Aéronautique : comment construire un avion sans la Russie ?

Dans le cadre de sa neuvième édition, le Paris Air Forum réunissait, ce mardi à la Maison de la Mutualité à Paris, les dirigeants des secteurs du transport aérien, de l'aéronautique, de la défense et de l'espace. Les intervenants de la table-ronde "Comment faire un avion sans la Russie? " débattaient sur les moyens de moins dépendre des importations russes de titane, un métal stratégique pour l'aéronautique, après les sanctions occidentales à l'égard de Moscou en réponse à l'invasion de l'Ukraine.
Robert Jules
Production d'un lingot de titane sur le site de l'entreprise russe VSMPO-Avisma, à Verkhnyaya-Salda.
Production d'un lingot de titane sur le site de l'entreprise russe VSMPO-Avisma, à Verkhnyaya-Salda. (Crédits : Reuters)

A la question de savoir: "comment faire un avion sans la Russie?", thème d'une table-ronde du Paris Air Forum 2022, Raphaël Danino-Perraud, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (Ifri), résumait bien la problématique : "Un avion, c'est possible, tous les avions, c'est impossible". Tel est le défi posé par la dépendance de la filière aéronautique européenne à l'égard des matières premières fournies par la Russie, en particulier un métal stratégique : le titane.

Non soumis aux sanctions européennes

Si ce métal ne fait pas partie de la liste des produits soumis aux sanctions européennes imposées à la Russie, en rétorsion à la décision de Vladimir Poutine d'envahir l'Ukraine le 24 février dernier, le secteur aéronautique a toutefois pris conscience de la nécessité de réduire sa trop grande dépendance à ce pays fournisseur. A l'échelle mondiale, l'aéronautique ne représente que 8% de la demande mondiale de titane, dont le principal débouché est le secteur de la peinture. Mais il y a plusieurs qualités de titane, celui de qualité supérieure est utilisé dans le secteur aéronautique, notamment dans la fabrication des moteurs d'avions, avec un titane "premium".

Ainsi sur les quelque 240.000 tonnes de ce titane "qualité aéronautique" produites sous la forme d'éponges, de lingots, de produits semi-finis, ou encore de pièces, le Japon en fournit à lui seul 50%, la Russie 30% à 40%, notamment à travers son entreprise ​​VSMPO-AVISMA, suivi du Kazakhstan. L'Arabie Saoudite sera prochainement présente sur ce marché, et va devenir une source de diversification une fois la qualification aéronautique obtenue. Jusqu'au conflit, le secteur aéronautique européen dépendait de 30% à 50% de ses besoins de la Russie. Aux Etats-Unis, Boeing a annoncé sa volonté de se passer des importations russes en se tournant davantage vers le Japon, mais pas avant la fin 2022.

Cette nécessité de devoir trouver des alternatives pousse les pouvoirs publics à organiser les acteurs pour rationaliser les besoins. "Chaque mardi, une "task force" sur les besoins en métaux réunit les différents acteurs dont le Gifas pour évaluer l'état des stocks et définir à quelle échéance cette filière d'excellence se retrouverait en danger", explique Oriane Chenin, sous-directrice des matériels de transport, de la mécanique et de l'énergie à la Direction générale des entreprises (DGE).

L'Etat a en effet d'autant mieux réagi que le conflit est venu s'ajouter aux perturbations des chaînes d'approvisionnement entraînées par la crise de la pandémie qui a par ailleurs fait prendre conscience au gouvernement de la nécessité de retrouver une partie de la souveraineté sinon française du moins européenne sur des filières stratégiques, notamment sur les marchés des métaux stratégiques, comme en témoigne la publication d'un rapport rédigé par Philippe Varin.

Coentreprise avec un groupe kazakh

La réflexion de réduire la dépendance au titane russe ne date d'ailleurs pas du conflit russo-ukrainien. "Airbus voulait diversifier ses importations de titane il y une dizaine d'années", rappelle Julien Burdeau, directeur de la transformation et de la stratégie d'Aubert & Duvalentreprise qui a inauguré en France en 2012 UKAD, une co-entreprise de fabrication de produits de titane créée avec le groupe kazakh UKTMP, pour être plus proche des donneurs d'ordre et développer un modèle plus intégré en France.

