L'exécutif européen a inclus de nouvelles coupes budgétaires dans son document technique et a fait des « cadeaux » aux « Amis de la cohésion », les 17 pays qui s'opposent à une réduction des Fonds de cohésion. La proposition officieuse de la Commission envisage un plafond qui s'élèverait à 1,069 % ou 1,07 % du revenu national brut (RNB). Si ce nouveau projet prévoit des réductions substantielles du programme de recherche et d'innovation « Horizon Europe » (qui passerait de 100 à 80 milliards d'euros), le portefeuille de la défense de l'UE serait aussi bien dégarni— en particulier les fonds destinés à la mobilité militaire, l'une des priorités de la Commission.
Le montant alloué à la mobilité militaire européenne a baissé petit à petit tout au long des négociations. La proposition initiale de 6,5 milliards d'euros est d'abord passée à 2,5 milliards d'euros dans le cadre la présidence finlandaise de la Commission, puis le président du Conseil, Charles Michel, l'a réduite à 1,5 milliards d'euros, pour enfin atteindre un montant pratiquement nul dans le dernier document technique de l'exécutif. Des fonctionnaires de la défense européenne refusent d'évaluer le document à ce stade des négociations, mais certains d'entre eux soulignent l'écart entre les annonces ambitieuses de « Commission géopolitique » et les offres budgétaires qui ont réellement été mises sur la table.
La présidente de la Sous-commission « sécurité et défense » (SEDE) du Parlement européen, Nathalie Loiseau (Renew Europe), a déclaré jeudi que le budget de l'UE risquait de ne « pas répondre aux attentes », en écho à l'avis d'Emmanuel Macron. « Dans un monde de plus en plus dangereux où les alliances sont devenues plus volatiles et la concurrence plus intense, nous devons nous donner les moyens de renforcer la défense européenne », a écrit l'eurodéputée sur Twitter.
Si beaucoup ont été surpris par les coupes proposées par l'UE dans la politique spatiale à un moment où les puissances mondiales investissent massivement dans la « nouvelle frontière », la décision la plus marquante dans le portefeuille de la défense a été le budget zéro pour la mobilité militaire. La mobilité militaire, qui vise à assurer la circulation fluide des équipements militaires dans l'UE en réponse aux crises en réduisant les obstacles physiques, juridiques et réglementaires, a été saluée jusqu'à présent comme l'une des initiatives phares de l'UE en matière de défense, avec peu de désaccords politiques au sein de l'Union. Ce plan d'action a été l'un des premiers projets lancés dans le cadre de la coopération structurée permanente (CSP) de l'UE. Comme il s'inspire de l'espace Schengen, certains espèrent qu'il créera à terme un « Schengen militaire » en Europe.
L'Europe de l'Est
La France, la plus ardente défenseuse d'une augmentation des investissements dans la politique de sécurité et de défense commune en UE, n'est sans doute pas le seul État membre mécontent des réductions proposées. Si la marge budgétaire en matière de migration et de gestion des frontières ne varie que très peu, la réduction massive des dépenses en mobilité militaire, quant à elle, affecte particulièrement l'Europe centrale et orientale.
Parallèlement, les fonds destinés aux États membres du sud de l'Europe diminuent aussi. C'est notamment le cas de la Facilité européenne pour la paix (FEP) — une initiative négociée par la France et destinée à renforcer la présence de l'UE en Afrique —, dont le budget initial de 10,5 milliards d'euros a été amputé de six milliards. Afin de garantir leur sécurité sur le flanc est, les États membres d'Europe centrale et orientale voisins de la Russie accordent une grande importance à la mobilité militaire.
« Au sein de l'UE, [on dirait] que les préoccupations de sécurité des États membres du Sud [passent avant] celles des membres de l'Est. [Cela] soulève des questions sur l'"Union européenne de la défense", et dans quel intérêt celle-ci sera construite », souligne Justyna Gotkowska, chercheuse au Centre d'études orientales de Varsovie. Selon la chercheuse, le raisonnement est clairement vicié en matière de coupes budgétaires dans le domaine de la défense.
La coopération UE-OTAN
« Comme la mobilité militaire est l'un des sujets au cœur de la coopération UE-OTAN, [ces réductions budgétaires auront] aussi un impact sur la relation entre les deux organisations », ajoute Justyna Gotkowska. Jusqu'à présent, la mobilité militaire était vue comme le remède miracle pour une bonne coopération UE-OTAN, et en particulier ces dernières années, où l'Europe la présentait comme un élément complémentaire entre les deux organisations.
Niklas Novaky, un expert en sécurité européenne, déclare que « [ces restrictions budgétaires] sont regrettables d'un point de vue politique. [La suppression de la totalité du budget] saperait la coopération pragmatique entre l'UE et l'Alliance transatlantique ». Selon lui, ces dernières années, les troupes de l'OTAN ont fait face à de sérieux défis juridiques et infrastructurels qui doivent encore être relevés.
« [Cette situation] est problématique, surtout pour l'OTAN, car la capacité de déplacer des troupes efficacement et sans problème via la terre, la mer et les airs [est capital] pour que l'Alliance reste une force de dissuasion crédible », explique Niklas Novaky. Les experts pensent également que les barrières infrastructurelles existantes pourraient refaire surface au printemps. En effet, quelque 37.000 soldats participeront à l'opération « Defender 2020 » qui vise à transférer des troupes de Pologne dans les États baltes — une manœuvre considérée par les responsables de la sécurité comme le « transfert de soldats américains le plus important d'Europe depuis 25 ans ».
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