Sécurité alimentaire :  les agriculteurs ukrainiens manquent de tout, le virage dirigiste de Paris

Carburant, semences, engrais, pesticides, médicaments vétérinaires et machines agricoles... l'Ukraine, 5e exportateur mondial de blé, dont les semis sont menacés par la guerre, demande une aide d'urgence à Bruxelles pour ses agriculteurs qui vont risquer leur vie dans les champs pour assurer semailles et récoltes. La France, premier producteur de céréales de l'UE, prend un virage dirigiste en demandant des mesures de planification et de coordination pour renforcer la sécurité alimentaire, voire la "souveraineté alimentaire" des 27.
L'Ukraine, 5e exportateur mondial de blé avant la guerre, voit sa capacité agricole  menacée par la guerre en raison des pans entiers de territoires annexés (ou à portée d'armes russes), ainsi que par les destructions causées par la Russie à son appareil productif.
L'Ukraine, 5e exportateur mondial de blé avant la guerre, voit sa capacité agricole menacée par la guerre en raison des pans entiers de territoires annexés (ou à portée d'armes russes), ainsi que par les destructions causées par la Russie à son appareil productif. (Crédits : Reuters)

Les prix alimentaires mondiaux flambent à un niveau jamais vu: ils ont atteint en mars leurs "plus hauts niveaux jamais enregistrés" en raison de la guerre déclenchée par la Russie, qui "provoque des chocs" dans les marchés des céréales et des huiles végétales, a annoncé vendredi la FAO (l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture).

Blé, tournesol, maïs: les prix des matières premières agricoles continuent de s'envoler, sur fond d'enlisement du conflit entre la Russie et l'Ukraine, principaux exportateurs mondiaux de ces denrées alimentaires, doublé d'une menace sur les prochaines récoltes.

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Kiev adresse à l'UE la liste des besoins les plus criants de ses agriculteurs

Cinquième exportateur mondial de blé avant la guerre, l'Ukraine compte pour beaucoup sur l'échiquier agroalimentaire mondial. Or sa capacité agricole est considérablement affaiblie par la guerre en raison des pans entiers de territoires annexés (ou à portée d'armes russes), mais aussi à cause des destructions matérielles et humaines causées par la Russie à son appareil productif. C'est pourquoi Kiev vient de réclamer de façon urgente à l'UE de l'aide pour ses agriculteurs qui sont en pleine préparation des semis sur les terres encore cultivables, a indiqué jeudi la Commission européenne, chargée par les Vingt-Sept de coordonner les acheminements.

Le commissaire européen à l'Agriculture Janusz Wojciechowski a indiqué que Kiev avait envoyé à Bruxelles "une liste mise à jour" des besoins les plus criants des agriculteurs ukrainiens, « incluant du carburant, des semences, des engrais, des pesticides, des médicaments vétérinaires et des machines agricoles ».

« Il faut que cette aide leur soit apportée très vite, dans les prochaines semaines, à temps pour les semis de maïs et de tournesol », a-t-il insisté, en marge d'une réunion à Luxembourg des ministres européens de l'Agriculture, lors de laquelle est intervenu en visioconférence leur nouvel homologue ukrainien, Mykola Solsky.

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"50% à 70% des terres peuvent aujourd'hui être semées",

Le ministre français de l'Agriculture, Julien Denormandie, a lui rapporté que Mykola Solsky avait affirmé aux Vingt-Sept que Kiev « s'efforçait de maintenir une production agricole là où c'est possible sur le sol ukrainien, et que 50% à 70% des terres du pays peuvent aujourd'hui être semées, et demain récoltées », observant cependant que « cela dépendra de l'évolution » du conflit.

Face aux demandes "très précises" de l'Ukraine, l'aide européenne sera pilotée par la Commission, qui recensera les possibilités de chaque pays et coordonnera les acheminements, a précisé M. Denormandie. La France a notamment livré aux Ukrainiens des semences de pommes de terre, a précisé le ministre.

Il faut le noter, là encore, un effort de coordination est demandé car, en effet, jusqu'à présent, les Etats s'organisaient en ordre dispersé.

