
« La situation est dramatique et historique », déplore Yann Nédélec, directeur de l'interprofession de la volaille de chair (Anvol). Cette année 2021-2022 a été la pire jamais enregistrée en Europe pour les contaminations de grippe aviaire. On estime à 50 millions le nombre de volailles européennes abattues et 21 millions en France. Le montant du coût de cette maladie s'élève à 1,1 milliard d'euros rien que sur le territoire national. « Il y a peu de maladies qui coûtent très vite aussi cher », rappelle Gilles Salvat, directeur général délégué du pôle recherche de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).
Une hérésie sanitaire et économique qui a poussé le gouvernement a annoncé ce jeudi une large campagne de vaccination à l'automne 2023. L'Anses devrait présenter les résultats d'expérimentations ainsi que ses stratégies vaccinales d'ici à mars 2023 pour laisser le temps aux laboratoires de fabriquer à temps les doses de vaccins. Une urgence pour sauver la filière avicole d'une part mais également pour prévenir d'une possibilité d'évolution du virus vers l'humain.
Une recrudescence des cas et des nouveaux oiseaux contaminés
Jusqu'à présent, l'Europe n'autorisait pas la vaccination. Le territoire a été exempté de grippe aviaire pendant longtemps, les oiseaux migrateurs passant par l'Europe étant jusqu'alors peu contaminés. « Si on vaccine, on porte les soupçons d'une contamination et ça risque d'entraîner des restrictions commerciales. Le fait de ne pas vacciner et de ne pas avoir de cas, prouve que le territoire est indemne », explique Gilles Salvat. Problème : les premiers cas sont apparus en 2006 avant de prendre de l'ampleur depuis 2016.
Sur 2020-2021, près de 1500 foyers ont été déclarés, soit quatre fois plus qu'en 2016. Un risque que les scientifiques avaient anticipé dès août 2021 lors de la migration des oiseaux venus d'Asie. Ces oiseaux se rassemblent en Sibérie et au Kazakhstan avant de passer par l'Europe pour rejoindre les pays plus au sud.
« Nos collègues scientifiques russes font des prélèvements sur ces oiseaux du lac Ubsu Nur en Sibérie chaque année. D'habitude, il y a 0,1% à 0,2% de contamination. En août 2021, on était à 14% de grippe aviaire. On ne sait pas d'où vient cette hausse, il s'est passé quelque chose probablement en Asie qui a permis cette brusque augmentation de la contamination des oiseaux sauvages. »
Plus dramatique encore, de nouveaux oiseaux non migrateurs sont contaminés cette année. C'est le cas des goélands, présents en grand nombre sur notre territoire et très sensibles au virus. Un effet boule de neige est craint entre les oiseaux d'élevage et les oiseaux migrateurs, l'un contaminant l'autre et vice-versa, ce qui pourrait accentuer les contaminations.
Le casse-tête de la stratégie vaccinale
La France et ses voisins européens avaient tenté d'éviter la catastrophe en confinant les volailles tôt dans l'année, dès fin 2021 pour le Sud-Ouest. Le gouvernement avait ensuite demandé aux agriculteurs de tuer les volailles dès qu'un cas de contamination était recensé et de ne pas en remettre tant que la situation n'était pas stabilisée. Mais cela n'a pas suffi à endiguer l'épidémie.
Après cette année noire, le ministre de l'agriculture, Marc Fesneau, a annoncé un plan de vaccination mis en œuvre dès l'automne prochain afin de soulager la filière. Une stratégie vaccinale doit être présentée par l'Anses d'ici mars 2023. Un casse-tête, notamment pour la France, qui possède la plus grande variabilité de volaille européenne. Parmi les pistes envisagées : se concentrer sur les zones humides, les endroits infectés ou ne vacciner que les canards. Ces derniers sont les plus sensibles à la grippe aviaire.
L'agence travaille en parallèle sur un vaccin pour les canards, non existant sur le marché. Les poules et les dindes sont quant à elles déjà vaccinées dans d'autres pays comme en Chine ou au Mexique mais le vaccin n'est pas très efficace. Les Pays-Bas se penchent sur un nouveau vaccin pour les poules et la Hongrie se concentre sur les oies. Objectif : mutualiser les données en Europe rapidement pour permettre aux firmes européennes de mettre en place la production de vaccins dès que possible.
Les éleveurs demandent des garanties pour les exportations
Cette annonce de vaccination est plutôt bien accueillie du côté des éleveurs, alors même que certains d'entre eux n'ont pas encore touché toutes les indemnisations des pertes de leurs volailles. Mais la filière réclament plusieurs garanties.
Nous, on estime qu'il faut cibler la vaccination chez les palmipèdes. Il faut aussi qu'on ait des garanties sur la commercialisation car si l'on vaccine, il y a des pays qui vont peut-être fermer leurs portes. La France doit mettre en place une diplomatie sanitaire pour ne pas perdre nos marchés d'exportation. Enfin, il y a aussi la question du coût. Le ministre a annoncé 500 000 euros, je pense que ce sera plus si l'on prend en compte toute la stratégie derrière, explique Yann Nédélec.
Le directeur rappelle qu'il faudra surtout continuer à observer des mesures de biosécurité à savoir changer ses bottes en entrant dans le bâtiment d'élevage, se laver les mains, respecter un sens de circulation... « Un peu comme des gestes barrières COVID mais en plus poussé. »
La filière planche aussi sur des stratégies de réorganisation comme le déplacement de certains élevages, concentrés dans le Sud-Ouest ou en Bretagne, vers d'autres territoires ou encore une diminution du nombre de volailles dans les endroits où la pression sanitaire est forte.
« A force de voir circuler le virus, il y a un risque pour l'homme »
Mais difficile de savoir l'évolution de ce virus dans les années à venir. En mutation constante, il contamine aujourd'hui certains mammifères comme le renard, les ours ou encore les visons. Quelques cas chez l'Homme ont déjà été détectés mais sans transmission d'homme à homme et avec des symptômes bénins.
« Pour l'instant, on ne considère pas ce virus transmissible à l'homme mais on est très vigilant. A force de le voir circuler, il y a un risque pour l'homme. Il suffit d'un changement sur un acide aminé pour qu'il s'adapte à la température humaine », met en garde Gilles Salvat.
La vaccination permettrait à la fois d'enrayer les souffrances animales causées par la maladie, d'empêcher des pertes économiques pour la filière et de réduire les mutations du virus en diminuant sa circulation. Les éleveurs espèrent quant à eux que la pression sanitaire va retomber avant la future campagne : « au-delà de la vaccination et de l'indemnisation, il y a un traumatisme qui est vécu. »
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