Le spectre de mauvaises récoltes en Chine renforce le scénario catastrophe d'un « ouragan de famines »

Le maintien de mesures de confinement drastiques en Chine, conséquence de la politique zéro-Covid remise en vigueur, entravant la mobilité des hommes et des machines, pourrait perturber la productivité des moissons et des récoltes. Et les experts de l'agroalimentaire redoutent que, si le pays doit importer des céréales au cours des prochains mois, même en quantité infime, cela tire vers le haut des prix mondiaux déjà hors normes.
Jérôme Cristiani
En Chine, par peur des contaminations au Covid, certains villages empêchent les étrangers d'entrer. C'est pourquoi le Premier ministre chinois Li Keqian a exigé, pour garantir de bonnes récoltes, un accès sans entrave de la main-d'œuvre et des machines dans les provinces du pays productrices de blé. (Photo:  le 5 juin 2019, scène de moisson dans une ferme de Zaozhuang, province du Shandong.)
En Chine, par peur des contaminations au Covid, certains villages empêchent les étrangers d'entrer. C'est pourquoi le Premier ministre chinois Li Keqian a exigé, pour garantir de bonnes récoltes, un accès "sans entrave" de la main-d'œuvre et des machines dans les provinces du pays productrices de blé. (Photo: le 5 juin 2019, scène de moisson dans une ferme de Zaozhuang, province du Shandong.) (Crédits : Reuters)

« La dernière chose dont le monde a besoin, c'est que la Chine se mette à importer des céréales ! » C'est en substance ce que craint une analyste en charge des problématiques agricoles, Even Pay, consultante pour le cabinet Trivium basé en Chine, interrogée par l'AFP.

Les récoltes d'automne de la Chine sont devenues l'une des grandes incertitudes d'une économie mondiale déjà aux prises avec les prix élevés des produits de base, en particulier dans les régions fortement dépendantes des récoltes de Russie et d'Ukraine.

Certes, la Chine, depuis les famines de la fin des années 1950, est devenue autosuffisante au plan alimentaire, assurant à plus de 95% ses besoins en riz, blé et maïs. Pourtant, en déficit chronique de terres cultivables, elle est aussi en temps normal le premier importateur mondial de blé et de maïs.

Alors si les récoltes d'automne sont moins importantes que prévu, le pays pourrait augmenter ses importations, pesant sur un marché mondial déjà fragilisé et rudement éprouvé ces dernières semaines.

L'ONU craint "un ouragan de famines" dans des pays africains

En effet, l'Ukraine et la Russie sont deux producteurs de céréales majeurs, et le blocage même partiel de leurs exportations, pour des raisons différentes, laisse redouter des pénuries alimentaires susceptibles de provoquer des émeutes de la faim au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, comme lors des printemps arabes de 2011 et des "émeutes de la faim" de 2008.

L'Égypte, la Turquie, le Bangladesh ou le Nigeria, des pays très peuplés, sont les principaux importateurs de céréales de Russie et d'Ukraine, mais Antonio Guterres, le chef de l'ONU craint de graves crises alimentaires dans pas moins de "45 pays africains et pays les moins avancés [qui] importent au moins un tiers de leur blé d'Ukraine ou de Russie, 18 de ces pays en important au moins 50%."

Outre les pays précédemment cités, il cite aussi le Burkina Faso, la République démocratique du Congo, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et le Yémen...

"Onze millions de personnes supplémentaires pourraient basculer dans la faim au cours des trois prochains mois", avaient alerté mardi 5 avril une dizaine d'associations dont Oxfam, Action contre la faim ou Save the Children, estimant qu'il s'agissait de la "pire situation en dix ans".

Autre facteur de déséquilibre sur le marché mondial des céréales, certains pays grands producteurs mais également grands consommateurs comme l'Inde ont décidé de réduire leurs exportations de céréales, aggravant le déficit de quantités disponibles et bien entendu contribuant à en faire flamber les prix.

Le prix du blé a augmenté de près de 60% sur un an

Et alors que, de fait, l'ONU évoque "un ouragan de famines" à venir dans les pays africains, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a averti lundi 6 juin que la quantité de céréales destinées à l'exportation et bloquées par l'armée russe dans les ports ukrainiens pourrait tripler "d'ici à l'automne" pour atteindre 75 millions de tonnes, a alerté lundi .

"Actuellement, entre 20 et 25 millions de tonnes de céréales sont bloquées et cet automne ce chiffre pourrait augmenter à 70-75 millions de tonnes", a déclaré à la presse le président ukrainien dont le pays était le 4e exportateur mondial de blé et de maïs avant l'invasion russe.

Selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), les cours mondiaux du blé, dont Russie et Ukraine assuraient 30% du commerce mondial avant la guerre, ont augmenté sur un an de 56,2%, et de 5,6% sur le seul mois dernier. Pour rappel, ces deux pays comptent aussi 20% du maïs mondial et 75% de l'huile de tournesol.

