Airbus : l'heure "H" a sonné pour un avion à hydrogène

Alors que la pression environnementale sur l'aviation ne cesse de s'accentuer en Europe et en France en particulier, l'avionneur européen s'est lancé officiellement dans la course à l'avion à hydrogène en promettant un avion d'au moins 100 places totalement décarbonné d'ici à 2035. Ce qui constituerait un saut technologique colossal, encore plus important que le passage à l'aviation pressurisée et aux moteurs à réaction après la deuxième guerre mondiale.
Fabrice Gliszczynski
(Crédits : DR)

Airbus sort du bois. Alors que le débat fait rage en France sur la manière de réduire l'impact environnemental du transport aérien entre les tenants d'une taxation lourde pour limiter le trafic et les partisans de l'aviation, convaincus eux par la capacité d'innovation des industriels de l'aéronautique à concevoir un avion propre et maintenir ce mode de transport déterminant pour l'économie mondiale, le constructeur aéronautique européen s'est officiellement lancé ce lundi 21 septembre dans la course à l'avion à hydrogène. Objectif : être le premier constructeur aéronautique mondial à mettre en service d'ici à 2035 un tel avion qui émettrait, non plus du dioxyde de carbone (CO2), comme c'est le cas aujourd'hui avec le kérosène, mais de la vapeur d'eau. Une planche de salut pour l'aviation, laquelle, même si elle ne représente que 2 à 3% des émissions mondiales de CO2, est prise en grippe par une partie de la population, essentiellement en Europe.

« Il s'agit d'un moment historique pour l'ensemble du secteur de l'aviation commerciale, et nous entendons jouer un rôle de premier plan dans la transition la plus importante que notre industrie ait jamais connue. Notre vision d'un avenir "zéro-émission" pour l'aviation est audacieuse, et les concepts que nous dévoilons aujourd'hui livrent au monde un aperçu de notre ambition en la matière », a déclaré Guillaume Faury, CEO d'Airbus. « Je suis convaincu que l'hydrogène, utilisé aussi bien dans les carburants synthétiques que comme source d'énergie primaire, peut permettre de réduire significativement l'impact climatique de l'aviation », a-t-il ajouté.

Pour le ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari, « c'est la meilleure réponse à cet 'aviation-bashing' qu'on observe depuis plusieurs mois ».

L'an dernier encore, Airbus n'évoquait pas l'hydrogène quand il parlait d'avion décarboné. Ce n'est que début mars, lors d'une audition au Sénat, que Guillaume Faury faisait pour la première fois la promotion de cette énergie. Mais, en pleine crise sanitaire, ses propos passèrent inaperçus. En juin, quand le gouvernement français accompagnait son plan de relance à l'aéronautique d'une feuille de route pour mettre en service un avion à hydrogène d'ici à 15 ans, il était clair qu'Airbus avait décidé de se lancer corps et âmes dans cette technologie.

Trois concepts

C'est ce qu'il annonce aujourd'hui en présentant trois concepts d'avions à hydrogène, tous désignés par le nom de code « ZEROe » : le premier correspond à un turboréacteur alimenté par une turbine à gaz modifiée, capable de transporter 120 à 200 passagers sur des vols de 3.500 kilomètres. L'hydrogène liquide serait stocké dans des réservoirs situés à l'arrière de l'avion. Le deuxième concept est celui d'un avion à moteurs turbopropulseurs (à hélices) comme ceux construits aujourd'hui par ATR, la filiale commune entre Airbus et l'industriel italien Leonardo. Egalement alimenté par la combustion de l'hydrogène dans des turbines à gaz modifiées, ces appareils seraient capables d'embarquer jusqu'à 100 passagers sur des distances de 1.800 kilomètres. Le troisième concept est carrément disruptif puisqu'il s'agit d'une aile volante. Si sa capacité serait similaire à celle du turboréacteur, sa silhouette offrirait de multiples possibilités pour le stockage de l'hydrogène et permettrait d'embarquer plus d'hydrogène à bord.

Lancement du programme en 2028

Pour une entrée en service à l'horizon 2035, Airbus entend lancer un programme industriel vers 2028. Reste à savoir de quel appareil il s'agira : d'un turbopropulseur de 100 places volant sur des routes de 1.800 kilomètres, ou d'un turboréacteur ou d'une aile volante de 120 à 200 sièges sur une distance de 3.500 km, plus proche de l'A320 en termes de capacité.

