« La néo-ruralité crée de nouveaux clivages » (Jean-Laurent Cassely)

"La France sous nos yeux", paru au Seuil et signé de Jérôme Fourquet, directeur opinion à l’IFOP, et de Jean-Laurent Cassely, journaliste et essayiste, est une somme magistrale sur les lames de fond à l’œuvre dans notre pays. Parmi les tendances : le retour de la campagne comme nouvel eldorado. Feu de paille ou mouvement durable ? Tentatives de réponses avec Jean-Laurent Cassely. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°8 "Du champ à l'assiette - Mieux produire pour mieux manger", actuellement en kiosque).
(Crédits : © Herve_Grazzini)

Dans le livre vous parlez de la campagne comme d'une « utopie de rechange » ? Pourquoi ce terme ?

Jean-Laurent Cassely Ces dernières années, on a assisté à un mouvement d'installation de citadins vers les campagnes, qui s'est accéléré avec la Covid-19, même si l'ampleur de ce mouvement reste débattue. Mais surtout, on a vu se diffuser un nouveau discours qui réhabilite la vie à la campagne. Un livre intitulé Exode urbain, manifeste pour une ruralité positive, paru fin 2020, est emblématique de cette nouvelle ruralité qui est en train de se doter de leaders d'opinion. L'autrice Claire Desmares-Poirrier, agricultrice néo-rurale, installée avec son mari dans un village de Bretagne où elle a lancé L'Amante Verte, une ferme bio de plantes aromatiques et médicinales doublée d'un café-librairie, affirme que « l'exode urbain a le pouvoir de changer votre vie, de changer les campagnes et finalement de changer la société dans son ensemble ». Ce sont des termes qui sont ceux de l'utopie. Un peu comme si la campagne apparaissait comme la dernière friche symbolique à explorer après des années durant lesquelles l'innovation sociale et culturelle se produisait dans les villes (avec les friches industrielles en reconversion, les tiers lieux, la gentrification des quartiers populaires, etc.). Comme si chacun et chacune de nous étions profondément lassés de l'hystérie urbaine, en somme. Au fil des années, la hiérarchie symbolique des modes d'habitation et des territoires s'est modifiée, voire inversée. Au sommet de la pyramide, il y avait Paris, les métropoles régionales, puis leurs périphéries. Pendant longtemps le « pavillon de banlieue » a même été raillé par les professions intellectuelles. Ceci dit, la « parisiannisation » de ces capitales régionales bien raccordées au TGV, avec tous les indices de ce processus (coworking, restauration branchée, etc.) a fait également monter considérablement les prix de l'immobilier en attirant des cadres parisiens. La vie sociale s'y est quelque part homogénéisée, tandis que leurs périphéries, et donc les campagnes, sont devenues désirables. Comme une forme de dernière frontière de l'utopie pour urbains fatigués.

On parle de néo-ruralité, d'utopie etc.... La réalité est-elle aussi belle que l'imaginaire que nous en avons ?

J-L.C. Pas totalement. En effet, dans les campagnes, la néo-ruralité est sélective. Elle a tendance à se regrouper dans des grappes de lieux déjà investis par les néo-ruraux. Il y a eu plusieurs vagues d'exode urbain. Ce que je trouve intéressant, c'est que l'image d'Épinal du néo-rural baba-cool des années 1970 dans son combi Volkswagen a été plus ou moins ringardisée. Cette génération a vieilli et n'a pas passé le relais à ses enfants. Une nouvelle génération - moins politique, mieux organisée et peut-être moins naïve - est arrivée. Elle recherche une meilleure qualité de vie alliée à une forte dimension écologique, avec l'idée très puissante que la campagne est aussi le lieu de relations sociales plus authentiques. À gauche, la ville est devenue le symbole de l'aliénation capitaliste, quand la campagne apparaît comme le réservoir de pratiques alternatives et non marchandes.

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Quel est le profil type des néo-ruraux : sont-ils seulement issus des catégories intellectuelles supérieures des villes qui sont fatiguées ou cela touche-t-il d'autres types de population ?

J-L.C. Avant de répondre précisément à cette question, il faut se mettre d'accord sur ce que le terme « néo-ruraux » recouvre exactement. Dans le livre, avec Jérôme Fourquet, nous parlons du modèle « Plaza majoritaire », c'est-à-dire d'un mode de vie composé du triptyque maison individuelle avec jardin, voiture, supermarché, qui reste un idéal partagé. Ce sont des gens qui vivent à la campagne ou dans le périurbain (la différence n'est pas évidente à faire à l'œil nu !) mais ne se pensent pas comme « néo-ruraux ». Il existe actuellement un croisement des différents imaginaires à périmètre constant, ce que nous avons décrit par une formule schématique : « le pavillon, la yourte et le mas », qui résume la cohabitation de plusieurs couches sociales et de plusieurs modes de vie dans un même lieu : la campagne. Dans ces couches de population vous trouvez des pendulaires qui vivent en pavillon et qui vont souvent travailler dans la ville la plus proche, vous trouvez également ce que moi j'appelle les néo-ruraux existentiels, c'est-à-dire des gens séduits par la vieille pierre retapée, le charme des campagnes environnantes et le ralentissement de leur mode de vie, enfin il y a les hybrides. Ce sont par exemple d'anciens citadins qui pourront ouvrir une chambre d'hôtes ou dont un membre du couple pourra être consultant en télétravail et prendre le train pour Paris deux fois par mois. Ces différents univers cohabitent désormais dans nos campagnes. Dans la Drôme, en Normandie, en Bourgogne, notamment dans des départements comme l'Eure et l'Yonne, limitrophes de l'Île de France.

