Agriculture : l'Europe déroge à ses règles vertes pour sécuriser la production alimentaire

La Commission européenne, qui a présenté mercredi ses mesures d'urgence pour soutenir les agriculteurs de l'UE et la sécurité alimentaire mondiale face à la guerre en Ukraine, a accepté de déroger temporairement aux règles régissant les terres en jachères. Deux textes législatifs sur l'utilisation des pesticides et la restauration de la nature ont été mis en suspens, malgré les critiques des défenseurs de l'environnement.
Giulietta Gamberini
Il est fondamental d'un point de vue géostratégique que l'UE contribue à combler le déficit de production pour faire face à la pénurie mondiale attendue de blé, justifie la commission.
"Il est fondamental d'un point de vue géostratégique que l'UE contribue à combler le déficit de production pour faire face à la pénurie mondiale attendue de blé", justifie la commission. (Crédits : Reuters)

Les tenants d'un allègement des contraintes environnementales afin d'augmenter la production agricole européenne en raison de la guerre en Ukraine ont gagné une première bataille. La Commission européenne, qui a présenté mercredi 23 mars ses mesures afin de "préserver la sécurité alimentaire mondiale et de soutenir les agriculteurs et consommateurs européens touchés", accède partiellement à leurs demandes, en mettant l'objectif de la transition environnementale agricole en suspens.

Lire: Pour ou contre : avec la guerre en Ukraine, l'agriculture française doit-elle produire plus ? Henri Biès-Péré (FNSEA) face à Claudine Foucherot (I4CE)

Bruxelles a notamment accepté l'une des principales demandes du COPA, l'organisation qui représente les agriculteurs auprès de l'Union européenne, soutenue par le gouvernement français : celle de mettre en production les terres laissées en jachères afin d'y préserver la biodiversité. Pour 2022, une dérogation a ainsi été accordée aux dispositions relatives au verdissement de la politique agricole commune (PAC) en vigueur. Elle permet désormais aux agriculteurs de cultiver sur ces terres toutes plantes destinées à l'alimentation humaine ou animale, sans perdre les "paiements verts" auxquelles ils ont droit.

"Cela représente 5 millions d'hectares", a précisé le commissaire européen à l'Agriculture, Janusz Wojciechowski.

Soit environ 6% de l'ensemble de la surface agricole européenne bien que ces terres ne sont sans doute pas les plus productives, a reconnu la Commission.

La présentation d'un texte législatif relatif à l'utilisation des pesticides, et d'un autre relatif à la restauration de la nature, attendue ce mercredi, a en outre été repoussée sans précisions sur la prochaine date. Ils sont censés renforcer la législation en vigueur en la matière dans l'UE, en rendant notamment contraignant l'objectif fixé par la stratégie européenne Farm to Fork (De la Fourche à la Fourchette, F2F) de réduire de la moitié l'utilisation de pesticides en 2030, et n'entreraient de toute façon pas en vigueur avant 2025.

 Une dérogation "extraordinaire et temporaire"

"Il est fondamental d'un point de vue géostratégique que l'UE contribue à combler le déficit de production pour faire face à la pénurie mondiale attendue de blé", justifie la commission dans sa communication, en ajoutant : "L'UE n'est pas seulement un important exportateur net de blé, mais aussi celui qui a les rendements les plus élevés au monde".

Lire: « Avec l'arme militaire, la Russie détient l'arme alimentaire » Henri Biès Peré, FNSEA

La guerre en Ukraine et en Russie, grands exportateurs de céréales, oléo protéagineux et engrais, perturbe en effet les chaînes d'approvisionnement, cause une inflation inédite des denrées alimentaires et des intrants agricoles et met en danger la sécurité alimentaire mondiale.

Lire: Guerre en Ukraine : cet « ouragan de famines » et ces émeutes de la faim dans le monde que redoute l'ONU

La dérogation sur les terres en jachère n'est en outre que "extraordinaire et temporaire". De telles mesures de court terme "ne remplacent pas l'importance de recentrer le secteur alimentaire à long terme vers la durabilité et la résilience", assure la Commission, qui promet de ne pas remettre en cause son Pacte Vert et ses stratégies Biodiversité et F2F. Janusz Wojciechowski a d'ailleurs refusé de se projeter au-delà de 2022 quant aux dérogations sur les terres en jachères, qui devront atteindre 10% en 2030 selon F2F.

Et dans sa communication, la Commission encourage les Etats membres à "utiliser les nouveaux plans stratégiques (nationaux, NDLR) de la PAC (que Bruxelles est en train d'évaluer, NDLR) pour donner la priorité aux investissements qui réduisent la dépendance au gaz et au carburant et aux intrants tels que les pesticides et les engrais".

