Plus digital, plus responsable, les tendances qui ont sauvé le luxe en 2020

ENQUETE. Malgré la fermeture de leurs boutiques et des grands magasins, les marques de luxe ont plutôt bien résisté aux deux confinements grâce au e-commerce et au marché chinois. Deux leviers de croissance qui devraient continuer de soutenir l'activité d'un secteur qui a prouvé sa résilience. Mais qui doit tirer les leçons de la crise en agissant pour montrer "patte verte" sur l'empreinte écologique de la filière.
(Crédits : Charles Platiau)

Le luxe serait-il "virus proof" ? Pas tout à fait, le secteur a souffert comme tous les autres de l'épidémie, surtout lors du premier confinement, mondial. Mais en cette fin d'année, il s'en sort plutôt très bien, étant, avec l'industrie numérique, le grand gagnant de la reprise en K qui a favorisé les secteurs les plus insensibles à la crise sanitaire. La Bourse en offre une traduction : l'action LVMH, numéro 1 mondial, a gagné 18% depuis le début de l'année. Pourtant, ce marché du luxe a chuté de 23 % pour l'année 2020 par rapport à 2019 selon l'estimation de Bain & Company, la plus forte baisse jamais enregistrée et la première depuis 2009.

Une dégringolade de près d'un quart des ventes corrélée à la fermeture des points de vente durant 55 jours au printemps dernier et 48 jours cet automne, qu'il s'agisse de la distribution sélective, du wholesale (vente chez des détaillants multimarques) ou des grands magasins. Mais aussi à cause du quasi arrêt du transport aérien alors que le « travel retail » pèse lourd pour les segments spiritueux, parfums et cosmétiques. « C'est le canal qui va mettre le plus de temps à se reprendre car il est tributaire du retour du trafic en aéroport. Certaines marques y réalisaient jusqu'à 50 % de leurs ventes » explique Delphine Vitry, co-fondatrice du cabinet conseil spécialiste du luxe MAD. Les touristes ont disparu et avec eux la manne des achats d'accessoires, parfums, vêtements, champagne et autres produits de luxe made in France. Mais les grandes maisons sont résilientes. LVMH annonce une baisse de 28 % des ventes au premier trimestre, mais seulement moins 7 % au troisième trimestre. Par ailleurs, le groupe s'est offert fin octobre le joaillier américain Tiffany pour 16 milliards de dollars (13,3 Md€), ce qui dénote une confiance certaine dans l'avenir.

De son côté, Hermès a vu les ventes rebondir en juin, juillet et août après une chute de - 41,5 % au trimestre précédent. Chez Kering, le chiffre d'affaires a baissé de -29,6 % au premier trimestre. Mais François-Henri Pinault, son président-directeur général, reste confiant : « la solidité de nos performances confirme la pertinence de notre modèle et renforce notre confiance dans notre capacité à sortir de cette crise encore plus robustes ». D'après le baromètre Luxury Convalescence d'octobre de MAD, 49 % des décideurs interrogés pensent qu'ils récupèreront le niveau de ventes de 2019 en 2021 et 69 % en 2022. Soit un retour à la normale beaucoup plus rapide que pour d'autres secteurs comme le tourisme ou l'industrie aéronautique qui ne voient pas le bout du tunnel avant 2024 ou 2025.

Même si leurs fondements sont solides, avec des capitalisations boursières record (1) pour les quatre KHOL (Kering, Hermès, L'Oréal, LVMH), les GAFA du luxe, les groupes doivent néanmoins s'adapter à la nouvelle donne de cette pandémie qui rebat les cartes. D'autres vagues de contamination vont-elles déferler dans les mois à venir ? Les touristes reviendront-ils ? Comment s'adresser à une Génération Z (née entre 1997 et 2010) qui devrait générer 40 % des achats d'ici 2035 ?

