Les six défis cruciaux à relever pour l'industrie aérospatiale et de défense française en 2023

L'industrie aéronautique, spatiale et de défense française est confrontée à des défis cruciaux qui pourraient la freiner dans sa croissance. A commencer par l'inflation et les difficultés de recrutement et de financement pour les entreprises duales. Par ailleurs, le président du GIFAS Guillaume Faury a estimé que la crise dans les lanceurs étaient « une crise particulièrement grave ».
Guillaume Faury, président du Gifas et d'Airbus, entouré de Martin Sion (Safran Electronics & Defense), Clémentine Gallet (Coriolis Composites) et Pierre Bourlot (Gifas).
Guillaume Faury, président du Gifas et d'Airbus, entouré de Martin Sion (Safran Electronics & Defense), Clémentine Gallet (Coriolis Composites) et Pierre Bourlot (Gifas). (Crédits : L. Barnier - La Tribune)

Après plusieurs années de crise sanitaire, Guillaume Faury se veut positif mais il n'entend pas occulter les difficultés actuelles du secteur. Lors de ses vœux à la presse ce jeudi, le président du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) et du constructeur Airbus a déclaré d'entrée que « l'année 2023 se présentait sous le sceau de la reprise, dans la continuité de 2022, mais aussi probablement avec encore beaucoup des difficultés, des vents contraires et des obstacles que l'on a pu rencontrer l'an dernier ». Il n'exclut pas qu'il y ait de nouveaux problèmes ou des surprises, bonnes ou mauvaises, au cours de l'année qui débute, mais les grandes problématiques restent ainsi les mêmes qu'en 2022.

Si la visibilité de l'aéronautique est sans commune mesure dans les autres secteurs industriels selon Guillaume Faury, le court terme s'avère complexe à gérer. Après avoir trouvé « le chemin de la croissance et de la réussite » l'an dernier, dans un « environnement complexe et parfois contradictoire », il appelle à poursuivre les efforts de solidarité et de communication au sein de la filière tels qu'engagés depuis le début de la crise sanitaire.

1/ Apaiser les tensions sur la supply chain

Parmi les défis à relever pour le secteur aussi bien dans l'aéronautique que dans la défense, les problèmes de chaîne d'approvisionnement sont sans doute les plus prégnants. La filière va continuer à être soumise aux risques de pénuries, qui ont impacté un très grand nombre de fournisseurs l'an dernier. Guillaume Faury cite ainsi les matières premières, l'énergie, les composants électroniques..., autant d'éléments qui ont mis « la supply chain en très très grande difficulté pour répondre à la reprise de la croissance de la production et des livraisons dans à peu près tous les secteurs de notre industrie ». Ces pénuries ne sont d'ailleurs pas propres à l'aéronautique précise Martin Sion, président du Groupe des équipements aéronautiques et de défense (GEAD) et de Safran Electronics & Defense.

Comme le détaille Martin Sion, « la situation de la supply chain est paradoxale, parce qu'on a d'excellentes perspectives à moyen et long terme avec des hausses dans tous les domaines, et puis dans la situation actuelle, nous avons au jour le jour un nombre de vents contraires incroyable » avec « beaucoup de sociétés dans une situation tendue »« Tout se cumule, donc il y a une tension qui est certaine », ajoute Clémentine Gallet, présidente du Comité Aéro-PME et de Coriolis Composites. Guillaume Faury ajoute que les opérations sont également rendues difficiles à gérer en raison de l'environnement géopolitique tendu, que ce soit avec la guerre en Ukraine ou les tensions entre la Chine et les États-Unis. L'approvisionnement en titane, fortement dépendant de la Russie, en est un exemple.

Apaiser ces tensions est pourtant nécessaire pour assurer la remontée en puissance du secteur. L'an dernier, Airbus a dû revoir par deux fois à la baisse ses objectifs de livraisons - selon nos informations, le constructeur a fini autour de 660 appareils - en raison de cet environnement complexe. Il a aussi dû repousser son plan de montée en charge pour les cadences de l'A320 NEO. Son objectif de produire ne sera pas atteint début 2024 comme prévu.

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2/ sortir « d'une crise grave » dans les lanceurs

Concernant les lanceurs, Guillaume Faury n'a pas botté en touche et a été très sincère. « On se retrouve en 2023 dans une situation de crise particulièrement inédite concernant l'accès de l'espace en Europe », a reconnu le président du GIFAS avant même de répondre aux questions. Il est vrai que la situation actuelle de l'accès à l'espace de façon souverain et autonome pour les Européens est catastrophique. A l'heure actuelle, il ne reste que deux exemplaires d'Ariane 5, dont les passagers ont payé leur ticket depuis longtemps.

