Cessions immobilières : pourquoi le ministère des Armées a perdu des dizaines de millions d'euros

Le rapport de la Cour des Comptes montre en quoi les intérêts de l'État en tant que vendeur ont été insuffisamment pris en compte dans les différentes procédures de cessions. Bilan, une perte de plusieurs dizaines de millions d'euros pour l’État.
Michel Cabirol
Le transfert de l'hôtel de la Marine au au Centre des monuments nationaux n'a donné lieu à aucune compensation pour le ministère des Armées.
Le transfert de l'hôtel de la Marine au au Centre des monuments nationaux n'a donné lieu à aucune compensation pour le ministère des Armées. (Crédits : Hôtel de la Marine)

Dans la construction des lois de programmation militaire (LPM) de 2009-2014 puis 2014-2019, il y a les intentions et les projections plus ou moins crédibles, puis la réalité des faits et, enfin, le bilan. Le rapport de la Cour des comptes sur le bilan des cessions immobilières parisiennes du ministère des Armées est à ce titre particulièrement saisissant : rien ou presque ne s'est passé comme il était prévu que cela se passe. A l'arrivée, les intérêts pécuniaires et patrimoniaux de l'État français ont été mis à mal dans le cadre de ces cessions impératives pour abonder les budgets des armées. Ces cessions étaient, selon la Cour des comptes, "une nécessité absolue pour le ministère des armées". Mais les recettes exceptionnelles intégralement reversées au ministère des Armées, sont très souvent arrivées en décalage avec les projections initiales de l'Hôtel de Brienne.

"Pour plusieurs de ces cessions, le choix de les réaliser au plus tôt pour respecter les délais fixés par la LPM, a conduit l'État à prendre des risques dans les négociations et à ne pas saisir des opportunités de céder à meilleur prix", a souligné le rapport de la Cour des comptes.

Au-delà, c'est également l'histoire d'un manque de vision politique flagrant à partir de la fin des années 90 sur les questions de défense mais aussi de géopolitique à travers les LPM, dont les exécutions annuelles ont été très souvent sujettes jusqu'en 2017 à des coupes. Clairement, le budget du ministère des Armées a servi de variable d'ajustement idéale en faveur du budget général. Et c'est ce qui a généré des aberrations - certains diront des paris - dans la construction des LPM à partir de 2009 en vue de compléter les budgets de défense en essayant de trouver des ressources dites exceptionnelles pour les armées, dont le rôle est pourtant de défendre la France et les Français. D'où l'histoire affligeante des cessions immobilières du ministère des Armées décrite par la Cour des comptes.

Des cessions qui représentent plus de 1 milliard d'euros

Compte tenu de la valeur estimée de l'ensemble du patrimoine immobilier du ministère des Armées, les LPM 2009-2014 puis 2014-2019 ont prévu que les produits de cessions immobilières constitueraient pour le ministère des armées de nouvelles ressources impératives à l'équilibre budgétaire global des budgets des armées. Pourtant, les sages de la rue Cambon avaient à plusieurs reprises alerté du caractère aléatoire (montant des transactions et calendrier) de ces ressources exceptionnelles.

La vente des biens immobiliers parisiens (au total 13 opérations) est à l'origine des principales recettes immobilières exceptionnelles réalisées au cours de cette période, puisqu'elle représente près de 60 % des produits de cessions immobilières du ministère des Armées, réalisées entre 2009 et 2019, avec un montant cumulé de 1,06 milliard d'euros. Au total sur la période, le montant cumulé des recettes a "dépassé 1,8 milliard d'euros pour plus d'un millier d'opérations", selon la Cour des Comptes.

Pourquoi les armées ont perdu de l'argent

Paradoxalement, le ministère des Armées aurait pu perdre beaucoup plus d'argent. L'arrêt de l'opération Vauban, qui regroupait la vente de huit biens ayant la plus grande valeur que l'État voulait vendre au plus vite dans le cadre d'une cession d'ensemble de gré à gré (caserne Reuilly, caserne Lourcine, trois lots pour l'ensemble de Penthemont, îlot Saint Germain, Hôtel de l'Artillerie, caserne de la Pépinière), a finalement permis au ministère d'obtenir des transactions plus juteuses. La valeur de cet ensemble avait été fixée à 734 millions d'euros, dont 214 millions pour l'îlot Saint-Germain, selon une estimation réalisée au moment de l'élaboration de la LPM 2009-2014. Une nouvelle évaluation réalisée à l'automne 2009 par France Domaine, avait abouti à un montant de 744 millions d'euros, dont 320 millions pour le seul îlot Saint-Germain.

