieux. Nous sommes également en étroite relation avec ce que nous appelons les têtes de réseaux, comme l'Union nationale des entreprises adaptées (Unea) et le mouvement associatif, pour identifier les problématiques que pourraient rencontrer nos clients et proposer des offres bancaires adéquates.

La crise va-t-elle avoir des conséquences sur votre stratégie ?

La crise va ralentir certains de nos projets (certains sont décalés de trois mois comme les rénovations de centres d'affaires ou des déploiements informatiques), mais elle ne remettra pas en cause notre stratégie. Nos objectifs restent les mêmes : avoir plus de clients à la fin de l'année [le nombre de clients avait reculé en 2019, ndlr], améliorer la qualité de nos services et continuez à avoir de l'impact. Sur ce point, nous avons creusé notre sillon pendant le confinement. Les Français ont beaucoup moins dépensé et leurs dépôts ont nettement gonflé. Au Crédit coopératif, les épargnants ont notamment positionné leur argent sur les livrets tracés et les produits de partage.

Les premiers produits assurent que l'argent collecté finance des projets dans la région. L'argent du territoire sert le territoire. C'est un produit identitaire qui a très bien marché pendant la crise. Je pense notamment à notre livret "rev3" dédié au financement d'initiatives locales liées, entre autres, aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique dans les Hauts-de-France, dont l'objectif de collecte annuel a été atteint en quatre mois. Cette tendance devrait s'accélérer avec l'amplification de la prise de conscience de l'importance des circuits courts et de la relocalisation de la production.

Les produits de partage, comme le livret "Agir" ou "la carte Agir", permettent eux de verser automatiquement des dons à des associations bénéficiaires. A chaque retrait en distributeur automatique de billets, la banque verse un don. En parallèle, le client peut décider d'effectuer des dons complémentaires à chacune des utilisations de sa carte bancaire. Avec le livret Agir, le client partage les revenus de son épargne avec une association de son choixDes produits et services bancaires de la vie courante qui, nous le souhaitons, seront davantage plébiscités par les Français.

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