Le e-commerce au secours du retail


Le e-commerce, et plus largement le digital, est une des solutions pour affronter cet avenir compliqué. Ce canal de distribution pèse 12 % des ventes mondiales du luxe selon Bain & Company, mais pourrait représenter jusqu'à 35 % du business dans les cinq prochaines années. Malgré ce potentiel, les grandes groupes ont longtemps été méfiants vis-à-vis d'une vente en ligne trop éloignée de leurs valeurs : exclusivité, rareté, personnalisation de l'expérience client. Sans oublier le fléau de la contrefaçon, un manque à gagner de 25,6 Md€ (pour les segments textile, chaussures, cosmétiques, sacs à main et horlogerie) en 2018 selon le Global Brand Counterfeiting Report.

Pour le Comité Colbert, qui réunit plus de 80 enseignes du luxe, la contrefaçon causerait une perte de 10 % de chiffre d'affaires pour le secteur. « Le digital est un sacré challenge car dans le luxe, on ne fait pas du commerce comme sur Amazon. Le numérique et la data ne sont pas dans leur ADN. Le luxe fonctionne avant tout sur la qualité de l'image et une expérience client parfaite », analyse Pierre Haran, partner de l'agence Fifty Five, qui travaille avec plusieurs marques de luxe. Reste que la réticence à l'encontre du commerce en ligne commence à s'estomper. Les états-majors ont fini par accepter le fait que le digital pouvait les aider face au rajeunissement de leur clientèle et aux incertitudes causées par la pandémie.

Le baromètre Luxury Convalescence de MAD confirme ce changement d'état d'esprit. Les priorités d'accélération d'investissements des marques sur les 18 prochains mois sont le e-commerce (86 %), la communication digitale (74 %), la gestion relation client ou CRM (61 %), le retail en Chine (57 %) et l'expérience client (53 %). On le voit, le digital est devenu leur préoccupation centrale. Les chiffres du e-commerce depuis dix ans sont parlants. En 2010, les clients ont dépensé 4,3 milliards d'euros en ligne contre 33,3 milliards en 2019, selon la récente étude de Mazars (« la transformation du modèle économique du secteur du luxe : responsable, collaborative, connectée »). LVMH s'est résolu à lancer un site de ventes multimarques appelé "24 Sèvres" en 2017. Kering a repris en main son commerce on line l'année dernière, après huit ans de sous-traitance à Yoox Net-a-Porter, un site du groupe suisse Richemont (Van Cleef & Arpels, Montblanc, Cartier). Hermès a lui rénové son flagship digital en 2018, devenu le quatrième magasin dans le monde en termes de ventes selon Axel Dumas, gérant du groupe. Seul Chanel continue de résister aux sirènes de la vente en ligne.

L'horlogerie à l'heure de la blockchain

Même les marques d'horlogerie, qui revendiquent une tradition multicentenaire, comme Breitling (propriété du fonds d'investissement CVC Capital Partners) ou TAG Heuer (LVMH), viennent de lancer leur site marchand. Breitling a embauché en 2018 Antonio Carriero, un docteur en mathématique de Polytechnique Lausanne qui avait auparavant supervisé la transformation digitale du groupe Richemont au niveau mondial. Dans ans plus tard, l'activité e-commerce a été lancée dans cinquante pays et sa part du chiffre d'affaires atteint 25 % dans certaines régions du monde. Plus intéressant encore pour la marque : le volume des ventes on line n'a pas baissé après le confinement. « Les ventes directes, qu'elles soient physiques ou digitales, dégagent une marge plus importante », rappelle Antonio Carriero. Le chief digital officer de Breitling utilise le machine learning pour mieux comprendre les attentes et les comportements de ses clients afin  « d'acquérir du trafic plus qualifié et une conversion des achats en ligne plus efficace ».

TAG Heuer a été repris en main en juillet dernier par Frédéric Arnault, un des quatre fils du patron de LVMH. Le jeune polytechnicien de 25 ans a créé un pôle digital et customer et supervisé la mise au point de la seule montre connectée de luxe du marché. Le nouveau site a été inauguré en février dernier, la fonction e-commerce étant disponible sur les cinq marchés principaux (Etats-Unis, Japon, Australie, Suisse et Royaume-Uni). Un bon timing qui a coïncidé avec le premier confinement. Les chiffres ont décollé très vite, l'idée étant de réaliser des ventes incrémentales pour ne pas cannibaliser le réseau de boutiques.

