C'est un petit peu le "Golden hello" de Nicolas Chamussy. Le jour de son arrivée à la tête de Nexter - le 1er avril -, le ministère des Armées a salué la signature d'un important contrat de MCO (Maintien en condition opérationnelle) portant sur le char de combat Leclerc, appelé Marché de soutien en service (MSS2). La SIMMT (Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres) a dans ce cadre notifié à Nexter un contrat d'un montant supérieur à 1 milliard d'euros pour le MCO du Leclerc et de son dépanneur sur une période de dix ans. Le contrat est entré en vigueur le 31 mars, le jour où a pris fin le précédent contrat MSS1. "La pérennité du char Leclerc est assurée", a assuré le ministère dans un communiqué.
Ce contrat permettra d'assurer "un gain de disponibilité des chars Leclerc", a estimé le ministère. Ainsi, il permettra d'améliorer assez significativement la disponibilité du char Leclerc, qui est aujourd'hui autour de 60% (58% en 2018, 64% en 2017). La disponibilité des chars de combat dans le monde, qui sont bien entretenus, tourne d'ailleurs autour de 60%. Selon nos informations, le contrat de MCO permettrait progressivement d'atteindre une disponibilité du Leclerc à hauteur de 70%. En dépit de son âge (près de 30 ans), le Leclerc impressionne encore et reste l'un des meilleurs chars au monde. En 2019, lors de l'exercice OTAN Iron Spear, organisé en Lettonie, il a terminé premier de cette compétition amicale, qui a rassemblé 44 équipages de chars, représentant 8 pays (Allemagne, Espagne, États-Unis, Italie, Norvège, Pologne, Royaume-Uni et France).
Doublement du nombre de pièces couvertes
Les négociations entre la SIMMT, la direction générale de l'armement (DGA) et Nexter se sont étirées en longueur. A tel point que certains observateurs se sont demandé si les négociateurs allaient pouvoir parvenir à temps à un accord avant la fin du marché MSS1. Pourquoi autant de temps ? Nexter devait négocier en parallèle avec la SIMMT d'une part, et d'autre part avec la DGA les termes des deux marchés (MCO et traitement des obsolescences du char). L'armée de Terre avait également à faire valoir de nouvelles exigences importantes par rapport à MSS1. Et finalement, la ministre des Armées, Florence Parly, a pu donner son accord en février lors d'un comité ministériel d'investissement (CMI) à la notification de ce contrat majeur sur le plan capacitaire pour l'armée de Terre.
Comme toujours, les négociations ont buté sur le montant du contrat. Nexter et la SIMMT sont partis de loin, de très loin. Au début des négociations, Nexter demandait au ministère une rallonge de 40% par rapport au contrat MSS1 pour satisfaire les nouvelles demandes de l'armée de Terre, selon des sources concordantes. Notamment celle de soutenir la nouvelle vision du chef de l'état-major de l'armée de Terre, le général Thierry Burkhard, qui souhaite préparer les forces terrestres françaises au combat de haute intensité (entrainements, exercices...). Ce qui implique notamment d'augmenter les stocks de pièces de rechange. Le niveau de la première proposition commerciale de Nexter reste toutefois à pondérer, sachant que le périmètre des deux contrats de soutien n'est pas totalement comparable.
"Il aurait fallu comparer le coût du forfait de MSS1 et des pièces que la SIMMT a acheté au fur à mesure lors des dix dernières années parce qu'elles étaient hors forfait", explique-t-on à La Tribune.
Au final, ce contrat, qui s'appuie fortement sur un retour d'expérience solide de MSS1 (10 ans), permet notamment à l'armée de Terre de doubler quasiment le nombre de pièces couvertes par le forfait négocié, selon nos informations. Ainsi, si une pièce tombe en panne 40 ou 50 fois, Nexter est tenu de la remplacer 40 ou 50 fois pour le même prix que s'il en livrait qu'une seule. Cette disposition a fait enfler la facture du contrat par rapport à celle de MSS1. Toutefois, le contrat MSS2 offre in fine beaucoup plus de prestations que MSS1. Enfin, l'armée de Terre continuera également à acheter des pièces en dehors du forfait.
