"Nous sommes confrontés à l'inflation qui pose une problématique de souveraineté" (Pierre Eric Pommellet, Naval Group)

La crise sanitaire et le conflit en Ukraine ont rebattu les cartes géopolitiques et économiques en montrant les limites de la mondialisation, notamment en matière de stratégie dans les circuits d’approvisionnement. Lors d'une table ronde du Paris Air Forum organisé par La Tribune, les participants - le PDG de MBDA, Eric Béranger, le PDG de Naval Group, Pierre Eric Pommellet, le directeur général de Nexter, Nicolas Chamussy et le sénateur LR Cédric Perrin - ont exploré l’impact du retour de la guerre à haute intensité sur l’industrie de la défense.
« Dans le domaine des composants, nous avons vu les délais d'approvisionnement s'allonger. Certains sont passés de 12 à 36 mois. En outre, certains fournisseurs ne veulent pas s'engager sur des délais de façon ferme », constate au Paris Air Forum 2022 le PDG de MBDA, Eric Béranger.
« Dans le domaine des composants, nous avons vu les délais d'approvisionnement s'allonger. Certains sont passés de 12 à 36 mois. En outre, certains fournisseurs ne veulent pas s'engager sur des délais de façon ferme », constate au Paris Air Forum 2022 le PDG de MBDA, Eric Béranger. (Crédits : La Tribune)

Autonomie de décisions pour ne pas être sous la pression d'autres pays, capacité à nouer des alliances avec des partenaires, base industrielle et technologique de défense (BITD) qui permet d'avoir une armée efficace en lui fournissant les moyens nécessaires : tels sont les différents aspects que revêt la notion élargie de souveraineté d'aujourd'hui. Mais à l'heure de la crise ukrainienne, après celle du Covid, qui ont mis en lumière tant la résilience que la fragilité, notamment en matière d'approvisionnement, des industries de défense, la France a-t-elle la capacité souveraine de produire pour soutenir ses forces dans la durée ?

« Aujourd'hui, nous sommes surtout confrontés à l'inflation qui pose une problématique de souveraineté concernant notre capacité à faire des prix et à s'engager sur le long terme. Mais nous ne sommes pas face à une rupture d'approvisionnement », témoigne Pierre Eric Pommellet, PDG de Naval Group. Certes, « un certain nombre de nos fournisseurs d'acier s'approvisionnent ou s'approvisionnaient en Russie et en Ukraine pour certains éléments de la fabrication des tôles, poursuit-il. Mais il y a dans ce domaine des filières françaises et européennes qui tiennent bon, en particulier pour nos aciers spéciaux ».

Constituer des stocks

Pour le fabricant européen de missiles MBDA, c'est davantage la fourniture de composants électroniques qui est surveillée de près. « Dans le domaine des composants, nous avons vu les délais d'approvisionnement s'allonger. Certains sont passés de 12 à 36 mois. En outre, certains fournisseurs ne veulent pas s'engager sur des délais de façon ferme », indique pour sa part Eric Béranger, PDG de MBDA. Enfin, « nous voyons des prix fortement évoluer. Mais du fait du travail accompli et également de quelques stocks que nous constituons, pour l'instant, nous n'avons pas de rupture », affirme-t-il.

Écho similaire du côté de Nexter. « Nous recevons des offres valides pour 24 heures seulement et il nous faut décider très rapidement sur des montants significatifs pour acheter des tonnes de matériaux », raconte le directeur général de Nexter, Nicolas Chamussy,. De quoi conduire le spécialiste de l'armement terrestre à chercher des composants électroniques par des « canaux nouveaux ». En conséquence, c'est toute la logique de production qui évolue... « Contraints par les événements, et progressivement, nous arrivons à un mélange entre industrie de flux et industrie de stocks, dans laquelle il va bien falloir que, d'une manière ou une autre, nous constituions des stocks de matières premières, de produits semi-finis, de composants électroniques, de machines, sans oublier le recours à des viviers de ressources humaines dans des conditions que nous n'imaginions pas jusqu'ici », ajoute-t-il.

Parmi les problématiques, celle des stocks de munitions. A l'heure du retour de la guerre à haute intensité, elle revêt une importance particulière. « Il est nécessaire de refonder les stocks. Cela doit faire partie de la prochaine loi de programmation militaire, c'est une priorité », souligne le sénateur Cédric Perrin, vice-président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Pour lui, la question des munitions est en effet cruciale. « Nous devons pouvoir considérer que nous devons être autonomes sur cette question », insiste-t-il en rappelant que la France compte quelques pépites dans ce domaine. « La mission aujourd'hui du ministère des Armées et de la Direction générale de l'armement est d'aider ces entreprises à grandir », souligne-t-il.

Attirer les compétences

Enfin, la première des matière indispensables reste la matière grise. « Nos industries souveraines ont besoin de compétences sur le temps long », martèle pour sa part Pierre EricPommelet. Illustration de cette situation, la reconstruction après un incendie du sous-marin Perle, conçu il y a plus de trente ans. « C'est un exemple incroyable de souveraineté : la capacité à réparer un sous-marin nucléaire et le remettre dans le cycle opérationnel au moment où la marine en a besoin », poursuit-il. Un exploit dû à l'entretien des savoir-faire depuis des dizaines d'années. Mais pour pouvoir continuer de le faire, il est crucial d'attirer dans les usines « des compétences qui seront capables de produire, en fonction des stocks, des besoins et des capacités », explique-t-il.

A cet égard, Eric Béranger s'inquiète des conséquences du projet de taxonomie européenne, qui veut orienter les investissements vers des industries considérées comme respectueuses de l'environnement et dont seraient exclu pour l'heure le secteur de la défense. « Si l'on explique à nos jeunes et en particulier aux ingénieurs dont l'industrie a besoin, que la défense, ce n'est pas bien, il nous manquera la première ressource nécessaire... », avance-t-il.

En outre, les programmes réalisés en coopération préservent-ils les savoir-faire dans les domaines de la défense en France ? Celui sur le futur char européen développé dans le cadre de MGCS (Main Ground Combat System) « a clairement pour objectif de sécuriser les compétences en France et en Allemagne ainsi que parmi tous les pays qui souhaiteront un jour y participer », assure Nicolas Chamussy. A condition, toutefois, que « la répartition industrielle du travail soit faite de manière quantitative et qualitative équilibrée », précise-t-il, et d'avoir un chef de file en mesure de structurer une chaîne de fournisseurs qui travaille en confiance. Eric Béranger, le patron MBDA, née de la fusion de plusieurs entreprises européennes, le confirme. « Nous sommes le seul acteur occidental non américain capable de fournir à ses clients, ses pays, l'ensemble du spectre en termes de munitions complexes. Un pays tout seul ne serait pas capable d'entretenir cette base technologique », conclut-il. Une question de volonté, qui génère d'autres vulnérabilités...

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Commentaire 1
à écrit le 25/06/2022 à 7:48
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Ce que l'on veut rendre résilient, a notre époque, c'est simplement "la politique de l'offre" qui nous fait "pédaler sans cesse dans la semoule" et qui ne gènère que des innovations, mais aucun progrès!

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