Et c'est tout : Ariane 6, qui va cumuler officiellement un retard de trois ans, devrait voler fin 2023, les vols de Vega et Vega C sont actuellement suspendus sine die après le crash du premier vol commercial (VV22) du lanceur italien de nouvelle génération et, enfin, l'épopée de Soyuz en Guyane a été stoppée nette après l'invasion russe en Ukraine en février 2022. « Clairement » la transition entre Ariane 5 et Ariane 6 « ne se passe pas bien ». En outre, les marges de manœuvre pour monter à bord dans les années à venir d'Ariane 6 sont limitées, très limitées comme l'a rappelé le patron du GIFAS :

« Le carnet de commandes d'Ariane 6 est déjà très bien rempli, donc il n'y a plus beaucoup de possibilités d'aller lancer des satellites avec Ariane 6 dans les années qui viennent ». D'où « une crise particulièrement grave qu'il va falloir utiliser. Il ne faut pas gâcher les crises. Il ne faut jamais gâcher les crises », a estimé Guillaume Faury.

Comment ? Le patron du GIFAS a estimé que cette crise « va obliger les Européens à se mettre autour de la table pour définir une feuille de route commune ». Et de préciser que « cela me paraît absolument indispensable par rapport aux autres grands blocs. On a eu l'année dernière 60 lancements de SpaceX, on s'attend cette année à un ordre de grandeur qui devrait être proche de 100 ». Cela montre, a-t-il martelé, que « les enjeux auxquels on est confronté et l'importance de la tâche de se remettre autour de la table pour définir cette feuille de route européenne ». Il fustige les « initiatives nationales centrifuges ». Pour autant, les trois pays leaders dans les lanceurs (France, Allemagne et Italie) sont très divisés en dépit des discours officiels rassurants.

C'est un  « secteur où il faut fédérer les efforts, c'est écrit dans l'équation-même avec des très gros investissements sur de toutes petites séries », a-t-il rappelé.

« Toute transition entre une génération et la suivante est difficile », a jugé Guillaume Faury. Les industriels n'ont pas retenu le retour d'expérience de la transition entre Ariane 4 et Ariane 5, qui avait été très compliquée. Ils auraient pu en tenir compte. Le président du GIFAS a justifié les décisions prises en 2014 : « Cette fragilité était connue quand la décision de lancer Ariane 6 a été prise (en 2014) et il y avait un certain nombre de ceintures de sécurité qui étaient en place au cas où cela ne se passe pas très bien. Ces ceintures, c'était Soyuz et c'était Vega, (...) elles sont devenues des grandes vulnérabilités compte tenu de ce qu'il se passe en ce moment ». Et produire plus d'Ariane 5 ? Les lancements d'Ariane 5 sont « chers » et le risque d'en produire davantage pour « plus de sécurité, sans client » n'a pas été pris.

3/ Assurer le recrutement des PME

 Une partie de ces problèmes de supply chain sont liés à la question de l'emploi. Bien que protégé en France par les dispositifs gouvernementaux d'activité partielle, le secteur a perdu de la main d'œuvre qualifiée et des compétences pendant la crise. « Un paquet de PME ont perdu des compétences clef », déplore Clémentine Gallet. « Tous les profils industriels et techniques sont sérieusement en pénurie », ajoute-t-elle, sans compter tous les nouveaux profils nécessaires à la transformation digitale de l'aéronautique. Spécialistes des données, de la cybersécurité, de l'intelligence artificielle sont ainsi très convoités, ce qui génère une forte concurrence avec les autres secteurs.

Pour 2023, l'accent sera mis sur le « bout de la supply chain » avec les PME, qui sont aujourd'hui les plus exposées selon Clémentine Gallet. La remontée en puissance des embauches l'an dernier, avec 15.000 emplois créés, a surtout profité aux grands groupes. A l'inverse, les petits acteurs du secteur pâtissent d'un manque d'attractivité dans des territoires parfois reculés, et éprouvent des difficultés à se mettre en avant.

Ce sont à nouveau 15.000, voire 16.000 emplois qui doivent être créés cette année. Et le « gros challenge » sera de porter l'effort sur les PME, insiste Clémentine Gallet.

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4/ Jouer à l'économie de guerre

Emmanuel Macron veut mettre en place une économie de guerre pour la France, qui n'est pas... en guerre. Pour autant, les industriels du secteur, qui n'ont d'ailleurs pas eu de commandes supplémentaires si ce n'est celles qui étaient prévues par la LPM (Loi de programmation militaire) actuelle, ont obligation de jouer le jeu. Un bon mot présidentiel lâché lors de l'inauguration du salon d'Eurosatory en juin 2022 qui pourrait in fine se révéler utile aux entreprises du secteur, notamment, comme l'a expliqué Guillaume Faury en « simplifiant toutes les contraintes mises en temps de paix ». Comment ? Le président du GIFAS préconise de livrer plus rapidement et avec un coût optimisé un système d'armes à 80% ou 90% de sa performance finale. Les industriels du secteur sont également prêts à prévoir de la variabilité dans la production de certains de leurs systèmes d'armes.

