Ce n'est pas vraiment une surprise : la France aura bien un futur porte-avions de nouvelle génération (PANG) à propulsion nucléaire à l'horizon 2038, pour remplacer le Charles de Gaulle. Sur les recommandations de la ministre des Armées Florence Parly, le choix de la propulsion nucléaire pour le PANG a été finalement validé par Emmanuel Macron après quelques retards essentiellement liés à la crise de la Covid-19. Le chef de l'État a annoncé mardi sa décision au Creusot sur le site industriel de Framatome : le porte-avions "Charles de Gaulle arrivera à la fin de sa vie en 2038. C'est pourquoi j'ai décidé que le futur porte-avions qui dotera notre pays sera, comme le Charles de Gaulle et notre marine, à propulsion nucléaire".
"Notre avenir stratégique, notre statut de grande puissance passe par la filière nucléaire, a affirmé Emmanuel Macron à l'occasion d'une visite dans une usine de Framatome au Creusot. (...) Opposer nucléaire civil et nucléaire militaire n'a pas de sens pour un pays comme le nôtre. (...) Le nucléaire restera la pierre angulaire de notre autonomie stratégique".
Le PANG sera construit à partir de la fin 2025 dès la fin des études de développement. Il devrait effectuer ses premiers essais à la mer en 2036 pour une admission en service actif dans la marine nationale en 2038, date du retrait du Charles de Gaulle. Si la France n'a aujourd'hui qu'un porte-avions, qui sera remplacé en 2038, "il n'est pas exclu qu'il y en ait deux à terminaison", souligne-t-on au ministère.
Un coût du fonctionnement inférieur à un porte-avion classique
Selon nos informations, le coût de ce programme pourrait s'élever au total à 4,5 milliards d'euros. Au ministère des Armées, on n'indique pour le moment que le coût sur la période de 2020-2025. Soit un peu plus de 900 millions d'euros, dont 117 millions dans le projet de budget 2021. En 2018, la ministre avait déjà lancé une phase d'étude, d'un montant de 40 millions d'euros. Pourquoi le ministère ne souhaite pas donner le coût du programme ? "C'est un projet éminemment complexe. Nous avons besoin de savoir précisément de quoi on parle en termes de plan, de difficultés d'emménagement, de compatibilité du bâtiment et de personnes qui seront mobilisées", explique-t-on dans l'entourage de la ministre. Il est également possible que le timing politique ne permette pas au gouvernement d'annoncer le coût à terminaison du programme.
Le programme d'un porte-avions nucléaire "représente un surcoût par rapport à une option classique, explique-t-on dans l'entourage de la ministre. Mais sur les 40 ans de vie du PANG, le coût de fonctionnement du porte-avions nucléaire est plutôt inférieur au coût de fonctionnement d'un porte-avions à propulsion classique. On se base pour cela sur des projections du prix du pétrole. Le facteur prix n'a pas été un déterminant du choix de la propulsion nucléaire. Le choix déterminant, c'est le poids politique, diplomatique que représente une propulsion nucléaire : c'est l'affirmation d'une puissance, une puissance militaire et scientifique".
Un porte-avions de 75.000 tonnes
Pour pouvoir accueillir 30 futurs avions de combat embarqués (NGF) dans le cadre du programme SCAF et 2.000 marins (contre 42 Rafale et 2.000 marins actuellement sur le Charles de Gaulle), le successeur du porte-avions de la marine nationale, qui aura une longueur de 300 mètres et une largeur de 40 mètres, disposera d'un déplacement de 75.000 tonnes. Soit une augmentation de plus de 60% par rapport au Charles de Gaulle (42.500 tonnes). Il bénéficiera d'un pont d'envol de 80 mètres de long
A l'image de son prédécesseur, il naviguera à 27 nœuds (50 km/h) mais avec deux chaufferies nucléaires (K22) nettement plus puissantes que les deux K15 : 220 mégawatts thermiques contre 150 mégawatts à celles du Charles de Gaulle. Le PANG sera également doté de deux catapultes électromagnétiques de conception américaine (General Atomics) et de brin d'arrêt de nouvelle génération. "C'est une dépendance tout à fait consentie, précise-t-on dans l'entourage de la ministre des Armées. C'est dans la foulée de ce que la France a déjà fait sur le Charles de Gaulle, le Foch et le Clémenceau". Ce choix s'est imposé naturellement compte tenu que les catapultes à vapeur ne seront plus maintenues à moyen terme.
Ce programme d'envergure va mobiliser 2.000 personnes en équivalent temps plein sur toute la durée du projet, selon l'entourage de la ministre : 400 personnes à Saint-Nazaire aux Chantiers Atlantiques sur les aspects coque et propulsion, 1.400 personnes chez Naval Group sur les sites de Lorient, Nantes, Ruelle, Ollioules, ainsi que ses partenaires, 300 personnes chez TechnicAtome, principalement dans le bassin d'Aix-en-Provence, pour la partie nucléaire (chaufferies embarquées). Par région, le PANG va mobiliser 650 personnes dans les Pays de la Loire, 430 en Bretagne et 710 dans le sud de la France. Enfin, c'est le port de Toulon, qui accueillera le PANG. Il fera donc l'objet de travaux d'infrastructure pour qu'il puisse accoster à quai.
