C'est un bel uppercut à tous ce qui pouvaient douter de l'influence de la France en Indo-Pacifique après le douloureux coup de poignard dans le dos donné par l'Australie. La vente des 42 Rafale à l'Indonésie "est une vente qui clairement crédibilise, s'il en était besoin, la stratégie Indo-Pacifique de la France", a d'ailleurs asséné le porte-parole du ministère des Armées, Hervé Grandjean. Après la trahison de l'Australie vis-à-vis de la France au profit de l'alliance anglo-saxonne AUKUS (Etats-Unis, Grande-Bretagne), c'est donc dans le quatrième pays le plus peuplé au monde (265 millions d'habitants), que Paris a su rebondir dans cette région, où la France est une nation riveraine aussi bien de l'océan Indien que de l'océan Pacifique.
Le contrat de 42 Rafale, qui doit encore être mis en vigueur, et la probable commande de deux sous-marins Scorpène, lui permettent de sortir par le haut en Indo-Pacifique, où vivent également 1,65 million de Français environ. L'Indonésie est d'ailleurs le deuxième pays de cette zone à acquérir le Rafale après l'Inde. Cette nouvelle commande "renforce nos partenariats en Indo-Pacifique", a d'ailleurs twitté jeudi le président de la République Emmanuel Macron. L'Indonésie est "un partenaire extrêmement important pour la France en Asie et ce contrat s'inscrit pleinement dans la stratégie Indo-Pacifique du président de la République, qui avait été déclinée par la ministre (des Armées Florence Parly, ndlr) en une stratégie de défense pour l'Indo-Pacifique", a confirmé jeudi le porte-parole du ministère des Armées.
Satellites d'observation et munitions
Au-delà de ces outils capacitaires que sont le Rafale et le Scorpène qui procurent une formidable puissance opérationnelle, la France a également signé avec l'Indonésie des protocoles d'accord pour la vente de deux satellites d'observation et de munitions destinées au système d'artillerie autotractés Caesar. Dans ce cadre, Thales Alenia Space a signé un memorandum of understanding (MoU) avec l'indonésien PT LEN Industri tandis que Nexter a de son côté paraphé un MoU avec PT Pindad pour la production de munitions destinées à des plateformes terrestres. "Nous sommes heureux que l'Indonésie ait choisi la France pour la modernisation de ses équipements de défense et je pense que les entreprises indonésiennes peuvent devenir des partenaires", a estimé Florence Parly à l'issue de la cérémonie de signatures.
Avec cet accord stratégique très large en Indonésie, la cicatrice laissée par AUKUS devrait se refermer un peu plus vite. La trahison de l'Australie a-t-elle eu une influence sur les négociations entre Jakarta et Paris en les freinant ou en les accélérant ? "Ni dans un sens, ni dans l'autre", a assuré Hervé Grandjean. "Indépendamment des vicissitudes qui peuvent exister sur un contrat en particulier, nous déployons" notre stratégie Indo-Pacifique et "la ministre fait tous les efforts qu'un ministre peut faire, pour arriver à des succès, qui sont en conformité avec notre stratégie Indo-Pacifique et en matière d'exportation d'armements. L'épisode AUKUS ne nous a pas fait dévier d'un iota de cette ligne", a-t-il analysé.
La France est solidement arrimée à l'Indo-Pacifique
Les grands contrats d'armement sont des "ciments extrêmement solides qui arriment une relation bilatérale et nous engage sur des décennies", a observé Hervé Grandjean. Et de poursuivre : "Donc, oui, la France joue un rôle de premier plan dans l'Indo-Pacifique" et elle "est solidement arrimée à cette région". Une stratégie internationale dans cette région impulsée par Emmanuel Macron. Dans cette région, la France avait avant AUKUS trois grands partenariats stratégiques : Australie, Inde et Japon.