Pour lutter contre le fléau de la contrefaçon, les marques d'horlogerie de luxe adoptent des technologies innovantes, comme les certificats d'authenticité adossés à la blockchain. Breitling, Vacheron Constantin (Richemont), Audemars Piguet, Roger Dubuis (Richemont) et MB&F ont choisi la solution développée par le consortium Arianee, une association française qui développe un standard de certification digitale des produits de luxe, tandis qu'Ulysse Nardin (Kering) s'appuie elle sur la blockchain bitcoin. Un saut technologique plutôt audacieux de la part de marques nées au 19ème siècle, plus habituées aux boutiques cossues et feutrées de la place Vendôme qu'aux QR codes à scanner avec son smartphone.

Ces initiatives pour intégrer le commerce en ligne à leur écosystème toujours dominé par le retail physique visent aussi à contrer les appétits de l'ogre Amazon. Jeff Bezos lorgne depuis dix ans sur ce secteur en croissance qui refuse ses avances. En 2015, il a tenté (et échoué) de se payer le site Net-à-Porter finalement racheté par Richemont. Il sponsorise les Fashion Weeks et le gala philanthropique du Met (Metropolitan Museum of Art de New York), le rendez-vous annuel du gotha du luxe animé par Anna Wintour. Sa dernière offensive en date s'appelle Luxury Store. Ce site mobile, disponible pour l'instant uniquement aux Etats-Unis, est réservé aux membres de Prime, le programme de fidélité d'Amazon, qui sont recrutés sur invitation. En intégrant les codes du luxe, ici l'exclusivité, le milliardaire - qui a changé de look depuis son divorce et s'affichait au premier rang des défilés quand ils étaient encore en live - veut montrer aux marques qu'il a bien compris leur mode de fonctionnement.

Instagram et TikTok, nouveaux territoires du luxe

Luxury Store est un site prêt à l'emploi sur lequel les annonceurs gèrent tout eux-mêmes : prix, stock, communication, UX (expérience utilisateur). Aucun risque que les sacs Chanel ou les robes Gucci se retrouvent à côté d'un aspirateur chinois. Malgré ces efforts, les géants du luxe ne se ruent pas pour ouvrir leur magasin virtuel sur Luxury Store. Pour l'instant, seules quelques marques mineures - Oscar de la Renta, Altuzarra, Roland Mouret, La Perla (lingerie) et Clé de Peau (cosmétiques, groupe Sisheido) - s'y sont risquées. Mais connaissant ses moyens quasi illimités, on peut parier que Jeff Bezos ne renoncera pas à ses ambitions. Si le e-commerce se développe rapidement, le digital ne se résume pas à ce canal de vente. Les médias sociaux sont pour les marques un support incontournable pour se mettre en scène aux yeux des Millenials, la Génération Y née entre 1980 et 1995, acheteurs réguliers de produits de luxe. Ils représentent 35 % du marché en 2019 et pourraient atteindre 45 % en 2025. Instagram est devenu en cinq ans la vitrine numérique du luxe. Pourtant, lors de son lancement par Facebook il y a dix ans, les grandes maisons l'ont observé d'un œil méfiant. Les Chanel, Gucci ou Vuitton n'avaient pas vraiment envie de se retrouver entre deux photos de « food porn » et les selfies d'influenceuses paradant peu vêtues devant les pyramides. Cette époque est révolue. Instagram est aujourd'hui l'écrin des marques qui y diffusent leurs défilés durant les confinements, y présentent leurs nouveautés et surtout profitent de la recommandation des influenceuses vedettes auprès de leurs millions de followers, comme Léna Mahlouf, plus connue sous le pseudonyme Léna Situations (2,3 M de followers sur Instagram, 1,6 M sur YouTube). Depuis septembre 2019, on peut aussi acheter le sac ou le petit haut convoité directement sur Instagram grâce à la fonction Shopping. Les jeunes directeurs de création, comme Jacquemus ou Olivier Rousteing chez Balmain, sont eux-mêmes des influenceurs de poids (6,3 millions de followers pour son compte Instagram personnel en plus des 10,7 millions du compte Balmain). Les maisons de luxe investissent d'autres médias sociaux pour toucher cette audience jeune qui est le socle de leurs ventes futures. Burberry, marque plutôt classique, a diffusé le défilé de sa collection printemps-été 2021 sur Twitch, le réseau des gamers. Givenchy propose de personnaliser le look des personnages du jeu Animal Crossing avec ses produits cosmétiques et ses vêtements. Snapchat, réseau préféré des ados et jeunes adultes (première application mobile sur les 11/24 ans selon Médiamétrie), attire les marques avec sa technologie de réalité augmentée.

