Hélicoptères : la Roumanie va-t-elle finalement préférer Bell à Airbus ?

Par Michel Cabirol  |   |  1086  mots
Airbus Helicopters va-t-il abandonner sa chaîne d'assemblage en Roumanie?
La visite en France du ministre roumain de la Défense va-t-elle permettre de clarifier les intentions de la Roumanie en matière d'achat d'hélicoptères? Car Bucarest, qui prend la présidence de l’Europe dans un peu plus de six mois, semble séduit par les appareils de Bell.

Après la Pologne, Airbus Helicopters a un vrai problème en Roumanie. Et un sérieux. Il faut dire que Bucarest balade depuis deux ans le constructeur de Marignane tout en draguant ouvertement en parallèle, l'américain Bell. Un air de déjà vu en Pologne avec Sikorsky. Décidément l'Europe de la défense est loin, très loin des préoccupations de la plupart des pays membres de l'Union européenne (Pologne, Suède, Roumanie, Pays-Pas, Danemark, Pays-Bas, Norvège...). Et dire que la Roumanie, qui a pourtant noué une coopération de près de 50 ans avec Airbus Helicopters, va en plus prendre dans un peu plus de six mois la présidence du conseil de l'Union européenne en janvier.

Une mise au point?

La visite en France (lundi à Paris et mardi à Marignane) du ministre de la Défense roumain, Mihai Fifor, qui rencontre son homologue Florence Parly, va peut-être clarifier l'incompréhension entre Bucarest et Airbus Helicopters. En dépit des promesses faites à Emmanuel Macron en août 2017 lors de sa visite en Roumanie, il ne s'est rien passé pour le constructeur européen. Et pour cause. Bucarest a noué des relations étroites avec Bell, qui lorgne une commande de 45 hélicoptères d'attaque (24 AH-1Z Viper) - jusqu'alors pas la priorité de la Roumanie - et de transport tactique (21 UH-1Y Venom). Ces appareils seraient assemblés par l'industriel IAR (Industria Aeronautică Română), le partenaire historique... d'Airbus Helicopters. Les deux groupes ont créé en 2000 Airbus Helicopters Romania, détenu à 49% par IAR.

Les Roumains se sont d'ailleurs rendus en mars aux Etats-Unis, qui ont deux bases militaires en Roumanie. Plus précisément, ils sont allés au siège social de Bell à Fort Worth, au Texas, puis à l'usine du constructeur américain à Amarillo, et, enfin, au camp Pendleton pour discuter avec les Marines du Viper.

Airbus Helicopters prêt à fermer son usine d'assemblage

Le nouveau patron d'Airbus Helicopters, Bruno Even, qui est en train d'ausculter l'entreprise et son empreinte internationale, souhaite un positionnement ferme  de la part des Roumains. En effet, les données du dossier sont claires pour le constructeur : soit Bucarest achète des hélicoptères au constructeur franco-allemand pour faire tourner la chaîne d'assemblage de l'hélicoptère de transport H215 à Ghrimbav inaugurée en août 2016 en présence de François Hollande, soit cette dernière est fermée et transférée dans un autre pays. Avec cette chaîne d'assemblage, la Roumanie serait entrée dans le cercle restreint des pays qui maîtrisent la fabrication d'un hélicoptère (France, Etats-Unis, Russie, Chine, Italie, Inde, Grande-Bretagne).

"Ils sont prêts à sacrifier 50 ans de coopération. C'est une immense déception", regrette-t-on au sein du constructeur, qui a déjà formé une cinquantaine d'ouvriers roumains à Marignane. Airbus Helicopters gardera néanmoins son usine de maintenance à Ghrimbav, qui a récemment modernisé 23 Puma de la RAF (Royal Air Force). "Notre patience a des limites. Il nous faut une commande de gré à gré d'au moins 16 H215M de l'armée roumaine pour lancer la chaîne d'assemblage mais les Roumains ne semblent plus intéressés", explique-t-on au sein d'Airbus Helicopters. Le constructeur a pourtant vendu sous licence dans les années 1970 une soixantaine d'appareils de type Puma en Roumanie. Aujourd'hui encore, entre 30 et 40 hélicoptères restent en service opérationnel dans l'armée alors même qu'ils sont à bout de souffle.

Située à Ghrimbav (près de Brasov) à 180 km au nord de Bucarest, cette chaîne d'assemblage a été dimensionnée pour une capacité de production de 15 appareils par an. Airbus Helicopters s'est engagé à faire fabriquer en Roumanie des appareils vendus sur les marchés export. Avec les commandes gagnées sur les marchés internationaux, le constructeur aurait déjà un plan de charge de deux ans pour la chaîne d'assemblage de Ghrimbav (5/6 pour la Roumanie, 9 pour le marché export). "Avec ou sans eux, nous aurons les commandes à l'export", assure-t-on chez Airbus Helicopters.

Objectif: concurrencer les Russes

Quand Airbus Helicopters avait inauguré son usine en Roumanie, un pays "best cost" (ou bas coût, selon les uns et les autres), la direction avait souligné que les premiers appareils devaient sortir de la chaîne d'assemblage en 2018, "à condition d'avoir rapidement une commande significative". Cette usine était jusqu'ici un centre de MRO (Maintenance, réparations et entretien) doté d'une main d'oeuvre qualifiée, de bonne qualité et compétitive. Le site devait employer plus de 300 personnes en vue de fabriquer 15 H215 par an à partir de 2020.

En 2015, Airbus Helicopters, qui avait signé en 2014 un protocole d'accord avec Bucarest, avait décidé d'installer en Roumanie une chaine d'assemblage du Puma C1e (devenu H215). Cette nouvelle version du Super Puma offre une configuration standardisée visant à réduire les délais de livraison et les coûts d'exploitation et de maintenance. Elle a déjà été vendue à l'Afrique du Sud, l'Albanie, la Bolivie.."Cette chaîne va nous permettre d'attaquer le marché utilitaire avec un produit fiable et sûr face à la concurrence russe", avait à l'époque assuré  le vice-président exécutif en charge des ventes et des services au niveau mondial, Dominique Maudet.

Assemblé à Brasov, cet appareil, propulsé par un moteur Makila 1A, doit permettre à Airbus Helicopters de mieux rivaliser avec les hélicoptères russes de Mil, le Mi-8 et le Mi-17, dont les flottes civiles et militaires sont très vieillissantes. Des flottes qui doivent être au fil des ans renouvelées comme en Europe de l'Est (600 appareils environ), Amérique latine (400) et dans d'autres pays asiatiques (une centaine). Le marché est évalué à 2,7 milliards d'euros par an par Airbus Helicopters, selon les syndicats. "Ce partenariat devrait entraîner une baisse du prix de vente de notre appareil", avait estimé FO.

La Roumanie regarde vers les États-Unis

La Roumanie, pays de l'OTAN qui s'est engagé à consacrer annuellement 2% de son produit intérieur brut à la défense d'ici à 2026, a dressé une liste d'achats pour 9,8 milliards d'euros d'équipements militaires. Elle se fournit principalement au États-Unis pour ses équipements militaires. Bucarest, qui fait déjà voler des F-16 et des C-130, a également annoncé l'achat de systèmes de défense antimissiles américains Patriot, pour près de 4 milliards de dollars. Bucarest est également très intéressée par l'achat de 54 systèmes HIMARS (High Mobility Artillery Rocket Systems), un lance-roquettes multiple monté sur un camion. Une commande évaluée à 1,25 milliard de dollars, munitions comprises.