Pourquoi une propulsion nucléaire
En mai, quand le ministère des Armées a transmis ses recommandations en faveur d'une propulsion nucléaire au président de la République, il l'a fait après avoir réalisé "un travail extrêmement dense et abouti sur les avantages et le comparatif" entre une propulsion nucléaire et une propulsion classique. Qu'est-ce qui a fait pencher la balance pour la propulsion nucléaire ? Essentiellement son endurance. Ainsi, la marine n'a pas besoin de ravitailler le porte-avions trop longtemps en mer (deux heures contre 6/8 heures pour un porte-avions classique), une opération où il est très vulnérable.
En outre, le futur porte-avions à propulsion nucléaire devrait être beaucoup plus disponible opérationnellement que le Charles de Gaulle. Ce porte-avions de nouvelle génération sera conçu pour effectuer un grand carénage et un changement de la chaufferie (arrêt technique majeur ) tous les dix ans (contre tous les 7/8 ans). La marine devrait bénéficier d'une disponibilité de 65% sur la durée de la vie totale du navire.
Le maintien d'une filière industrielle critique
Avec le choix de la propulsion nucléaire, l'État assure également le maintien des compétences et des savoir-faire dans une filière industrielle critique, qui permet de concevoir et de produire des chaufferies embarquées. Un choix "tout à fait assumé, assure-t-on à l'Hôtel de Brienne. Ce n'est pas un sport de masse, c'est un sport extrêmement compliqué. Notre dissuasion nucléaire est fondée sur des chaufferies nucléaires embarquées. On a donc un besoin viscéral de maintenir une capacité industrielle et une capacité ingénierie pour développer et fabriquer sur le temps long des chaufferies".
Résultat, la France a choisi de développer une nouvelle version dérivée (K22) des chaufferies nucléaires de type K15. "Une sorte d'homothétie de la K15", souligne-t-on au ministère. Les sous-marins nucléaire d'attaque (SNA) de la classe Barracuda sont déjà équipés de ce type de chaufferie de type K15. Tout comme d'ailleurs l'actuel porte-avions (deux chaufferies K15). Enfin, les sous-marins nucléaire lanceur d'engins (SNLE) de 3e génération, qui seront opérationnels au milieu de la décennie 2030, seront également dotés chacun de chaufferie dérivée de la K15. Ce choix est donc "assumé" mais "cela reste compliqué de redimensionner une chaufferie", rappelle-t-on au ministère.
Pour bien entretenir la flotte actuelle et développer les prochaines générations de chaufferie nucléaire, le ministère a besoin de personnels hautement qualifiés, qui ont déjà conçu ce type d'équipement et qui savent comment sont faites les tuyauteries, comment a été fait le dimensionnement du réacteur, pourquoi telle pompe et pas telle autre. "Nous avons besoin de préparer aujourd'hui la génération d'ingénieurs, qui concevra les chaufferies, qui seront à bord des successeurs des Barracuda", explique--on au ministère.
"C'est une ligne de crête entre maintenir et développer des compétences et prendre le moins de risques sur la tenue du calendrier" du programme, explique-t-on dans l'entourage de Florence Parly.
Les porte-avions, instruments de puissance
Enfin, les grandes puissances navales s'équipent de plus en plus de porte-avions. Selon le ministère, 28 porte-aéronefs, qui embarquent chacun plus de plus de 15 avions au moins, ont été identifiés en 2020. En 2040, il y aura à peu près 36 plateformes. Soit une augmentation de près de 30% "La France ne pouvait pas rester à côté de ce mouvement compte tenu du poids politique massif que représente aujourd'hui un porte-avions", estime-t-on dans l'entourage de Florence Parly.
Ainsi, la Chine en possède déjà deux et en construit deux autres. Les Etats-Unis, qui ont une flotte de 11 porte-avions de la classe de 100.000 tonnes, vont renouveler leur flotte à compter de 2024. L'Inde, qui a déjà acheté deux porte-avions à la Russie, en construirait un. La Russie a quant à elle lancé un programme de très gros porte-avions (100.000 tonnes). Plus près de la France, la Grande-Bretagne s'est dotée de deux porte-aéronefs de type Queen Elisabeth (65.000 tonnes).
"Il y a vraiment un contexte stratégique qui met le porte-aéronef sur le devant de la scène et permet aux puissances qui en sont dotées d'avoir un outil à la fois de souveraineté diplomatique et politique absolument massif. C'est dans ce mouvement-là que la France s'inscrit", fait-on valoir au ministère
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