En outre, compte tenu de la place centrale qu'occupe l'ASEAN dans l'espace Indo-Pacifique, la France a établi ou a renforcé des partenariats stratégiques avec trois pays : l'Indonésie en 2011, Singapour en 2012 et le Vietnam en 2013. La France possède la seconde zone économique exclusive (ZEE) mondiale (10,2 millions de km2), les deux tiers environ de la ZEE française se trouvant dans le Pacifique, majoritairement autour de la Polynésie française.
Le temps long des contrats de défense
Pourquoi l'Indonésie est-elle un partenaire important pour la France ? Cette jeune démocratie est située dans une zone où des détroits stratégiques sont cruciaux pour le commerce mondial. C'est également le pays, qui a le premier PIB des pays de l'Asie du Sud-Est. Le budget de défense du pays s'élève à 7,7 milliards d'euros, soit un peu plus de 0,8 % du PIB en 2020. "Il y a une volonté des autorités indonésiennes de monter en puissance, a rappelé Hervé Grandjean. Ils avaient annoncé, lorsque le ministre Prabowo avait pris ses fonctions, un objectif de 1,5 % du PIB pour 2024. Il y a donc un plan de modernisation des forces armées indonésiennes". C'est dans ce contexte que la France s'est positionnée et a adressé des propositions, dont certaines ont séduit le partenaire indonésien.
Rebâtir la défense nationale était d'ailleurs la première des neuf priorités de l'agenda en 2014 du nouveau président indonésien, Joko Widodo, afin d'assurer l'intégrité territorial de l'archipel et en s'imposant comme une puissance maritime régionale. En 2014, Joko Widodo, qui venait d'être élu à la tête du pays, voulait déjà augmenter le budget de la défense pour qu'il atteigne 1,5 % du PIB d'ici à 2019 (20 milliards de dollars, contre 7 milliards en 2014). Visiblement, le président indonésien a donné du temps au temps. A cette époque déjà, on évoquait les Rafale et les sous-marins de Naval Group, qui proposait un projet de sous-marin côtier baptisé Andrasta.
La France a signé un partenariat stratégique avec l'Indonésie en 2011. "Notre relation bilatérale est encadrée par un accord de partenariat stratégique signé en 2011 et nous avons notamment un dialogue de défense franco-indonésien tous les ans", a précisé le porte-parole. Selon Hervé Grandjean, ce dialogue annuel permet d'aborder toutes les questions à la fois géostratégiques et capacitaires qui concernent les deux pays, de partager une analyse de la situation stratégique en Asie du Sud-Est, d'évoquer la montée en gamme capacitaire de l'armée indonésienne et de voir dans quelle mesure l'équipe France peut accompagner la vision et la stratégie de défense indonésienne. Et dix ans après la signature de ce partenariat, l'Indonésie signe un contrat majeur avec la France.
Un client régulier de la France depuis 2011
"L'Indonésie ce n'est pas un pays qu'on découvre aujourd'hui. On a une relation ancienne avec eux", a fait observer Hervé Grandjean. Depuis 2011, l'année de la signature du partenariat stratégique entre la France et l'Indonésie, Jakarta est devenu un client régulier des industriels de l'armement français. Ainsi, sur la période 2011/2020, l'Indonésie a acheté pour 1,67 milliard d'euros de systèmes d'arme à la France. Soit en moyenne 167 millions d'euros de commandes indonésiennes par an vers la France.Ce qui en fait le deuxième client des industriels de l'armement français en Asie du Sud-Est derrière Singapour (1,95 milliard).
En 2013, l'Indonésie a même fini au pied du podium des clients des industriels français (4e) avec un pic à 480 millions d'euros. MBDA avait notamment vendu le missile sol-air à très courte portée Mistral 3 pour plus de 200 millions d'euros, Nexter, 37 systèmes d'artillerie autotractés Caesar pour 115 millions, Airbus Helicopters, 12 hélicoptères légers d'attaque Fennec et le petit chantier naval des Sables d'Olonne OCEA, deux bâtiments de support, de type OSV 190 MKII, pour environ 80 millions d'euros. Sur cette période, l'Indonésie a également commandé à Airbus 14 hélicoptères H225, 11 hélicoptères Panther et deux A400M (2022).
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