"Aucune condition pour réduire les dépendances"

Pour les ONG, toutefois, il s'agit d'une concession aux lobbies agricoles, et d'une erreur. Elle estiment qu'une augmentation de la production en Europe au mépris de l'environnement ne fera pas baisser la faim dans le monde, due à des inégalités structurelles. Elle aggravera en revanche la dépendance de l'agriculture européenne des produits phytosanitaires, des engrais et des protéines importées pour la production animale, au grand dam de la souveraineté alimentaire de l'UE.

Lire: La guerre russe en Ukraine, un prétexte pour freiner la transition agricole ?

Un défaut de résilience que les autres mesures d'urgences adoptées par la Commission viennent d'ailleurs confirmer. L'Union européenne a ainsi promis 500 millions d'euros aux agriculteurs européens les plus touchés par la hausse des coûts de production (énergie, intrants, alimentation animale) et par la fermeture de marché d'exportation : une aide qui sera distribuée par les Etats et qui pourra être abondée par ces derniers jusqu'à 200%.

Les règles sur les aides d'Etat ont d'ailleurs été temporairement revues afin de permettre aux Etats membres "de soutenir les entreprises directement ou indirectement touchées par la crise". La filière porcine, déjà fragile et dépendantes des exportations en Russie, profitera de "mesures de filet de sécurité du marché". Et "pour faire face aux difficultés de trésorerie auxquelles sont actuellement confrontés les agriculteurs, les pays de l'UE seront autorisés à payer à l'avance des niveaux accrus de paiements directs de la PAC".

"Beaucoup d'argent publique est ainsi dépensé sans qu'aucune condition soit fixée sur la réduction des dépendances", note Célia Nyssens, spécialiste des politiques agricoles au Bureau européen de l'environnement, pour qui "il faut certes agir afin d'aider les agriculteurs, mais tout en adressant les problèmes structurels de l'agriculture européenne".

"La même approche a été adoptée il y a deux ans face aux conséquences du Covid, et les problèmes restent les mêmes aujourd'hui", rappelle-t-elle.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 12
à écrit le 25/03/2022 à 8:37
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L'UE se cherche des excuses et si elle n'en trouve pas, en invente! L'UE a voulu l'interdépendance au profit des multinationales mais surement pas pour ses populations!

à écrit le 24/03/2022 à 22:00
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Cultiver du blé sur les terres en friches ? C'est bien un bureaucrate de penser que ça va se passer en un tour de main. Le surplus de blé, au mieux c'est l'année prochaine ! Il faudra avant acheter des graines à Monsanto (aux USA donc).

le 25/03/2022 à 10:50
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La présidente de la fnsea ne partage pas votre point de vue .

à écrit le 24/03/2022 à 20:00
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Non mais depuis quand l'occident aurait pour mission de nourrir le monde ? Et avec quel mandat, ces types sont fous, votre devoir est avant tout de défendre les interets de vos citoyens !

le 25/03/2022 à 9:54
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Je crois que l'objectif (réel) n'est pas de nourrir le monde entier , mais de pouvoir constituer des stocks stratégiques, si possible à prix raisonnables (la loi de l'offre et de la demande), pour nourrir durablement notre propre population...au cas...

le 25/03/2022 à 10:52
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C'est la loi de commerce si nous pouvons gagner des marchés en exportant .N'oubliez pas que les exportations sont un des piliers de la croissance .

le 25/03/2022 à 10:54
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C'est la loi de commerce si nous pouvons gagner des marchés en exportant .N'oubliez pas que les exportations sont un des piliers de la croissance .

à écrit le 24/03/2022 à 9:38
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Les prix des matières agricoles s'envolent et tout le monde a peur de la pénurie dans un monde ou les 2/3 de la population est en limite alimentaire avec des risques d'embrasement et de guerre civile comme en 2013. Pour les écolos qui ne parlent jama...

le 24/03/2022 à 10:25
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le gros de la population mondiale qui creve de faim le sont car trop pauvre pour acheter a manger, pas parce que la nourriture manque. de toute facon si la population continue a augmenter plus vite que la prodcution de nourriture, ca va forcement co...

le 24/03/2022 à 13:58
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@ cd Si votre raisonnement était bon il suffirait de ne pas augmenter la production pour avoir des prix élevés tout simplement sans dépenser plus, ce qui est le cas actuel !

à écrit le 24/03/2022 à 9:24
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L'écologie ne fait pas le poids face au principe "nécessité fait loi". Ce qui n'empêche pas de considérer la Fnsea comme une organisation opportuniste, un tantinet mafieuse sur les bords.

à écrit le 24/03/2022 à 9:01
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FNSEA : 1 - EELV : 0 assez previsible, surtout en periode electorale.

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