
Depuis un an et demi, responsables des ressources humaines et représentants syndicaux d'Airbus négocient pour remettre à plat et harmoniser les accords salariaux du groupe en France. Et ce travail de longue haleine, identifié en interne sous le nom « Reload », s'est achevé cette semaine au cours d'une séquence décisive : jusque-là abordés séparément, les principaux thèmes sont désormais discutés de façon globale afin d'arriver à un accord final le mois prochain. L'objectif est d'être prêt pour une application au 1er janvier 2024, de manière coordonnée avec la nouvelle convention collective de la métallurgie signée en février 2022 (après sept ans de négociation).
« C'est la dernière ligne droite avec la revue d'un certain nombre de thèmes majeurs sur lesquels nous travaillons depuis plusieurs mois », indique Françoise Vallin, coordinatrice CFE-CGC pour le groupe Airbus. Après s'être réunis une à deux fois par semaine tout au long de l'année dernière, la direction des ressources humaines pour la France, ainsi que les quatre syndicats représentatifs au niveau du groupe - FO (41,3 %), CFE-CGC (34,2 %), CFTC (13,2 %) et CGT (11,3 %) - sont sur le point de parachever leur travail. Depuis lundi, les séances de travail s'enchaînent avec pour objectif de se conclure ce jeudi.
150 accords remis à plat
L'enjeu est de taille car il s'agit de remplacer près de 150 accords salariaux en vigueur dans les différentes entités du groupe, dont certains datent de 1970, par une dizaine. Les salariés travaillant sur les avions commerciaux comme ceux des principales filiales comme Airbus Helicopters, Airbus Defence & Space, Airbus Atlantic ou ATR, ou des sociétés plus petites comme NavBlue, seront désormais alignés sur les mêmes critères. Une harmonisation qui doit renforcer la cohésion du groupe et faciliter la mobilité interne.
Pour Mikaël Butterbach, directeur des ressources humaines d'Airbus pour la France, Reload doit amener « la simplification et la modernisation de nos règles de vie, mais aussi assurer la performance économique de notre entreprise ». C'est aussi un enjeu d'attractivité, particulièrement dans cette phase de remontée en cadence post-crise sanitaire.
Les discussions ont porté autour de grands axes, parmi lesquels se trouvent le temps de travail, en particulier sur l'annualisation voulue par la direction mais aussi l'harmonisation entre les différentes entités du groupe, la rémunération avec là aussi un enjeu d'uniformisation des règles au niveau du groupe mais aussi d'adaptation à la nouvelle convention collective de la métallurgie, les congés, ainsi que la fin de carrière avec une partie spécifique sur le compte épargne-temps (CET).
L'accord finalisé sera soumis aux syndicats pour une relecture globale entre le 23 et le 25 janvier. Les représentants syndicaux le soumettront alors à leur base, pour une mise en signature espérée début février. A partir du printemps, les autres thèmes seront abordés, dont la responsabilité sociale et environnement, la santé-sécurité au travail, les conditions de travail, le travail hybride et le télétravail, ou encore l'épargne salariale. Les négociations s'étendront jusqu'en juillet 2023, avec là aussi l'objectif d'être prêt pour début 2024.
Un équilibre à trouver
Les différents représentants syndicaux se gardent bien de prendre une position affirmée sur le futur texte en amont de cette dernière lecture. Il en est de même côté direction, où Mikaël Butterbach insiste avant tout sur le sérieux des négociations menées jusqu'ici. Celles-ci semblent avoir été basées sur des principes d'équilibre, avec des avancées sociales compensées par des concessions de la part des syndicats, afin de conserver un coût social similaire pour l'entreprise. Le coût de mise en oeuvre de ce plan ou encore son impact économique par la suite n'ont néanmoins pas été communiqués.
Coordinateur de FO, syndicat majoritaire, Dominique Delbouis affiche en tout cas son ambition d'arriver à « l'un des meilleurs, voire le meilleur accord dans la métallurgie ». S'il affirme qu'il reste encore du travail, il affiche sa satisfaction devant certains des éléments obtenus comme la mise en place de la 6e semaine de congés dès l'embauche, les 12 jours de congés pour raisons familiales (à la place des 5 jours pour enfants malades), la semaine supplémentaire pour l'arrivée d'un enfant (naissance ou adoption) ou encore la garantie à 100 % des droits déjà acquis par les salariés au cours de leur carrière.
En contrepartie des concessions ont donc été faites, notamment sur l'annualisation du temps de travail qui était une « ligne dure » chez FO depuis 30 ans. Dominique Delbouis conditionne d'ailleurs ce point à la conclusion d'accords locaux dans les divisions Avions commerciaux et Airbus Atlantic pour la gestion des heures supplémentaires.
