L'Europe de la défense va-t-elle prendre son envol ? Ses contours sont en passe de se dessiner, à en croire les ambitions affichées en matière d'investissement et d'achats communs d'armement lors du Conseil européen qui s'est tenu fin mai, sur fond de conflit russo-ukrainien. La France, en tout cas, n'a pas manqué ces dernières années de volonté politique dans ce domaine puisqu'elle a été à l'origine d'une série de partenariats stratégiques européens. Avec des résultats mitigés. « Il y a quelques semaines, nous avons finalisé la réalisation de l'Eurodrone avec l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. C'est ce qui va donner aux États européens l'indépendance dans les drones de moyenne altitude et de renseignement et de surveillance », rappelle Joël Barre, délégué général pour l'armement à la Direction générale de l'armement.
"Cela fait parte de notre stratégie de promouvoir la coopération dans les programmes d'armement. (...) C'est la volonté politique du gouvernement français mais aussi des autres gouvernements européens", souligne le Délégué général pour l'armement.
Des programmes enlisés
D'autres programmes sont freinés dans leur élan comme le SCAF (système de combat f aérien du futur) - un système de plateformes en réseau avec un futur avion du combat - lancé il y a trois ans avec l'Allemagne et rejoint par l'Espagne. Après la phase d'études, « nous butons sur la phase 1B. Il y a un désaccord aujourd'hui sur la nature même de la coopération à avoir entre nous sur ces programmes... », indique EricTrappier, PDG de Dassault Aviation, à propos du partage des tâches entre le constructeur du Rafale et Airbus sur le SCAF.
"Entre nous 2040, c'est déjà perdu, car comme on ne démarre pas et que surement les discussions seront longues, non pas pour cette phase-là (phase 1B, ndlr)), mais pour les phases à venir, estime Eric Trappier. Cela prendra un peu de temps. Donc 2040, il y aura un premier standard peut-être sous réserve de... Donc on est parti plutôt sur les années 2050".
Autre programme à la peine, le développement de l'hélicoptère Tigre Mark 3, approuvé en mars dernier par l'Espagne et la France, mais pas encore par l'Allemagne. Cette dernière a jusqu'à fin juin pour signer le contrat. Des signaux ? « Ils ne sont pas positifs au niveau opérationnel, mais au niveau politique, tout est possible », estime Bruno Even, PDG d'Airbus Helicopters, le maître d'oeuvre du Tigre Mark 3.
Peser face aux Américains
Si elle n'est pas sans défis, la coopération européenne en matière d'armement reste « une nécessité absolue, faute de quoi on se retrouverait dans la main des industriels américains - qui font du bon matériel et ont un poids stratégique et politique important », rappelle Christian Cambon, président de la Commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat. De fait, nombre de pays européens achètent encore de préférence des systèmes d'armes aux Etats-Unis. « Je reste marqué par l'achat des F35 (ndlr : plutôt que des Rafales) par la Suisse, alors que, jusqu'au tout dernier moment, nous avions de sérieux espoirs », admet le sénateur. D'autant que la France abrite une industrie de l'armement de pointe qui compte quelque 200.000 emplois...
« La difficulté est que nous sommes dans une période de basculement. Un certain nombre de compteurs sont remis à zéro par l'impact de la crise russo-ukrainienne », poursuit Christian Cambon. Tout l'enjeu est de savoir si « nous voulons une véritable Europe de la défense avec une véritable base industrielle et technologique et un savoir-faire qui permet non d'exclure les industriels américains, mais de peser face à eux », explique-t-il. Plus particulièrement sur la coopération avec l'Allemagne, « les parlementaires allemands ont derrière eux des industriels très influents », analyse le sénateur, en rappelant le poids du Bundestag dans les décisions outre-Rhin. « Vis-à-vis du SCAF, il va falloir tenir à nos amis les Allemands le langage de vérité - on y va ou on n'y va pas », interroge-t-il. Et de souligner qu'il y a « d'autres partenaires en Europe. Le Brexit ne doit pas tirer un trait définitif sur la coopération avec les Britanniques, qui eux-mêmes proposent un autre projet, le Tempest, avec les Italiens », ajoute-t-il. Autant dire que la coopération européenne a dû mal à trouver son chemin...
Les clés de réussite
Quoiqu'il en soit, quelles seraient les conditions pour une coopération efficace ? Un besoin conjoint, un calendrier de réalisation des équipements synchrone, de même qu'une efficacité de gouvernance et d'organisation industrielle en font partie, selon Joël Barre, qui rappelle le principe du « best athlete », selon lequel c'est l'industriel qui a la meilleure expertise dans un domaine qui en prend le leadership. Il a d'ailleurs fonctionné pour l'Eurodrone. Autre exemple, celui du démonstrateur européen de drone de combat nEUROn, dont la maîtrise d'œuvre a été confiée à Dassault Aviation. « Dassault sait coopérer », conclut son directeur général.
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