Un contrat revu à la baisse en 2025 ?
Une grande partie de l'équation de ces négociations complexes émanait de la résolution des obsolescences majeures à venir du Leclerc (turbomachine, moteur et viseur). Des obsolescences qui n'ont pas jusqu'ici été traitées par le ministère des Armées pour un char pourtant conçu dans les années 80 et mis en service en 1993. Pourquoi un tel retard dans le traitement des obsolescences ? En raison des budgets réduits de la précédente loi de programmation militaire (LPM).
Face à la contrainte budgétaire de l'époque, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian n'avait pas pu intégrer en 2015 le traitement des obsolescences dans le cadre du contrat de modernisation du char, baptisé "Leclerc rénové" (330 millions d'euros). "Cette opération de modernisation ne couvrait pas la résolution d'un certain nombre d'obsolescences", souligne-t-on. Objectif de cette opération : rendre compatible la vétronique des chars Leclerc modernisés avec le programme Scorpion dans le cadre du combat collaboratif, et plus précisément avec le Système d'information et de commandement Scorpion (Sics), développé par Atos. Dans le cadre de ce contrat de modernisation, 200 exemplaires sont prévus d'être rénovés, dont 122 d'ici à 2025.
Résultat, Nexter, qui est tenu d'assurer dans le cadre du contrat MCO un objectif de performances vis-à-vis de l'armée de Terre, a très logiquement souhaité au cours des négociations MSS2 se couvrir financièrement tant que le problème des obsolescences n'était pas résolu. Car elles peuvent provoquer des pannes à répétition et, dans le cadre de ce contrat forfaitaire, le maître d'oeuvre pourrait être amené à changer beaucoup plus souvent des pièces du char. Ce qui ferait alors exploser ses coûts... D'où le montant du contrat à la hausse.
Au final, la SIMMT et Nexter se sont pour le moment accordés sur une hausse du montant du contrat raisonnable. Soit 13% entre MSS1 et MSS2, selon nos informations. Toutefois, le ministère souhaite revoir à la baisse le contrat une fois les obsolescences du Leclerc traitées. "En 2025, on renégociera le contrat à la baisse une fois que les principaux risques majeurs auront été levés. On pourra alors faire des avenants au contrat pour prendre en compte ces évolutions", explique-t-on de source proche du dossier.
Deux marchés
Au-delà de son soutien, le char Leclerc, qui arrive à mi-vie (près de 30 ans après sa mise en service), va subir un check-up complet, que l'on appelle dans l'armée une opération de pérennisation. Elle va concerner le traitement des obsolescences du moteur diesel de l'industriel finlandais Wärtsilä ainsi que de la turbomachine (turbine à gaz de l'ex-Turbomeca) et du viseur de Safran. Wärtsilä sait exactement ce dont il a besoin pour refaire le moteur du Leclerc, qui a vieilli depuis son entrée en service. En dehors de ces trois gros chantiers, Nexter en tant que maître d'oeuvre devra également traiter un certain nombre de petites obsolescences beaucoup plus courantes, dont des sous-systèmes optroniques. Dans le contrat, est inscrit d'ailleurs une clause de veille des obsolescences.
Sur le MCO, la SIMMT et Nexter, qui pourra compter sur un socle minimum d'activités, ont négocié un forfait pour un certain nombre d'opérations de soutien. Ainsi, le groupe devra dans un premier temps assurer, par exemple, une disponibilité comprise entre 10.000 et 20.000 heures moteur par an pour le parc de Leclerc de l'armée de Terre. Cette dernière décidera chaque année ce dont elle a besoin au regard de ses activités (10.000, 11.000, 12.000...) mais elle pourra décider en cours d'année d'augmenter le nombre d'heures en cas d'un besoin très rapide de l'armée de Terre. A partir de 2025, l'objectif est d'atteindre un plafond de 30.000 heures moteur, souligne une source proche du dossier. Soit un volant d'heures compris entre 10.000 et 30.000 heures.
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