La logistique, clé du succès de ces futures récoltes à hauts risques

Par ailleurs, Kiev a demandé aux Européens de préparer dès maintenant des capacités de stockage en vue des récoltes à venir, ainsi que les moyens logistiques pour les sortir hors d'Ukraine.

« Faute d'accès aux ports de la mer Noire, il est essentiel d'améliorer les transports de fret avec l'Ukraine, par bateau sur le Danube ou par chemin de fer (...) S'il n'y a pas de progrès, les paysans ukrainiens risqueront leur vie dans les champs pour des céréales qui n'accéderont jamais aux marchés agricoles », a prévenu Janusz Wojciechowski.

Sécurité alimentaire de l'Union: le virage dirigiste de Paris

Pour la France, premier pays producteur de céréales de l'Union Européenne avec une production de céréales de 56,9 millions de tonnes d'une valeur de 9,5 milliards d'euros en 2020, la question de la sécurité alimentaire, mais encore de la "souveraineté alimentaire" est désormais à considérer globalement et nécessite une coordination européenne.

D'autant que depuis quelques semaines, les rayons d'huiles, de farines ou de pâtes dans les magasins sont soumis à davantage de tensions d'approvisionnement, en raison notamment d'achats de précaution des consommateurs craignant des ruptures de stock.

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Jeudi, lors d'une réunion des ministres de l'Agriculture des Vingt-Sept, Paris a donc proposé jeudi de fixer des « cibles de production » agricole dans l'UE pour renforcer la sécurité alimentaire dont les failles ont été mises en lumière par les conséquences de la guerre en Ukraine.

« La première mission de notre agriculture est d'assumer un rôle nourricier, nous nous devons de fixer des cibles de production (...) sans perdre de vue la protection de l'environnement », a estimé le ministre français Julien Denormandie lors de cette réunion.

Il a appelé ses homologues à "avoir une vision claire du niveau de production qui permette d'approvisionner les citoyens européens dans des conditions satisfaisantes de prix et de sûreté et d'assurer le rôle (de l'UE) dans la sécurité alimentaire mondiale".

La dépendance aux protéines végétales sud-américaines fustigée

« Ne pas se poser la question du niveau de production peut conduire à ne plus pouvoir assumer notre souveraineté agroalimentaire » dans certaines régions ou secteurs, a-t-il expliqué, qualifiant d' « aberration » la dépendance européenne aux protéines végétales sud-américaines.

M. Denormandie, dont le pays occupe la présidence tournante de l'UE, estime que fixer des objectifs européens de production "s'imposera avec évidence dans les prochains mois, les prochaines années".

Dans l'immédiat, alors que les agriculteurs européens sont confrontés à la flambée des prix du carburant et aux tensions sur les approvisionnements en engrais et alimentation animale, l'UE mise sur des aides d'urgence aux exploitations pour éviter tout décrochage de la production.

Bruxelles a déjà annoncé le 23 mars une aide de 500 millions d'euros, tirée de la "réserve de crise" agricole de l'UE, et a exprimé jeudi sa "bienveillance" aux projets des Etats désirant distribuer en plus des aides nationales à leurs agriculteurs. Cette aide proviendra d'abord des fonds restants de la PAC.

Pour autant, une quinzaine d'Etats, à l'initiative de la Croatie, ont demandé de pouvoir également recourir aux fonds européens non utilisés des programmes de développement rural de la Politique agricole commune (PAC), en raison de la fragilité de leurs budgets.

Il faudrait néanmoins une modification législative initiée par Bruxelles pour l'autoriser.

D'autres Etats, dont la France, réclament par ailleurs une dérogation temporaire sur les taxes à l'importation sur les engrais. La Commission "s'est engagée à regarder avec attention" ces demandes, selon M. Denormandie.

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Commentaire 1
à écrit le 08/04/2022 à 13:41
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Je ne pensais pas que notre pays était encore plus sous influence du lobby agro-industriel que l'Allemagne terre de naissance de BAYER. Cela m'attriste profondément. Mais bon notre président a une élection à gagner et comme on l'a vu du fait de sa gé...

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