Mais le conflit en Ukraine complique la donne. "Nous subissons les conséquences de la guerre qui perturbe la logistique  et l'approvisionnement notamment pour les lingots de titane en provenance du Kazakhstan", souligne Julien Burdeau, précisant qu'en raison du conflit, "de nombreux industriels reportent leurs demande de demi-produits et pièces en titane sur nous". Car l'entreprise russe VSMPO-AVISMA ne fournit pas seulement des éponges et des lingots mais aussi des produits semi-finis et des pièces. Une opportunité pour Aubert & Duval qui emploie 3.500 salariés. "Il faut se substituer à tout ce panel", pointe Julien Burdeau, qui rappelle que le secteur de l'aéronautique sort de deux ans de vaches maigres en raison de la pandémie. "Le défi est de redémarrer les chaînes de production et nous connaissons des tensions en matière de compétence", souligne-t-il. En outre, il faut prendre en compte "la hausse des prix des matières premières, surtout celle du prix de l'énergie, en particulier de l'électricité et du gaz, qui vont tripler et se surajouter aux autres coûts. Ce n'est pas soutenable", avertit-il.

La piste du recyclage

"Si à court terme, il faut se tourner vers d'autres pays pour réduire la dépendance à la Russie, à moyen terme, il est nécessaire de diversifier nos approvisionnements pour retrouver notre souveraineté ce qui passe également par le développement du recyclage du titane pour avoir un offre complémentaire", affirme Oriane Chenain.

Dans ce cas aussi, la démarche avait été déjà engagée avant le conflit. "Nous avons créé avec EcoTitanium une unité de recyclage", rappelle Julien Burdeau. Mais l'activité à peine démarrée fin 2018 a été pénalisée par la pandémie. Relancée fin 2021, elle a pour objectif de produire chaque année 4.000 tonnes, soit 10 à 15% des besoins, à comparer aux 30% couverts par le titane russe.

Le processus consiste à récupérer les copeaux de titane (90% du métal utilisé dans la production aéronautique finit en chutes) pour produire des éponges, des lingots, des demi-produits et des pièces en titane. Jusqu'à récemment, ils étaient expédiés en majeure partie aux Etats-Unis.

Si le recyclage ne peut réduire qu'en partie la dépendance, il offre néanmoins d'autres avantages. "Le titane issu du recyclage présente un meilleur bilan en matière environnementale, énergétique, et d'émissions de CO2 que celui du titane issu de l'extraction minière", souligne Raphaël Danino-Perraud, qui rappelle qu'il s'agit d'une "stratégie de long terme''. Les choix qui sont faits aujourd'hui ne produiront leurs résultats que dans dix ans".

Un enjeu qui ne se réduit d'ailleurs pas au seul cas du titane. La guerre en Ukraine, après la crise de la pandémie et les perturbations dans les chaînes d'approvisionnement et l'envolée des prix des matières premières ont fait évoluer non seulement le secteur de l'industrie mais aussi les décideurs politiques. "Il y a désormais  une prise de conscience des enjeux en matière de souveraineté, de recyclage et de décarbonation en France mais aussi au niveau européen", conclut Oriane Chenin.

Robert Jules

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Commentaires 3
à écrit le 08/06/2022 à 13:57
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Moins d'avions, ce n'est pas pour me déplaire.

à écrit le 08/06/2022 à 8:24
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Merci de faire bénéficier les constructeurs de votre expertise. Le titane est utilisé pour des pièces à très forte contrainte et/ou très forte température, il n'est pas facilement remplaçable. Cela a même posé des problèmes aux russes pour les caisso...

à écrit le 08/06/2022 à 7:26
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Bonjour, Réalisation d'avion avec beaucoup moins de titane.... L'ons utiliser les composites, ou des alliages novateur.... Nous ne sommes pas les premiers à qui les ressources manque

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