Paiement instantané : la Fed va créer son propre réseau... au grand dam des géants bancaires

À la traîne par rapport à d'autres pays, la réserve fédérale américaine va moderniser son système de paiement et mettre en place un nouveau réseau à l'horizon 2023, 2024. Soutenue par les petites banques, cette initiative est en revanche critiquée par les plus grands acteurs du secteur bancaire du pays, qui disposent déjà de leur propre infrastructure de paiement en temps réel.
Juliette Raynal
Lael Brainard (57 ans) est membre du conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine depuis 2014, nommée par le président Obama lors de son deuxième mandat. Elle préside notamment les comités de la stabilité financière, de la consommation, des paiements et de la compensation.
Lael Brainard (57 ans) est membre du conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine depuis 2014, nommée par le président Obama lors de son deuxième mandat. Elle préside notamment les comités de la stabilité financière, de la consommation, des paiements et de la compensation. (Crédits : Reuters)

La banque centrale américaine ne veut plus être la mauvaise élève en matière de paiement. Le Fed a annoncé, lundi 5 août, qu'elle allait développer un nouveau système de paiement interbancaire fonctionnant en temps réel, disponible 24h/24 et tous les jours de la semaine. Ce nouveau dispositif, baptisé Fed Now, supportera les transactions allant jusqu'à 25.000 dollars mais ne devrait toutefois pas voir le jour avant 2023, voire 2024.

"L'évolution rapide de la technologie offre à la Réserve fédérale et à l'industrie des paiements une occasion unique de moderniser le système de paiement du pays et d'établir une base sûre et efficace pour l'avenir", a indiqué la banque centrale américaine dans un communiqué de presse.

"Aujourd'hui, l'infrastructure américaine des transactions de paiement de détail est à la traîne par rapport à d'autres pays", a expliqué Lael Brainard, membre du conseil des gouverneurs de la Fed à l'occasion d'un discours prononcé à Kansas City. "L'Europe, le Mexique, et l'Australie ont déjà mis au moins des capacités de règlement et de compensation en temps réel", a-t-elle ajouté.

En France, la révolution du paiement instantané a été initiée par la Banque centrale européenne (BCE). Cette dernière a mis à la disposition des banques son infrastructure existante de règlement en temps réel (appelée Target2), déjà utilisée par les banques centrales et commerciales pour les paiements de montants élevés. Le nouveau service baptisé TIPS (pour Target Instant Payment Setllement) permet aux banques commerciales de proposer à leurs clients d'effectuer des paiements instantanés dans toute la zone euro en moins de 10 secondes.

Une infrastructure vieillissante

"Par contraste, ici aux États-Unis, le fossé continue de se creuser entre les possibilités de transactions qu'offre l'économie numérique et le système de structures de paiement et de compensation", a encore signalé la responsable.

Aux États-Unis, le système actuel de paiement interbancaire ne fonctionne pas les week-ends et les paiements peuvent prendre encore plusieurs jours pour être effectivement crédités au compte du bénéficiaire.

"La réserve fédérale estime que les services de paiement plus rapides, qui permettent le transfert quasi instantané des fonds jour et nuit, les week-ends et les jours de la semaine, peuvent être largement utilisés et procurer des avantages économiques aux particuliers et aux entreprises en leur offrant une plus grande souplesse pour gérer leur argent et effectuer des paiements urgents", explique le communiqué de presse.

"Tout le monde mérite de pouvoir effectuer et recevoir des paiements immédiatement et en toute sécurité et chaque banque mérite de pouvoir offrir ce service à sa communauté", a déclaré Lael Brainard.

Une initiative attendue par les petites banques... et critiquée par les grandes

Cette avancée, à première vue bénéfique pour tout le monde, ne fait toutefois pas l'unanimité. Randal Quarles, vice-président de la supervision du Conseil des gouverneurs de la Fed y est défavorable.

"Je ne vois pas pourquoi la Réserve fédérale devrait s'engager dans ce domaine et évincer l'innovation lorsqu'il existe des alternatives viables du secteur privé", a-t-il déclaré au Wall Street Journal.

