Comment le conflit entre la Russie et l'Ukraine menace l'agriculture française

Si les exportations de certains produits européens vers la Russie devaient s'arrêter, les perturbations de l'équilibre entre l'offre et la demande dans le marché unique risquent d'entrainer une baisse des cours. Alors que les coûts de production, eux, sont déjà en train de croître. Explications.
Giulietta Gamberini
Dans l'élevage notamment, lorsque certains parties des carcasses d'animaux ne peuvent plus être valorisées, cela a des conséquences sur l'ensemble de l'équilibre économique de la filière.
Dans l'élevage notamment, lorsque certains parties des carcasses d'animaux ne peuvent plus être valorisées, cela a des conséquences sur l'ensemble de l'équilibre économique de la filière. (Crédits : SCOTT MORGAN)

L'agriculture française s'inquiète de la guerre engagée par la Russie contre l'Ukraine, dont les effets, bien qu'encore incertains, pourraient être largement déstabilisateurs. Ils ne concernent pas tellement les exportations directes vers la Russie, aujourd'hui peu importantes et limitées à certains secteurs: quelques produits laitiers et des parties de la viande bovine. "Après les sanctions occidentales adoptées qui avaient suivi l'annexion de la Crimée en 2014, la Russie a en effet renforcé ses investissements dans l'agriculture, en devenant autosuffisante en céréales et quasiment en viande porcine et poulets", explique Henri Biès Peré, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (Fnsea).

"C'est à l'époque, lorsque la Russie était encore importatrice nette de plusieurs produits, que nous avons pris le principal choc. Mais quand les embargos se sont mis en place, Vladimir Poutine a fait de l'agriculture une priorité nationale", et a su se sortir de la dépendance, explique-t-il.

Lire: "Avec l'arme militaire, la Russie détient l'arme alimentaire" (Henri Biès Peré, Fnsea)

Le risque d'une perturbation du marché européen

Aujourd'hui, il reste le danger de subir les conséquences d'éventuelles sanctions russes en représailles de sanctions occidentales. "D'autres pays européens, comme l'Allemagne, continuent en effet d'exporter en Russie davantage que la France. Globalement, l'Union européenne y vend par exemple ses œufs pour 150 millions d'euros annuels, et des préparations alimentaires à base de produits agricoles pour 300 millions d'euros", détaille Henri Biès Peré. Sans compter les vins et les spiritueux, dont les ventes européennes en Russie représentent 1 milliard d'euros par an-et dans lesquelles la France joue un rôle important. Si le débouché russe devait se fermer, les exportations européennes initialement prévues en Russie se retrouveront sur le marché européen, en entraînant une chute des cours pour l'ensemble des agriculteurs du Vieux continent, redoute la Fnsea.

"En France, les crises précédentes l'ont déjà prouvé: l'équilibre, déjà fragile, de l'offre et de la demande risque d'être perturbé. Et toute déstabilisation pèse immédiatement sur le cours des produits intérieurs", relève le vice-président du syndicat agricole, lui-même éleveur laitier dans les Pyrénées Atlantiques.

Dans l'élevage notamment, lorsque certaines parties des carcasses d'animaux ne peuvent plus être valorisées, cela a des conséquences sur l'ensemble de l'équilibre économique de la filière. Ainsi, si le débouché russe du gras de porc, que la Russie a importé pour un demi milliard d'euros en 2021, devait ne plus être accessible, cela entraînerait une baisse globale des cours de cette viande, puisqu'une partie du poids de l'animal ne serait pas valorisée, explique Henri Biès Peré. Or ce sont justement les filières de l'élevage -en particulier celle de la viande porcine- celles les plus fragiles en France aujourd'hui.

L'accord de libre échange avec l'Ukraine en danger

L'importance du marché ukrainien ne doit non plus être négligée. Depuis 2014, l'Union européenne a en effet mis en place un accord de libre échange avec l'Ukraine très avantageux, puisque le pays est importateur net de beaucoup de produits, tels que les graines de tournesol et de colza, les semences, les fromages. En dix ans, la France a ainsi pu multiplier ses échanges alimentaires par quatre, ses exportations étant passées de 500 millions à 2 milliards d'euros. Si l'Ukraine tombe sous l'influence russe, cet accord de libre échange n'existera plus, avec d'importantes répercussions pour la France et pour l'ensemble de l'Europe, met en garde la Fnsea.

Quant au blé, les producteurs français bénéficieront certes à court terme de la hausse des cours que la guerre est en train de provoquer. Mais si la Russie, qui détient déjà 18% du marché mondial, met la main sur le blé ukrainien (12%), ne risquent-ils pas d'être fortement concurrencés dans les zones d'exportation clés comme le Nord de l'Afrique, où ils ont déjà perdu leur leadership face au blé russe, plus compétitif ?

Des conséquences sur le pouvoir d'achat?

L'envolée des prix des céréales, dont la moitié est utilisée en France dans la production animale (porcs, bovins, canards), va en outre renchérir les coûts des éleveurs français, alors qu'à cause du contexte généralement inflationniste, et de l'application de la loi Egalim 2, visant à protéger la rémunération des agriculteurs, les négociations commerciales avec la grande distribution sont déjà très tendues cette année. A cela s'ajoute le risque que les prix des carburants et des engrais azotés utilisés par les agriculteurs, tous les deux dépendant des produits fossiles contrôlés par la Russie, continuent de grimper aussi, alors même qu'ils ont déjà fortement augmenté. De nouveaux facteurs d'inflation qui ne manqueraient pas d'avoir des conséquences aussi sur les prix finaux, et donc sur le pouvoir d'achat des ménages, et notamment des populations les moins aisées, met en garde la Fnsea.

Giulietta Gamberini
Commentaire 1
à écrit le 24/02/2022 à 16:54
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Moins d'élevage en Bretagne c'est moins d'algues vertes.. Quatre départements concentrent quelque 7 millions de cochons et environ 2 millions de bovins toutes espèces confondues..

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