"Fondamentalement, nous savons que nous ferons voler un avion à hydrogène. Mais quelle taille, quel rayon d'action, il est trop tôt pour le dire aujourd'hui. Nous pourrons répondre à cette question avant 2024-2025", a expliqué Jean-Brice Dumont, Executive Vice-Président Engineering d'Airbus, lors d'une conférence téléphonique.

Il est pourtant clair que si Airbus parvenait à lancer un avion à hydrogène de 120 à 200 sièges, il frapperait un énorme coup par rapport à Boeing, aujourd'hui en grande difficulté en raison de la suspension depuis plus de 18 mois du 737 MAX pour des raisons de sécurité. Car cet appareil pourrait être le successeur de l'A320 et se positionner sur le marché des monocouloirs actuels qui représentait, avant la crise sanitaire, plus de 70% des ventes mondiales d'avion. Car, comme le fait remarquer un observateur, même si son rayon d'action est moindre que l'A320 actuel, la quasi-totalité des avions moyen-courriers sont aujourd'hui exploités sur des étapes de 1.200 miles nautiques (2.200 km) que l'avion hydrogène, qu'il soit un turboréacteur ou une aile volante, pourrait donc assurer. Si un tel avion était donc conçu sur le moyen-courrier, les bénéfices environnementaux pour l'aviation seraient énormes à l'échelle mondiale.

Lire aussi : Un Airbus à hydrogène en 2035 ? Dans 5 ans, on saura si c'est possible !

Par ailleurs, en se lançant dans l'avion à hydrogène, Airbus se protège par rapport à une offensive des industriels chinois, lesquels pourraient être tentés également de se lancer dans cette aventure pour faire un saut technologique majeur afin de rattraper leur retard sur Airbus et Boeing.

Les difficultés du stockage

L'avion à hydrogène ne sera pas une partie de plaisir. La complexité ne viendra pas tant de la manière d'utiliser l'hydrogène que de son stockage et de son transport dans l'avion. C'est même "la principale difficulté de l'hydrogène", faisait remarquer en juillet Patrick Gandil, le directeur de la direction générale de l'aviation civile (DGAC), qui vient de quitter ses fonctions.

En effet, l'hydrogène étant un gaz extrêmement léger, impossible de l'embarquer à l'état gazeux. Les volumes nécessaires pour faire voler un avion sont inimaginables et il est donc indispensable d'augmenter la densité de l'hydrogène. Pour cela, il faut le comprimer en le faisant passer à l'état liquide. Or, l'hydrogène ne se liquéfie qu'à partir de -253° avec une pression de 1,0131 bar. Pour y parvenir, l'utilisation de réservoirs cryogéniques s'impose, comme dans les fusées.

Problème : sans même parler de l'extrême variation de température entre celle des réservoirs et celle observée dans les moteurs (1.500° pour les parties les plus chaudes, 800° pour les plus fraîches), la taille volumineuse et la forme cylindrique ou sphérique que doivent avoir les réservoirs empêchent de les placer dans les ailes comme c'est le cas aujourd'hui avec le kérosène.

Airbus ne part pas d'une feuille blanche. L'avionneur est présent depuis des années dans le domaine spatial.

Dix milliards d'euros de recherche et développement

Le saut vers l'avion décarboné ne se fera pas sans aide. Le gouvernement français a prévu apporter 1,5 milliard d'euros dans l'avion à hydrogène d'ici à 2022. Au total, selon Patrick Gandil, le programme de recherche et développement est évalué à 10 milliards d'euros et sera financé à 50-50 entre les pouvoirs publics et les industriels de l'aéronautique. Il faudra ensuite qu'Airbus débourse une quinzaine de milliards de dollars pour le développement du programme.

Il ne se fera pas non plus sans aménagement des aéroports. Sans même parler de l'installation sur les sites aéroportuaires d'une usine de production d'hydrogène, la silhouette des avions pourrait nécessiter un aménagement des infrastructures (quand l'avion est au contact du terminal) notamment, mais aussi une augmentation du nombre de points de contact puisque le temps de demi-tour des avions devrait être plus long que celui des appareils actuels.

Surtout, l'avion totalement décarboné ne passera pas sans le développement d'une filière d'hydrogène vert, c'est-à-dire qu'il ne doit pas être produit avec des énergies fossiles.

Lire aussi : La France veut produire un "hydrogène propre" à partir du nucléaire, avec l'Allemagne

Lire aussi : Industrie, transports, recherche: le gouvernement détaille son plan hydrogène

Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 18
à écrit le 22/09/2020 à 10:37
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L'énergie contenue dans l'Hydrogène est connue depuis très longtemps (c'est autrement plus sérieux que les délires éoliens!). Mais si elle n'a pas été employée en aéronautique depuis tout ce temps, c'est qu'il y a de bonnes raisons. l'H2 pose des pro...