Cette réticence tient au fait que le dispositif de la Fed fonctionnera en parallèle d'un autre système de paiement en temps réel, lancé en 2017 par plusieurs grandes banques réunies au sein du consortium The Clearing House. Ces dernières, parmi lesquelles figurent Citigroup, Bancorp et JPMorgan Chase & Co, y ont investi environ 1 milliard de dollars, explique le quotidien américain.

L'un des objectifs de la Fed, réduire la vulnérabilité du système financier

Lael Brainard a assuré que la Fed n'avait pas l'intention de nuire au système privé et que son intention était de coopérer avec le secteur privé tout en favorisant la concurrence.

Ces grandes banques avaient fait du lobbying pour empêcher la Fed de développer le nouveau système de paiement. Elles ont fait valoir qu'un système concurrentiel ralentirait fortement le déploiement des paiements plus rapides et que certaines banques de plus petite taille attendraient probablement que la banque centrale lance son système pour adopter cette nouvelle technologie.

"Offrir une deuxième option sur le marché permettrait de réduire les coûts, d'améliorer l'efficacité et de réduire la vulnérabilité du système financier en créant ainsi une résilience par la redondance", s'est défendue la Fed.

Paypal, Libra... la forte concurrence des Fintech sur le transfert d'argent

La vétusté du système interbancaire américain contraste avec les nombreuses offres numériques de transferts d'argent entre particuliers portées par les Fintech et les géants du web comme Paypal, qui a racheté l'application Venmo. Cette dernière a été massivement adoptée par les "Millennials" américains au point de devenir un verbe ("je te venmo 20 dollars pour le dîner").

La Fed a également en tête le projet de cryptomonnaie Libra de Facebook, qui inquiète les régulateurs du monde entier. L'une de ses premières applications (si elle voit effectivement le jour) devrait être le transfert d'argent.

"Le projet Libra de Facebook soulève de nombreux problèmes qui prendront du temps à se résoudre, mais une chose est claire : consommateurs et entreprises à travers le pays exigent des paiements en temps réel et les banques en qui ils ont confiance devraient être capables de fournir un tel service en toute sécurité, quelle que soit la taille des transactions", a estimé Lael Brainard

(Avec AFP et Reuters)

Juliette Raynal

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Commentaires 6
à écrit le 08/08/2019 à 5:28
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si les banques centrales sont inquietes, c'est uniquement car elles ne sont plus independantes, et si tout le monde fuit devant les masses de papier cul qu'elles vont imprimer pour financer le train de vie d'etats dispendieux, comment elles vont fair...

à écrit le 07/08/2019 à 21:14
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Il faut arrêter d'utiliser les plateformes et de leur donner gratuitement nos "données" qui leur permettent de créer des business toujours plus lucratifs et toujours plus dangereux pour les libertés individuelles quand leur objectif est de remplacer...

à écrit le 07/08/2019 à 14:35
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Le Fed system est une émanation des banques américaines destinée à les protéger des crises de liquidité, qu'elles soient "too big to fail" ou modestes. La vitesse de circulation de la monnaie est clairement au coeur des missions du Fed. Plus il y a d...

à écrit le 07/08/2019 à 13:58
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Etrange la fed est l'amalgame de,plusieurs banques d'investissemng privées. ... donc cela voudrait dire que ce que fait la main droite de la fed n'est pas appréciée'par sa main gauche.. de qui se moque t on ?

à écrit le 07/08/2019 à 11:52
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Elles( les grandes banques privées) ont fait valoir qu'un système "concurrentiel" ralentirait fortement .. superbe aveu.

à écrit le 07/08/2019 à 10:56
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Merci beaucoup de nous rapporter cette information majeure qui ne fait que confirmer ce que je dis, mais en général plus on se fait troller et plus on est près de la vérité. Enfin un peu d'espoir dans ce monde de brutes financières ! Ça va sa...

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