Outre le conflit russo-ukrainien, deux autres facteurs, outre la flambée des prix de l'énergie, ont participé de ce renchérissement des prix mondiaux. D'une part, des épisodes de sécheresse qui ont nui aux récoltes dans les grandes plaines du sud des États-Unis et en Afrique de l'Est, mais également en Inde, autre grand exportateur de blé.

D'autre part, le prix des engrais, qui se sont mis, eux aussi, à flamber, jusqu'à 1.000 euros la tonne d'engrais azoté. Car avec la guerre, le monde a découvert sa dépendance à la Russie. En 2021, la Fédération de Russie était le premier exportateur mondial d'engrais azotés et le deuxième fournisseur d'engrais potassiques et phosphatés.

En réduisant leurs achats, à cause du prix ou à cause des sanctions, les agriculteurs font baisser mécaniquement les rendements à l'hectare de leurs parcelles cultivées.

La politique zéro-Covid pointée du doigt en Chine 

En Chine, l'incertitude sur la production finale des céréales vient de l'impact des restrictions anti-Covid draconiennes remises en vigueur dans le pays, avec pour corollaire des confinements plus ou moins étendus géographiquement.

Fermement défendue par le président Xi Jinping, cette stratégie sanitaire Zéro Covid, qui vise notamment à protéger les nombreux seniors non vaccinés, complique les échanges inter-provinciaux et locaux, ce qui pénalise l'activité.

"Les villages sont très réticents à laisser entrer des personnes extérieures" entravant la "logistique du dernier kilomètre", souligne Even Pay.

Les récoltes ne se déroulent donc pas de manière aussi fluide qu'il faudrait et cela, au moment où les coûts de production sont déjà alourdis par l'envolée du prix des engrais sur fond de flambée des cours de l'énergie. Résultat, à environ 3.000 yuans (426 euros) la tonne, le prix du blé en Chine est 25% plus élevé que l'an dernier, relève M. Friedrichs.

Prenant le problème à bras le corps, le Premier ministre chinois Li Keqiang avait prévenu le mois dernier que de bonnes récoltes nécessitaient un accès "sans entrave" de la main-d'œuvre et des machines aux provinces du pays productrices de blé.

Jusqu'à présent, cette directive semble avoir été écoutée: la Chine a déjà achevé plus de 80% de ses récoltes actuelles de blé, selon les médias officiels.

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[Moisson nocturne dans un champ de blé de Taierzhuang, un village de la province du Shandong, en Chine, le 12 juin 2019. Crédit: Reuters]

En dépit de ce signal rassurant pour l'approvisionnement mondial en blé, "les perturbations liées au Covid n'ont pas disparu", ce qui suscite de l'incertitude sur le futur des autres importations agricoles de la Chine (céréales, soja, etc.), prévient Even Pay, consultante interrogée par l'AFP.

Assurer la sécurité alimentaire du pays, une urgence rappelle Xi Jinping

De fait, dans la foulée de l'invasion russe de l'Ukraine, le président Xi Jinping avait ainsi appelé ses compatriotes à "des efforts sans relâche pour assurer la sécurité (dans l'approvisionnement en) céréales".

Alors si, dans ce contexte, la Chine se met à acheter des céréales sur les marchés mondiaux pour compenser de mauvaises récoltes dans les semaines à venir, elle pourrait faire grimper davantage les prix des denrées alimentaires, rendant encore plus consistante la menace d'un "ouragan de famines" selon l'expression d'Antonio Guterres à l'ONU, déferlant sur les pays les plus pauvres du monde.

(avec AFP)

Jérôme Cristiani
Commentaires 6
à écrit le 18/06/2022 à 11:47
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Si la Chine vous intéresse, lisez "Un siècle chinois" de Jean Tuan (C.L.C. Éditions), publié en avril 2022. Préfacé par Marie Holzman, sinologue respectée, ce récit évoque le parcours du père de l'auteur venu en France en 1929 depuis la Chine, leur i...

à écrit le 17/06/2022 à 18:40
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Si la Chine vous intéresse, lisez "Un siècle chinois" de Jean Tuan (C.L.C. Éditions), publié en avril 2022. Préfacé par Marie Holzman, sinologue respectée, ce récit évoque le parcours du père de l'auteur venu en France en 1929 depuis la Chine, leur i...

à écrit le 17/06/2022 à 17:55
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Bonjour, S'est moche pour les chinois, mais ils pourront toujours acheter du blé russe ... Après si ils ons gain , ils pourront toujours voir avec leur amis russe ... Personnellement ce n'est pas notre problème...

à écrit le 17/06/2022 à 10:47
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Mondialisation hideuse .

à écrit le 16/06/2022 à 14:56
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les chinois auront foutu le bazar jusqu'a la fin....et au passage ils veiennent de signer leur arret de mort; tout le monde est en train de chercher des alternatives; dans 5 ans, les investissements commenceront a porter les fruits, alors pour ce pay...

à écrit le 16/06/2022 à 12:09
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La Chine ira se servir à Moscou qui lui livrera les céréales que la Russie de Poutine aura volé à l'Ukraine. Les malfrats, les voyous, les mafieux s'entendent toujours sur les mauvais coups. L'occident devrait réserver sa production excédentaire a...

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