Il est également intéressant d'observer la cohabitation entre ceux que l'essayiste David Goodhart appelle les Anywhere (les citadins mobiles diplômés de l'économie de la connaissance) et les Somewhere (les sédentaires) ; le fait que les premiers arrivent sur les terres des seconds génère certaines tensions immobilières et suscite des relations plus ou moins harmonieuses. Me viennent à l'esprit les exemples éculés du chant du coq ou du clocher de l'église, mais d'autres sont plus parlant encore. Celui des pesticides qui deviennent un vrai sujet de discorde entre agriculteurs et propriétaires des maisons qui jouxtent les exploitations. Ce souci est devenu plus grand du fait de l'exode urbain. Celui de la chasse constitue également un marqueur de ces nouveaux clivages. Enfin, un dernier schisme qui pourrait advenir et qu'il faudra surveiller est un schisme politique. En effet, certains quittent la ville pour vivre différemment à la campagne et rompre avec un modèle tandis que les locaux, eux, continuent d'utiliser leur voiture, d'aller au supermarché et d'acheter sur Amazon. À terme, cela peut devenir un enjeu politique local dans ces territoires. L'implantation d'un supermarché hard discount peut par exemple agir comme révélateur de ces tensions. D'anciens habitants au pouvoir d'achat contraint peuvent l'accueillir favorablement, tandis que les anciens citadins venus à la campagne veulent des commerces locaux en circuit court.

Vous parlez d'utopie. Y a-t-il chez les néo-ruraux une envie de retour à la terre ?

J-L.C. Tous les néo-ruraux ne sont pas paysans, mais beaucoup de néo-paysans sont des néo-ruraux. Le néo-paysan est celui qui n'est pas issu d'une famille d'agriculteurs. Dans le monde agricole, cela commence à être assez important. Toute une génération d'urbains diplômés est aujourd'hui arrivée dans les campagnes. Aux États-Unis, le New York Times rapportait que la population des néo-ruraux millénials était plus diplômée que la moyenne des Américains. Aussi, le basculement a eu lieu. Clairement, les gens qui s'orientent vers ces métiers difficiles mais repensés notamment autour de la permaculture sont des gens convaincus par un idéal de ce que doit être ou ce que doit devenir l'agriculture. Nous assistons, finalement, à l'avènement de la campagne par les ingénieurs.

Est-ce que l'arrivée de ces néo-ruraux change la physionomie des lieux de destination ?

J-L.C. De nombreux indices de gentrification rurale ou de « greentification » existent d'ores et déjà. L'épicerie circuit-court dans un village ou le coworking rural en sont par exemple des marqueurs. Comme le fait a contrario qu'il n'y ait rien. La vie au centre du petit village est le symbole d'une population jeune et résidente qui a la volonté de redynamiser le territoire. De même le e-commerce autrefois associé à l'urbain est en train de transformer la ruralité. Le drive fermier en mêlant le retour au circuit court et la praticité du numérique est très emblématique de cette tendance. Paradoxalement ce retour à la terre est aussi la victoire du monde urbain. Car aujourd'hui à la campagne, il y a aussi le haut débit et toutes les commodités de l'urbain. En clair, les gens veulent s'éloigner et faire un pas de côté mais être tout de même connectés à la métropole.

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Article issu de T La Revue n°8 - "Du champ à l'assiette - Mieux produire pour bien manger ?" Actuellement en kiosque

Un numéro consacré à l'agriculture et l'alimentation, disponible chez les marchands de presse et sur kiosque.latribune.fr/t-la-revue

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Commentaires 4
à écrit le 20/02/2022 à 19:54
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les neo ruraux ca existe depuis longtemps; la ou ca pose pb c'est quand des gens des villes vont a la campagne pour avoir du vert, mais sans aucun inconvenient, a commencer par les cloches ou les coqs......la, ca commencent a peter, alors quand ils f...

à écrit le 20/02/2022 à 11:13
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Les néo-ruraux sont des candidats à la ponction publique municipale qui n'arrivent pas à obtenir un emploi fictif en ville... Ils sont systématiquement dans l'opposition car en ruralité les mairies sont occupées par des castes familiales qui dét...

à écrit le 20/02/2022 à 10:11
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Un phénomène marginale puisqu'il est très difficile de devenir autonome, déjà rien que par le coût du terrain, la bulle immobilière à bien plus de conséquences sur notre pays pays qu'aux états unis, la nécessité de travailler réellement et dehors, ce...

à écrit le 20/02/2022 à 10:06
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Il serait plutôt intéressant, car dans "l'air du temps", de se poser la question de l'utilité des centres urbains et des villes!

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