Corvettes : pourquoi Fincantieri a pris de l'avance sur Naval Group en Grèce

La marine grecque aurait une préférence pour le design des navires de Fincantieri. Pour autant, la décision de la Grèce sera également une décision très politique au moment où l'Italie pourrait normaliser ses relations avec la Turquie.
Michel Cabirol
La corvette Gowind de Naval Group n'est plus favorite en Grèce
La corvette Gowind de Naval Group n'est plus favorite en Grèce (Crédits : Naval Group)

La décision semble imminente. Athènes pourrait rapidement sélectionner le constructeur des quatre corvettes destinées à la marine grecque, qui veut se renforcer face à la Turquie, expliquent à La Tribune des sources concordantes. La marine a présenté une évaluation vendredi dernier au Premier ministre, Kyriákos Mitsotákis. Trois chantiers navals européens sont dans une "short-list", qui ne dit pas vraiment son nom, et s'entre-déchirent pour remporter ce programme. La marine grecque les a classés dans l'ordre : l'italien Fincantieri (corvettes de la classe Al Zubarah), puis Naval Group (Gowind 2500), et, enfin, le néerlandais Damen (Sigma 10514). Les deux premiers sont les deux grands favoris de cette compétition, particulièrement Fincantieri, qui a beaucoup promis à la Grèce.

Pour autant, tout n'est pas définitivement joué même si le groupe italien a pris une avance dans la dernière ligne droite sur son rival français. Car la marine grecque aurait expliqué au Premier ministre que les trois "design" les satisfaisaient. Au-delà du prix des navires et du calendrier de livraisons - deux des critères clés de la compétition -, la décision sera également pour Athènes une décision à la fois politique et stratégique. Ce qui condamne certainement Damen, les Pays-Bas n'ayant pas énormément de politique de réassurance à apporter à la Grèce sur le volet géopolitique. Autre élément clé, ce programme devra en outre associer étroitement l'industrie navale grecque (Elefsis ou Skaramangas). Enfin, ce calendrier pourrait être chamboulé par d'éventuelles élections législatives anticipées.

La remontada de Fincantieri

Les Italiens, qui ont su profiter des flottements de la France à l'international pendant l'élection présidentielle puis celles des législatives, ont effectué ces dernières semaines une véritable "remontada" dans cette compétition. Car l'offre de Fincantieri, qui a séduit la marine grecque, est revenue de nulle part. Selon nos informations, les Italiens auraient proposé à la Grèce quatre corvettes "Doha" de la classe Al Zubarah (3200 tonnes) pour environ 2 milliards d'euros alors que le prix des quatre de la même classe vendues en 2017 au Qatar s'élèveraient à 3,2 milliards d'euros hors armement. Pour les Grecs, les Italiens ont réussi à faire un effort miraculeux sur le prix... A suivre d'autant que le chantier Elefsis va nécessiter de très lourds investissements. Ce qui pourrait interpeller les Qataris, qui ont assisté en mars à la mise à l'eau de la quatrième corvette, qui s'apparente plus à une frégate légère.

Associé dans cette campagne avec Elefsis dans l'éventuelle fabrication des corvettes, Fincantieri a trouvé un allié dans le gouvernement grec en la personne du ministre du Développement Spyrídon-Ádonis Georgiádis, qui veut sauver à tout prix le chantier grec très endetté (on évoque 400 millions de dettes). Le chantier Elefsis serait repris par un fonds américain. Les Etats-Unis pourraient peser dans le dossier des corvettes grecques en faveur des Italiens. Pour autant, si les Grecs choisissaient les "Doha", ils se retrouveraient avec quatre fournisseurs différents : frégates de la classe Kortenaer  (Damen), de la Classe Hydra  (TKMS), FDI (Naval Group) et "Doha" (Fincantieri). Ce qui ne va pas simplifier la maintenance de la flotte.