à écrit le 22/09/2020 à 9:57
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La covid serait-elle une machination pour faire obtenir des états des financements, certaines elites ayant constaté au dernier moment, face au mur, que aucun autre moyen qu'un choc artificiel pouvait contraindre les peuples à accepter sans moufter (c...

à écrit le 22/09/2020 à 9:53
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Toutes ces technologies " vertes" masquent le principal problème des transports. Il faut des quantités phénoménales d'énergie pour construire les machines, les infrastructures et la production de carburant. Le problème, ce sont les transports en g...

à écrit le 22/09/2020 à 9:47
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vous semblez oublier que 2035 est un bon horizon dans la mesure ou c'est aussi a peu près celui du début de la pénurie de pétrole et je gagerai bien que cela est la réflexion de fond ,tant mieux au moins le covid aura eu ce seul effet bénéfique .

à écrit le 22/09/2020 à 9:37
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En général on parle du produit après sa sortie mais là on en parlera "longtemps" longtemps... avant parce que l'on n'en parlera plus après!

à écrit le 22/09/2020 à 8:34
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Dès la deuxième des cinq ou six crises du pétrole que l'on a connues depuis la guerre du Kippour, les constructeurs automobiles allemands ont à chaque fois juré leurs grands dieux qu'ils travaillaient sur la voiture á hydrogène, en révélaient un pro...

à écrit le 22/09/2020 à 8:23
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Quand on voit que nos milliardaires européens se vautrant sans arrêt dans la facilité rentière à savoir le dumping social, fiscal et environnemental, quand on voit l'UE s'être faite totalement dépasser dans tous les domaines technologiques qu'il soit...

à écrit le 22/09/2020 à 6:08
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Brûler de l'hydrogène dans un réacteur ou une turbine ne semble pas insurmontable.... Par comptes produire de l'hydrogène vert ( sans rejet polluants) n'est pas gagnier....

à écrit le 22/09/2020 à 5:43
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En 2035, les poules auront des dents en platine.

à écrit le 22/09/2020 à 3:16
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Effet d'annonce, du vent.

à écrit le 21/09/2020 à 23:24
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"Objectif : être le premier constructeur aéronautique mondial à mettre..." BLA BLA BLA BLA BLA ça n'arrivera JAMAIS, airbus ne mettra jamais un tel avion en service avant les autres constructeurs... vous verrez, quand on sera en 2035, il vont décaler...

à écrit le 21/09/2020 à 23:08
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Qui osera monter dans ce pétard volant ? Pensez aux beaux feu d'artifices Zeppelin Endinbourgh, quelques fusées, Challenger... L'hydrogène n'est pas compatible avec l'exigence de sécurité des vols.

à écrit le 21/09/2020 à 20:49
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Et la production d’hydrogène se fera naturellement sans émissions de CO2... Ca ou de la poudre de perlimpinpin ! L’hydrogène s’obtient - soit par électrolyse au prix d’un rendement abominable avec de l’électricité produite par le nucléaire ou...

le 21/09/2020 à 21:40
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@Pierre, vous avez raison. C'est comme le train, il faut prendre en compte le CO2 émis pour construire les voies, les ponts, les ouvrages d'art en général, percer des tunnels,... avant de dire qu'il pollue moins que l'avion. L'avion c'est une piste à...

le 21/09/2020 à 23:39
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le rendement global aujourd'hui est de 0,6 et ce n'est pas le problème quand la ressource est inépuisable . Le rendement des moteurs à pistons n'est pas la référence car là on prélève sur les réserves de pétrole en pure perte . De plus les électro...

le 22/09/2020 à 11:13
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Un rapport récent de l'ADEME, janvier 2020, indique que le rendement de l'hydrogène en considérant la totalité de la chaîne était de 25% et non de 60% cher Pac ! Par ailleurs, j'ai consulté d'autres analysés qui disent que c'est autour de 20%. Evid...

le 22/09/2020 à 11:48
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Oui mais quand vous décarbonez du gaz naturel ou tout autre combustible fossille le CO2 est enfantin à extraire et vous obtenez après extraction CO2 un hydrogène qui est déjà à plus de 97% de concentration, il suffit donc de squestrer le CO2 ce qui n...

à écrit le 21/09/2020 à 20:42
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le pb actuel c'est pas l'hydrogene, c'est le covid et pour des avions petite taille ils auront vite embraer et les chinois en face, et bcp moins chers........

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