"Dix ans après, la plus-value finalement réalisée représente une augmentation de 15 % environ par rapport au produit attendu par le ministère des Armées en 2009, et de 66 % par rapport à la proposition du consortium CDC/SOVAFIM", explique la Cour des Comptes. Soit un prix des ventes de 855,8 millions d'euros, dont 368 millions pour le seul îlot saint-Germain. Soit une plus-value de 111,8 millions. Voire plus puisque certains biens ont été finalement gardés par l'État (178,5 millions).

Pour autant, la Cour des comptes reste très critique sur cette opération d'envergure. "La nécessité pour le ministère des armées de réaliser les cessions parisiennes dans le respect des délais fixés par les LPM successives a conduit l'État, dans certains cas, à prendre des risques juridiques et à ne pas être en mesure de saisir des opportunités de céder à meilleur prix en raison de l'impératif de rapidité qu'il s'est imposé", explique-t-elle. Ainsi, le processus de quatre opérations de cession à Paris "laisse penser que le ministère des armées a pesé pour une réalisation rapide de la négociation afin de garantir un encaissement dans les délais contraints de la LPM. Cette impatience et ce volontarisme ont parfois entraîné une issue moins favorable ou une prise de risque dans la conclusion de la vente".

C'est notamment le cas de la vente de l'ensemble immobilier Bellechasse-Penthemont (7ème arrondissement de Paris), qui a été cédé par appel d'offres en un seul tour en juin 2014 à la SCI Bellechasse-Penthemont pour 137,15 millions d'euros. La cour des Comptes estime que si le ministère avait accepté d'organiser un second tour, cela aurait permis "de majorer, même à la marge, le prix de cession", estime-t-elle. Cependant, le processus de l'opération "aurait également prolongé le délai de réalisation de la vente au-delà de 2014", année où le ministère avait un besoin crucial de cette ressource exceptionnelle, explique la Cour. C'est également le cas de la cession du terrain du boulevard Ney (18ème arrondissement). Ce bien a été cédé à la société d'HLM EFIDIS pour 8,11 millions alors que la valeur de l'ensemble immobilier était évaluée à 49 millions d'euros et celle du terrain nu à 24,9 millions.

"Le choix de réaliser au plus tôt les cessions a placé l'État vendeur dans une position de faiblesse dans les négociations. Des risques juridiques ont été pris et des opportunités de céder à meilleur prix n'ont pas été saisies en raison de l'impératif de rapidité", analyse la Cour des comptes. En outre, le ministère des Armées a finalement transféré quatre biens, dont l'Hôtel de la Marine, à d'autres ministères au lieu de les céder. Mais comme le rappelle la Cour des Comptes, "des compensations financières, pourtant prévues et actées, au titre du transfert de plusieurs immeubles (caserne Gley et Val-de-Grâce) n'ont pas encore été régularisées". Enfin, il est à noter que le transfert de l'hôtel de la Marine au Centre des monuments nationaux, sous la tutelle du ministère de la culture, n'a donné lieu à aucune compensation en faveur du ministère des Armées.

La Cour des Comptes critique les méthodes de vente utilisées par le ministère des Armées, qui a joué en sa défaveur. "La procédure de cession avec publicité et mise en concurrence, même si elle a représenté en valeur 77% du produit total, a constitué une exception pour les cessions immobilières du ministère des armées à Paris", explique-t-elle. En dépit de la valeur des sites parisiens du ministère et de leur caractère exceptionnel, lié à leur emplacement géographique ou à leur qualité architecturale, le recours à une procédure avec mise en concurrence n'a concerné que quatre opérations de vente sur douze (l'ensemble Bellechasse-Penthemont, la partie privée de l'Îlot Saint-Germain, la Caserne de la Pépinière et un immeuble boulevard de La Tour-Maubourg.

Comment la Mairie de Paris a plombé les cessions

Si l'impératif de réaliser les ressources exceptionnelles pour la mise en œuvre de la LPM a mis l'État vendeur en position de faiblesse face aux éventuels acquéreurs, la politique opportuniste sur le logement social de la ville de Paris a compliqué la tâche du ministère des Armées pour obtenir ces fameuses ressources exceptionnelles. La stratégie de la ville de Paris a été facilitée par sa faculté d'exercer son droit de priorité sur tout projet de cession en vertu des dispositions du code de l'urbanisme, et aussi par les possibilités que lui a offertes, à partir de 2013, l'entrée en vigueur de la loi du 18 janvier 2013 sur la mobilisation du foncier public en faveur du logement, dite loi Duflot.

