La guerre en Ukraine a démontré s'il en était besoin que la conflictualité entre les nations trouvait immanquablement son prolongement dans l'espace. Sur les exigences de sécurité pour l'Europe, "nous n'en sommes encore qu'au début de ce débat, ce n'est pas encore tout à fait défini malgré beaucoup d'avancées au niveau politique en très peu de temps, mais ce débat pour moi ne fait que commencer", a estimé, mardi 7 juin au Paris Air Forum, le directeur général de l'Agence spatiale européenne (ESA), Josef Aschbacher lors de la table-ronde intitulée "Souveraineté spatiale : quelles ambitions après l'Ukraine et le sommet de Toulouse ?"
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L'extrême importance de l'imagerie spatiale
La guerre en Ukraine a aussi souligné l'urgence d'assurer la souveraineté de l'Europe en matière spatiale, ont convenu les participants à cette table ronde. Le conflit en Ukraine "a démontré que la conflictualité sur Terre s'étendait à l'espace dès le début du conflit, a fait remarquer le général Michel Friedling, commandant de l'espace au sein de l'Armée de l'air et de l'espace. On a constaté l'extrême importance de l'imagerie spatiale dès les premiers jours (...) pour la conduite des opérations, pour le renseignement, mais également pour la guerre informationnelle".
Le conflit a également fait ressortir l'importance du secteur privé, a relevé le commandant de l'espace, comme l'ont montré le déploiement des modems Starlink pour procurer aux forces ukrainiennes des moyens de connectivité sur les lignes de front ou les images des colonnes de chars russes se dirigeant vers Kiev prises par des opérateurs privés. Malgré cela, l'apport de l'espace au déroulement des opérations demeure assez peu connu alors qu'il est le « critical enabler » (facteur essentiel) des opérations militaires, a souligné le général Friedling en déclinant les priorités et en relevant que les capacités recensées ne sont sans doute pas toutes financées dans le cadre de la Loi de programmation militaire (LPM).
Une souveraineté spatiale cruciale
Le caractère crucial de la souveraineté spatiale a pris du relief avec la crise du Covid, mais "la crise ukrainienne nous met au pied du mur", a abondé André-Hubert Roussel, le PDG d'ArianeGroup. "Aujourd'hui, on a la preuve que (la préférence européenne) est une absolue nécessité" mais "il va falloir parler du prix de cette souveraineté, qu'on a eu souvent tendance à cacher sous le tapis". Et si Ariane 6 et Vega C montrent que l'Europe a fait "les bons choix pour assurer son autonomie d'accès à l'espace pour les années qui viennent", la souveraineté passe aussi par la supervision et la connaissance du trafic spatial, avec notamment la multiplication des objets sur orbite basse avec les constellations, a-t-il indiqué.
ArianeGroup s'est doté depuis dix ans d'une capacité de surveillance spatiale nécessaire pour pouvoir accéder librement à l'espace, qui est le plus grand réseau privé de surveillance en Europe, a-t-il rappelé. La souveraineté, "c'est de pouvoir voir ce que je veux quand je veux, de pouvoir naviguer et localiser quand je veux et de pouvoir connecter y compris à très faible latence", a de son côté souligné Jean-Marc Nasr, le directeur général Space Systems d'Airbus. L'Europe est souveraine sur l'observation de la Terre et la navigation avec Galileo notamment, mais elle a une "faiblesse" dans la communication à faible latence pour les besoins souverains. Des technologies clés sont nécessaires pour assurer cette souveraineté, a-t-il poursuivi, en citant notamment en exemple les soupapes haute pression, indispensables pour tout voyage interplanétaire, dont l'Europe n'a pas la technologie mais qui sont en développement chez ArianeGroup.
Nécessité d'une constellation européenne
Jean-Marc Nasr a également insisté sur le besoin de constellations souveraines, car selon lui, "il n'y aura pas de SCAF sans constellation maîtrisée en Europe". Pour assurer la souveraineté et réduire nos dépendances, il est nécessaire soutenir la chaîne d'approvisionnement et d'avoir de grands programmes "qui permettent de maintenir la compétence de ces différents éléments de la chaîne de valeur au meilleur niveau mondial", a rebondi Hervé Derrey, le PDG de Thales Alenia Space. Il est également nécessaire d'identifier les trous capacitaires.
En France, ces ambitions ont été posées par le discours de Toulouse du président de la République, quelques jours avant l'invasion de l'Ukraine, et en Europe dans le cadre de la Boussole stratégique pilotée par l'Union européenne lors du Conseil européen du 24 mars, a rappelé le général Friedling. "Ce qu'il nous reste à faire, c'est de définir la feuille de route", a-t-il déclaré en prônant notamment de combiner acteurs étatiques, centres de recherche et acteurs privés. Quel rôle pour l'Agence spatiale européenne (ESA) dans ce contexte ? "Il y a une nouvelle réalité depuis le 24 février", a affirmé Josef Aschbacher. Outre le rôle d'agence de ses États membres, il estime nécessaire de faire de l'ESA l'organisation qui mettrait par défaut en œuvre tous les programmes de l'UE, qu'ils soient civils ou liés à la sécurité.
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