Les liaisons étroites entre Ankara et Rome

En choisissant Fincantieri, la Grèce pourrait vouloir faire basculer l'Italie dans son camp alors que cette dernière est depuis plusieurs années proche d'Ankara en termes de livraisons de matériels militaires (hélicoptères de combat, blindés, avions de patrouille maritime...). Une période qui s'est étirée jusqu'en 2019 où l'Italie a cessé d'accorder des licences comme la plupart des pays européens à la suite de l'offensive des Turcs face aux Kurdes. Sur la période 2010-2020, Rome s'est d'ailleurs classée au deuxième rang des pays vendeurs d'armements à la Turquie loin derrière les États-Unis mais devant l'Espagne, la Corée du sud et l'Allemagne, selon le SIPRI. Entre 2014 et 2018, les industriels de la défense italiens ont exporté pour près de 1 milliard d'euros d'armements vers Ankara.

Si la Grèce pense trouver un nouveau partenaire avec l'Italie, elle pourrait aller vers une cruelle désillusion. Le sommet italo-turc qui se tient aujourd'hui entre le Premier ministre italien Mario Draghi et le président turc Recep Tayyip Erdoğan pourrait être à cet égard très instructif. D'ailleurs l'ambassadeur d'Italie en Turquie, Massimo Gaiani, a annoncé la couleur : "Ce sommet nous aidera à profiter des fruits de notre coopération ces derniers mois. Le sommet intergouvernemental sera un tournant. La coopération dans l'industrie de la défense est un aspect important de nos relations bilatérales. Les résultats parfaits obtenus par les entreprises turques et italiennes opérant dans ce domaine le montrent clairement. L'Italie a toujours considéré la Turquie comme un partenaire stratégique dans la coopération industrielle". Les observateurs s'attendent à ce que l'Italie lève l'embargo des armes vers la Turquie dans un contexte de normalisation des relations entre les deux pays... Les Italiens semblent vouloir jouer sur les deux tableaux : et Athènes et Ankara.

Naval Group, le (trop ?) bon élève

De son côté, Naval Group a semble-t-il suivi à la lettre toutes les recommandations du ministère de la Défense. Le groupe a passé un accord avec le chantier naval de Skaramangas, qui devrait être prochainement la propriété de l'armateur grec Giorgos Prokopiou en dépit de l'imbroglio juridique avec Privinvest du milliardaire Iskandar Safa. Très récemment, Naval Group a une nouvelle fois montré tout son savoir-faire dans la constitution de partenariats. Fin juin, il a signé avec des industriels grecs de la défense plusieurs contrats et accords de coopération dans le cadre du programme de frégates de défense et d'intervention grecques (FDI HN). "Naval Group coche beaucoup de cases. Son offre est la plus robuste", explique-t-on à La Tribune. Mais le groupe s'est laissé grisé et endormi par son statut de favori...

Au-delà, Naval Group propose un atout performant sur le plan opérationnel, qui avait semblé séduire il y a quelques temps la marine grecque : le couple FDI (Méditerranée) / Gowind (Mer Égée), très efficace en termes de communalités, d'interopérabilité, de maintenance, de formation, d'équipage et de puissance de feu. Pour autant, il n'en n'a pas négligé le volet financier. Ainsi, il aurait récemment déposé le 30 juin une nouvelle proposition d'un peu moins de 2 milliards d'euros. Naval Group pourrait avoir proposé dans sa dernière offre cinq corvettes, dont deux construites à Lorient, selon nos informations qui n'ont pas été confirmées. Et dire que les deux chantiers sont partenaires au sein de Naviris...

Michel Cabirol

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Commentaires 2
à écrit le 05/07/2022 à 17:03
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Mais Naval Group a bien vendu 3 bateaux a la Grécé?

à écrit le 05/07/2022 à 12:11
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Des italiens ne rien attendre de fiable… quand les qataris vont réaliser qu ils ont achetés pour 3,2 milliards de frégates légères au lieu des navires plus lourdement armés prévus . Il est temps de le mettre dehors de ce «  consortium » bidon et ...

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