Chine :  le régulateur tente de juguler un scandale bancaire provoqué par quatre banques locales

Alors que la Chine est frappée de ralentissement économique, son secteur bancaire dans les zones rurales est durement touché par la politique du gouvernement central visant à contenir la bulle immobilière et la flambée de l'endettement. De nombreux petits établissements bancaires pâtissent de problèmes de liquidité et de gestion. Mais pour les quatre banques du Henan qui ont gelé tous les avoirs depuis le mois d'avril, des activités criminelles aussi auraient participé de la panique bancaire.
Jérôme Cristiani
(Crédits : Reuters)

Les images ont fait le tour du monde: le dimanche 10 juillet, un petit millier d'épargnants lésés manifestait pacifiquement devant une succursale régionale de la Banque centrale de Chine (PBOC) à Zhengzhou, capitale du Henan (centre de la Chine), pour protester contre le gel de leurs avoirs par quatre banques locales. Le rassemblement est devenu violent lorsqu'une escouade de nervis en civils habillés de blanc s'est précipitée sur les manifestants, les molestant et les traînant à terre, selon plusieurs vidéos qui ont fait un tollé sur Internet et vues par La Tribune.

Les protestations ont commencé en avril lorsque plusieurs banques rurales de la province du Henan - qui détiennent ensemble des milliards de dollars de dépôts - ont gelé les dépôts de leurs clients, les empêchant d'effectuer tout retrait d'argent, ce qui, la nouvelle se répandant, a déclenché une série de paniques bancaires, le tout sur fond d'accusations de collusion avec les autorités locales.

Le 12 juillet, deux jours après cette manifestation fortement médiatisée, et alors que la stabilité sociale et économique est une priorité absolue du président Xi Jinping, les autorités du Henan annonçaient, en accord avec la branche locale de l'Autorité chinoise de régulation des banques et des assurances (China Banking Regulatory Commission, CBRC), un plan de remboursement dans l'espoir d'apaiser les esprits et stopper l'enchaînement de manifestations sporadiques.

Les clients lésés vont pouvoir récupérer leur argent a donc promis le 12 juillet le régulateur bancaire chinois (CBRC), mais une partie seulement pour l'instant, dans la limite de 50.000 yuans (env. 7.500 euros).

La CBRC a assuré que, par la suite, davantage de clients de banques seraient remboursés. Mais pour l'heure, dans cette première phase, seule une poignée des 100.000 épargnants lésés ont pu récupérer une partie de leur argent, selon des conversations lues par l'AFP sur des forums du réseau social WeChat. Certains se sont plaints d'être dans l'incapacité d'effectuer les démarches en ligne, en raison de problèmes techniques sur l'application.

Le ralentissement économique comme révélateur des failles d'un secteur

Les quatre banques du Henan dans la tourmente font partie d'un ensemble plus vaste de petits établissements bancaires touchés par des problèmes de liquidité et de gestion.

Le secteur bancaire dans les zones rurales en Chine est durement touché par la politique du gouvernement central visant à contenir la bulle immobilière et l'endettement, cela au moment où la deuxième économie mondiale est touchée par un ralentissement économique historique. La crise immobilière, qui met en péril les collectivités territoriales engagées dans des programmes immobilier, et un des grands risques auxquelles sont exposées les prêteurs que sont les petites banques chinoises.

Selon le site de l'hebdomadaire financier américain Barron's (propriété de Dow Jones et News Corp), le système bancaire chinois est dominé par de grandes banques d'État qui préfèrent prêter aux entreprises publiques ou liées au gouvernement. Cela a contraint les petites entreprises à s'en remettre à des prêts risqués et à des produits patrimoniaux complexes qui ont donné naissance à ce que l'on appelle le secteur bancaire parallèle.

Fin 2019, rapporte le site Barron's, le régulateur chinois (CBRC) a estimé que les actifs totaux de ce secteur parallèle s'élevaient à 84.800 milliards de yuans, soit 13.000 milliards de dollars).

« Il y a un énorme problème dans la mesure où la plupart des banques - et certainement toutes les petites - ont des actifs terribles et des passifs très risqués », a déclaré à Barron's le professeur de finance à l'Université de Pékin, Michael Pettis.

