La Grèce a trouvé son pire cauchemar juridique en la personne d'Iskandar Safa. Le milliardaire franco-libanais est en train de faire boire la tasse à l'État grec dans toutes les procédures juridiques qu'il a lancées. Sauf rebondissement inattendu, le dernier jugement de la Cour suprême grecque doit en principe mettre fin au "déni" (selon les termes d'Iskandar Safa dans l'interview qu'il a accordé à La Tribune) de la Grèce sur ses torts juridiques dans "l'expropriation illégale" de la société Privinvest du chantier naval Hellenic Shipyard (HSY), acheté à ThyssenKrupp Marine System (TKMS) en 2010 et détenu majoritairement par la société d'Iskandar Safa (75;1%), le chantier allemand restant actionnaire à hauteur de 24,9%.
Dans son jugement rendu public le 23 février dernier à Athènes, la Cour suprême grecque a mis définitivement KO l'État grec en confirmant que ce dernier avait déjà été condamné lors de procédures grecques et internationales (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements ou CIRDI et la Cour International d'arbitrage de la chambre de commerce internationale ou ICC) et surtout qu'il ne pouvait pas faire appel. La Cour d'appel d'Athènes avait notamment rejeté en avril 2019 la demande du gouvernement grec d'annuler une sentence arbitrale de 2017 d'une valeur de plus de 1,2 milliard d'euros en faveur de Privinvest Group pour défaut de paiement de la Grèce. Que va faire l'État grec ? Se conformer au jugement de la Cour suprême ou poursuivre son cauchemar juridique, qui devient un cauchemar financier au fil des ans en raison des amendes qui s'accumulent et des intérêts qui courent...
Un cauchemar également financier
Aujourd'hui, Iskandar Safa explique dans une interview accordée à La Tribune qu'il a envoyé un courrier à l'État grec pour exiger la remise en état du chantier tel qu'il était au moment de son expropriation en 2017 avant d'en reprendre le contrôle opérationnel. Une opération qui pourrait d'ailleurs se révéler coûteuse pour l'Etat grec. D'autant que ce dernier a mis en vente HSY et a sélectionné Milina Enterprises Company Ltd, filiale de l'armateur grec Giorgos Prokopiou. Le milliardaire demande également le paiement du programme de sous-marins U-214 à la marine grecque. Ainsi, Athènes doit indemniser le chantier à hauteur de 210 millions d'euros avec les intérêts de 6% qui courent depuis 2014. Il exige aussi la réactivation du contrat portant sur la construction de deux U-214 prévus dans la loi de 2010 ainsi que la modernisation de deux 2 U-209.
Enfin, il serait en droit d'exiger également la modernisation des frégates MEKO dans son chantier. Une promesse, qui avait été faite en 2010 à l'époque par le ministre de la Défense d'alors Evángelos Venizelos. Sans oublier, les éventuels dommages et intérêts que le CIRDI pourrait imposer en fin d'année à l'État grec. Le 24 juillet 2020, le CIRDI, qui avait été saisi par les frères Safa (Iskandar et Akram) en juillet 2016, a établi que leur plainte contre l'État grec pour rupture du traité d'investissement entre la Grèce et le Liban, entré en vigueur en juillet 1999, était valide. La facture de l'État grec va être lourde, très lourde.
Ce cauchemar peut-il couler le projet de corvettes?
Enfin, cette guerre juridique entre Iskandar Safa et la Grèce pourrait compromettre à court terme le programme de corvettes lancé par la Grèce, qui souhaite bénéficier d'un transfert de technologies (ToT) à travers la construction des navires dans un chantier naval grec : soit Elefsis, repris par le groupe américano-russe ONEX, soit Hellenic Shipyard. Ou tout au moins rebattre les cartes, notamment en faveur de TKMS, extrêmement discret jusqu'ici en Grèce. Les chantiers navals néerlandais Damen, italien Fincantieri, britannique BAE Systems et Naval Group devront prendre leur mal en patience. D'autant que Damen, BAE Systems et Naval Group avaient commencé à discuter avec Giorgos Prokopiou.
Car ce qui est sûr, c'est que le calendrier du programme va certainement déraper. D'ailleurs, le gouvernement grec se fait très discret ces dernières semaines sur ce programme de corvettes, pourtant considéré comme important pour la marine grecque. Enfin, le paiement des amendes à Iskandar Safa pourrait obérer le budget dédié à ce programme. Les revers juridiques de l'État grec provoquent une période d'incertitude pour le ministère de la Défense grec et ses projets.
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