Pour la CFE-CGC, Françoise Vallin note aussi des améliorations dans un grand nombre de domaines comme la rémunération par rapport aux minimas fixés par la nouvelle convention collective, comme cela a toujours été le cas chez Airbus. A l'inverse, elle note la perte du préavis de un à deux mois payés mais non-travaillés pour les salariés partant à la retraite.
Les derniers blocages à lever
Pour cette dernière semaine, Françoise Vallin avance que des équilibres devaient encore être trouvés. Parmi les derniers points d'achoppement, la représentante de la CFE-CGC souhaitait lisser le changement des règles de cotisation pour les comptes épargne-temps avec une période transitoire de trois ans là où la direction n'en propose qu'un.
Michel Molesin, coordinateur de la CGT au niveau du groupe, évoque l'annualisation du temps de travail. Il craint que cela implique un décompte des heures supplémentaires lissées entre les mois pleins et les mois creux, la charge de travail variant parfois fortement tout au long de l'année, avec une perte pour les salariés. Mikaël Butterbach reconnaît qu'il y aura un effet sur la majoration, mais assure que cela ne représente qu'une part très faible et que le travail est en cours avec les syndicats pour s'assurer qu'il n'y aura pas de perte de rémunération.
Le représentant de la CGT pointe également, parmi d'autres choses, une perte de souplesse sur les horaires ou le fait que le temps d'habillage ne soit plus comptabilisé comme du temps de travail.
Une nouvelle classification unique
En parallèle de ces thèmes, les discussions se poursuivent sur l'adaptation de la nouvelle classification des salariés, soit l'une des réformes les plus importantes mises en place par la nouvelle convention collective. Elle établit une grille unique pour l'ensemble des travailleurs, là où les cadres disposaient jusqu'ici d'un barème spécifique. Cela ne remet pas en cause leur statut pour autant. Cette nouvelle grille, qui concernera 50.000 personnes au niveau du groupe Airbus en France, pose un autre changement fondamental : les personnels ne seront plus évalués et classés en fonction de leur parcours mais de leur poste.
La mise en place de la nouvelle classification ne donnera pas lieu à la signature d'un texte spécifique car il s'agit d'une application directe de la nouvelle convention. En revanche, un accord de méthode avait été signé au préalable entre la direction et les syndicats pour cadrer les négociations. Aujourd'hui, le travail arrive à son terme comme l'explique Mikaël Butterbach. Pas moins de 2.500 fiches emplois ont été définies avec l'aide de 500 managers du groupe, et la cartographie des métiers est en train d'être finalisée.
Les salariés recevront leur nouvelle fiche le mois prochain, ce qui leur laissera un peu de temps pour s'en saisir d'ici au 1er janvier 2024. Des clauses de revoyure sont prévues avec les syndicats d'ici là pour permettre des ajustements « à la marge » selon le DRH. Il garantit aussi qu'aucune perte de salaires n'aura lieu.
Du côté de Michel Molesin et de la CGT, on demande encore un certain nombre de garde-fous pour éviter de potentielles dérives sur le déroulement de carrière. Le coordinateur syndical voudrait ainsi voir la mise en place de « clapets anti-retour » pour éviter des déclassements en fin de carrière, en particulier lorsque les compagnons sont transférés vers des postes de moindre pénibilité en raison de leur âge.
Cette revendication sur la garantie de rémunération au cours des évolutions de carrière est aussi portée par FO. Dominique Delbouis précise que cela nécessite d'aller au-delà de la convention collective, qui ne le garantit que pour une période de transition.
Unanimité sur la santé-prévoyance
Si le gros morceau reste à faire, des évolutions se sont déjà concrétisées dans le cadre de Reload. C'est le cas du volet santé-prévoyance, signé par l'ensemble des organisations syndicales représentatives au niveau du groupe et appliqué depuis octobre 2022. Mikaël Butterbach estime qu'il apporte un progrès important en plaçant Airbus « tout en haut du benchmark des entreprises en France ». Il marque aussi la fin de la distinction entre cadres et non-cadres pour les niveaux de couverture. Pour couvrir ces améliorations, le groupe a dû augmenter ses cotisations de 20 %, répartis entre l'entreprise et les salariés.
Rien ne garantit aujourd'hui que l'accord actuellement en discussion connaisse une telle unanimité. Si elle ne se prononce pas encore pour le moment sur Reload, la CGT n'a pas approuvé la nouvelle convention collective. Pour autant, au vu des règles de représentativité et des rapports de force entre les syndicats, cela ne condamne pas la validation du futur texte. Au vu des poids à la signature, deux syndicats signataires peuvent ainsi suffire.
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