Michael Pettis n'est pas le seul à s'inquiéter de la suite: James Zimmerman, associé du bureau de Pékin de Perkins Coie et ancien président de la Chambre de commerce américaine en Chine, pense que les paniques bancaires vont se multiplier et, au final, menacer le parti au pouvoir :

« Comme les banques rurales et provinciales continuent d'avoir de sérieux problèmes de liquidités, ce genre d'incidents de masse ne fera que se multiplier sérieusement. Cela n'augure rien de bon pour le parti au pouvoir », a-t-il déclaré à Barron's.

Injections de liquidités dans les petites et moyennes banques en péril

Selon le site China Banking and Insurance News, cité par Reuters, le régulateur bancaire chinois a collaboré avec le ministère des Finances et la banque centrale pour accélérer l'émission d'obligations spéciales du gouvernement local afin de renforcer le capital des petites et moyennes banques.

Le gouvernement central prendra de multiples mesures pour améliorer la capitalisation des petites et moyennes banques et renforcer leur résistance aux risques, a rapporté le journal d'État dimanche dernier, citant un responsable anonyme de la Commission de réglementation des banques et des assurances de Chine (CBIRC).

De janvier à mai, les petites et moyennes banques ont cédé 394,3 milliards de yuans (58,4 milliards de dollars) de prêts non performants, soit une hausse de 107,2 milliards de yuans par rapport à l'année précédente, selon China Banking and Insurance News.

Afin de renforcer le capital des petites et moyennes banques, un quota combiné de 103 milliards de yuans d'émissions spéciales d'obligations de gouvernements locaux a été accordé aux provinces du Liaoning, du Gansu et du Henan, ainsi qu'à la ville portuaire du nord de Dalian, au cours du premier semestre 2022, selon le journal.

Dans un avenir proche, d'autres plans d'émissions spéciales d'obligations locales seront approuvés, et il est prévu que le montant global de 320 milliards de yuans soit distribué d'ici la fin du mois d'août, a ajouté le journal.

Une organisation criminelle démantelée

Mais des épargnants lésés ont accusé les autorités d'inaction, voire de collusion avec ces banques: ce serait l'autre cause de ces paniques bancaires dans le Henan.

De fait, la police de Xuchang, une ville voisine de Zhengzhou, avait annoncé le 10 juillet l'arrestation de personnes appartenant, selon elle, à une organisation criminelle qui est accusée d'avoir pris le  contrôle depuis 2011 de plusieurs banques locales et d'effectuer des virements illégaux par le biais de prêts fictifs.

Le South China Morning Post rapporte le 13 juillet dernier que la police de Xuchang a déclaré qu'un certain Lu Yi, toujours en cavale, serait soupçonné d'utiliser une société, Henan Xincaifu Group Investment Holding, pour contrôler les quatre banques rurales incriminées. Des employés complices dans chaque banque étaient chargés d'attirer illicitement des fonds publics via des plateformes en ligne.

La police a ajouté que le gang utilisait également des plateformes financières en ligne de tiers, sa propre plateforme ainsi qu'un certain nombre de courtiers en capitaux pour attirer des dépôts et promouvoir des produits financiers.

Falsifier les pass sanitaires des manifestants pour les empêcher de se déplacer

Autre avatar de ce scandale bancaire, l'utilisation illégale du dispositif du pass sanitaire pour empêcher des rassemblements. Les autorités du Henan ont été en effet un temps soupçonnées en juin d'avoir fait virer au rouge le pass sanitaire d'un certain nombre de manifestants, rendant de facto impossible tout déplacement.

Selon Reuters, cinq fonctionnaires ont, par la suite, été sanctionnés pour avoir abusé du système de code sanitaire.

Le pass sanitaire est exigé en Chine pour accéder à l'immense majorité des immeubles, centres commerciaux, lieux publics mais aussi certains transports en commun.

(Avec AFP, Reuters, Barron's, South China Morning Post, China Banking and Insurance News)

Jérôme Cristiani

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Commentaires 2
à écrit le 19/07/2022 à 8:03
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La dérégulation de secteurs incontournables permet d'organiser des banqueroutes frauduleuses, ou des spéculations dont les consommateurs font les frais. La "libre concurrence" a toujours conduit à faciliter la création de cartels et de monopoles qui ...

le 19/07/2022 à 14:33
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N'importe quoi! Tout est regule en Chine, s'il y a des abus, c'est bien parce que la corruption est de mise. Pour le quidam, rien n'est simple, pour les membres du parti, tout est possible

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