Ce dispositif permet une décote sur la valeur des biens cédés lorsque la cession a pour but la création de logements sociaux. Ce sera le cas pour trois biens, dont une partie de l'îlot Saint-Germain, d'un immeuble boulevard du Montparnasse et de la caserne de Reuilly. Ainsi, "la contribution du ministère des armées à la politique en faveur du logement à Paris, sous forme de moins-value sur ses recettes  attendues, a pesé lourd dans sa trajectoire budgétaire", souligne la Cour des Comptes. Au total, le montant des décotes accordées s'élève à près de 90 millions d'euros, dont 56,72 millions pour la partie dite sociale de l'îlot Saint-Germain vendue 29 millions. Une estimation domaniale l'avait estimée à 85,72 millions.

"Cela illustre le caractère paradoxal de l'action de l'État qui cherche à maximiser ses ressources budgétaires en fixant le prix de vente de ses cessions au niveau le plus élevé, tout en souhaitant favoriser le logement social dans les villes les plus contraintes, ce qui le conduit à imposer des obligations lourdes aux vendeurs, limitant ainsi les possibilités d'optimisation financière du foncier en zone urbaine", estiment les Sages de rue Cambon.

L'État s'est trouvé en situation défavorable, en tant que vendeur, par rapport à la ville de Paris, dans les négociations dans le cadre de contraintes d'urbanisme inhérentes à toute opération de cession immobilière, puisqu'elles affectent la valeur patrimoniale des immeubles. En outre, la ville de Paris a fait en sorte que pour la cession de l'Hôtel d'artillerie que "l'État n'ait pas d'autre choix que de le céder à la Fondation nationale des sciences politiques selon une procédure de gré à gré, qui a conduit à un prix de cession nettement inférieur aux estimations domaniales initiales". Soit un prix de vente de 87 millions d'euros en 2016 au lieu des 104 millions attendus en 2009 par le ministère des Armées.

Un ministère qui aura bu le calice jusqu'à la lie. Sur la période 2009-2014, les recettes exceptionnelles générées par des cessions immobilières n'ont pas été du tout au rendez-vous. Ainsi, l'écart entre les projections des lois de finances initiales (LFI) sur la période 2009-2014 (2,39 milliards d'euros) et les encaissements réalisés des recettes exceptionnelles (953 millions) s'est élevé à 1,44 milliard d'euros. En revanche, sur la période 2014-2019, le ministère des Armées a récupéré 173 millions d'euros de recettes supplémentaires, les ressources exceptionnelles encaissées atteignant 1,1 milliard, dont 400 millions en 2019, pour une prévision dans les différentes LFI de 928 millions d'euros. Mieux vaut tard que jamais mais...

Michel Cabirol

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Commentaires 7
à écrit le 30/05/2022 à 17:51
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Quid du contrôle general des armées dont ce genre d'affaires paraît relever?

à écrit le 30/05/2022 à 17:44
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Bonjour, Dire que cela a étaient vendu à des copain pas chère... S'est croire à la complicité de certains individus pour favoriser leur enrichissent personnelle... Maintenant l'ons dépouillement la France sous la complicité des politiques... Bien s...

à écrit le 30/05/2022 à 17:12
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Les intérêts de l'État? Je Parly que 58,5% des votants du 24 avril dernier n'ont encore pas compris que c'est une notion vide de sens pour cette Dream Team! 😂😂😂

à écrit le 30/05/2022 à 10:15
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Il me semble que ce n'est pas le ministère des armées qui vend SON patrimoine pour avoir les moyens financiers de ses acquisitions mais le ministère des finances - au moins par sa direction des domaines - qui vend le patrimoine de l'Etat pour assure...

le 30/05/2022 à 15:59
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Non c'est une mission spécifique : la Mission pour la réalisation des actifs immobiliers MRAI rattachée à a la Direction de la memoire, du patrimoine et des archives DMPA du Ministère !

à écrit le 30/05/2022 à 9:14
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Ce ne sont pas des pertes, ce sont des manques à gagner. Bien sûr, quand un journaliste vend quelque chose, il le vend toujours au prix maximum : c'est normal.

à écrit le 30/05/2022 à 8:19
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Si l'on veut vendre au plus vite et toucher sa commission, il faut en baisser les prix!

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