« Il faut prévoir pour un certain nombre de systèmes ces flexibilités, ces capacités d'accélération, qui nécessitent d'avoir des stocks sur les matières premières, sur des produits semi-finis pour être plus rapide à la livraison ou être plus flexible sur les livraisons nationales et les livraisons à l'export », a-t-il expliqué.

Il demande aux forces armées de les aider à choisir les systèmes d'arme prioritaires pour lesquels les industriels pourraient être plus flexibles. Si on généralise ce système à tous les équipements, le coût devient « probablement déraisonnable par rapport au bénéfice qu'on obtient ». C'est notamment le cas pour les munitions et les missiles. Mais pas que.. Par ailleurs, il estime qu'à court terme il est « très difficile de réagir - on le fait quand même pour autant qu'on peut. A moyen et long terme, il y a beaucoup de possibilités de le faire - cela fait partie des travaux qui sont conduits dans le cadre des groupes de travail dans le cadre de la préparation de la LPM ».

5/ Passer le cap financier

Cette remontée en puissance de la production et des recrutements nécessite inévitablement des investissements rapides. Et cette nécessité vient se confronter à une double réalité : les entreprises paient encore la crise du Covid et subissent l'inflation de plein fouet.

Martin Sion explique ainsi que nombre de sociétés sont désormais en train de rembourser les prêts garantis par l'État (PGE), contractés pour faire face à la chute brutale d'activité due au Covid. « Cela crée des tensions sur la trésorerie au moment où ils doivent investir, monter en cadence et passer des commandes de long terme », poursuit-il. Il ajoute que dans le même temps, les industriels sont touchés par l'inflation sur les matières premières, ainsi que l'énergie et les transports.

Sur l'énergie, la facture a été multipliée par cinq fin 2022. Si Guillaume Faury assure que « les prix rebaissent déjà très fortement en ce début d'année », il voit dans ces incertitudes « un manque de prévisibilité extrêmement toxique pour les entreprises qui ont à faire des choix d'investissement à moyen et long terme ». Martin Sion prévient enfin que les problèmes liés au coût de l'énergie risquent d'être encore plus redoutables si une différence durable s'installe entre l'Europe et les États-Unis ou les autres régions du monde. Cette compétitivité énergétique pourrait ainsi influer sur les décisions d'investissement.

L'inflation galopante dans l'énergie, les transports et les matières premières pèse sur la rentabilité des entreprises et rogne leurs marges. Elle « a beaucoup mordu » sur les marges en particulier « des entreprises du bas de la chaîne c'est-à-dire les entreprises de petite taille et de taille intermédiaire, qui sont très dépendantes du coût de l'énergie. On voit l'inflation arriver par eux ». Le patron du GIFAS s'attend à voir « sous pression dès 2022 les marges d'un certain nombre de PME et des entreprises de taille intermédiaire qui sont sous pression dès 2022 et qui vont l'être encore en 2023 en fonction de l'évolution du prix de l'énergie et de la façon dont l'inflation va rentrer aussi dans les salaires et dans le compte des entreprises ».

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 6/ Continuer à améliorer le financement de la défense

Guillaume Faury ne relâche pas la pression sur les banques et les fonds, qui doivent continuer à financer le secteur de la défense, un secteur nécessaire et essentiel au fonctionnement de tous les autres secteurs comme on peut le voir en Ukraine. « Il y a beaucoup de choses qui se sont améliorées, a-t-il estimé. Mais je ne suis pas sûr qu'elles se soient améliorées pour toujours ». Si la guerre en Ukraine a fait réagir sur le court terme, Guillaume Faury estime quant à lui « important d'inverser la tendance durablementEt je pense que ce n'est pas encore fait ». Et il constate que les grandes institutions financières réagissent au cas par cas selon leur sensibilité. « Beaucoup de fonds n'ont pas encore vraiment changé », a-t-il estimé.

« Des grands opérateurs nous disent qu'il n'y a pas de problème avec la défense. Et puis on entend de la part de PME qui viennent nous voir, dire qu'avec ces mêmes opérateurs, elles ont des difficultés parce qu'elles sont duales. Cela montre que le problème n'est pas résolu. Mais il ne s'est pas dégradé, il s'est amélioré ».

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Commentaires 3
à écrit le 06/01/2023 à 9:05
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"Après plusieurs années de crise sanitaire" ? Pourquoi pas :" à cause de l'Ukraine" ? C'est pratique pour occulter des années dispendieuses de n'importe quoi. C'est à la mode en ce moment. Même mon fils qui a eu une mauvaise note à l'école me dit qu...

le 06/01/2023 à 11:42
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Digne fils de son père .. haha..

le 06/01/2023 à 12:03
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"Musk un privé, en dix ans, ne connaissant rien au spacial," faut arrêter de regarder oui oui à la télé. Vous croyez sérieusement que Musk a fait ça tout seul dans son coin avec ses petits bras? Sans rire?

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