Les HENRYs chinois et le « revenge shopping »

Les fans de sneakers Gucci ont pu essayer virtuellement quatre modèles via des lens (filtres) en 3D. Même procédé pour Dior avec son modèle de basket B27 qu'on peut acheter grâce au « Brand Profil » Dior et sur le site dior.com. Toujours à l'affût de la dernière nouveauté à la mode chez les jeunes, le luxe se précipite maintenant sur TikTok. Burberry, Gucci, Balenciaga, Givenchy, Kenzo, Dior, Saint Laurent, Fendi et Balmain sont présents sur cette appli mobile appréciée des 13/24 ans qui imaginent des challenges musicaux et chorégraphiques.

« TikTok reste la plateforme la plus innovante et créative du marché. Et toutes les marques ont envie d'être vues sous ce prisme » explique Guillaume Pommier, directeur délégué de Social & Stories, l'agence social médias du groupe Figaro. À condition de bien en maîtriser les codes sous peine de rejet. Gucci l'a bien compris. Le Gucci Model Challenge - des jeunes se sont faits des looks à la Gucci avec leurs propres vêtements - a cartonné sur le réseau d'origine chinoise (TikTok est la version occidentale de l'application Douyin). Une parodie qui aurait pu irriter la marque prestigieuse de Kering. Au contraire, elle l'a pris comme un hommage, a posté des vidéos du challenge sur son compte et pourrait même collaborer avec certains fans particulièrement créatifs. « Avant de penser business, les marques doivent s'approprier les codes et les formats des utilisateurs » estime Jean-Baptiste Bourgeois, planneur stratégique de l'agence WeAreSocial.

Une appli chinoise qui conquiert les jeunes amateurs de luxe, rien d'étonnant. C'est le marché chinois qui a sauvé le luxe pendant la pandémie et continuera de le faire durant les prochaines années. Selon Bain & Company, « la Chine continentale est depuis quelques années un moteur pour l'industrie du luxe et 2019 n'est pas une exception, avec une croissance de 26 % à taux de change constant et 30 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Les clients chinois ont généré 90 % de la croissance du secteur cette année et représentent 35 % des achats en valeur au niveau mondial ».

Les marques profitent du « revenge shopping », la frénésie d'achat des  « HENRYs » (high-earners-not-rich-yet ou personnes aux hauts revenus en voie de devenir riches) et des Gen Z (nés entre 1997 et 2010) frustrés par le premier confinement. Hermès a par exemple réalisé 2,46 millions d'euros de chiffre d'affaires en une journée le 11 avril dernier après la réouverture de son magasin de Guangzhou (Canton en français).

Les Gen Z, des consommateurs engagés

Une étude de McKinsey & Company montre que les Gen Z chinois dépensent en moyenne 3600 $ (2972 €) par an pour des produits de luxe. Une tendance qui se vérifie pour la jeunesse du monde entier. Pour Eric Briones, fondateur de la Paris School of Luxury et auteur de « Le Choc Z, la Génération Z, une révolution pour le luxe, la mode et la beauté (Dunod), « le lien affectif entre les jeunes et le luxe s'est intensifié ». Pour ce spécialiste, cette industrie est « obsédée par sa capacité à attirer les jeunes, car l'objet de luxe est pour eux un manifeste de leurs convictions ».

Une génération qui privilégie les marques les plus progressistes politiquement et socialement. Comme Kering, qui a donné des millions de dollars à des associations de la mouvance Black Lives Matter et a fait entrer l'actrice et féministe Emma Watson (Hermione dans Harry Potter) dans son conseil d'administration. Ou LVMH qui vient d'annoncer qu'il va financer plus de 1000 nuitées via un don à la Fondation des Femmes afin d'héberger à l'hôtel les femmes victimes de violence et leurs enfants.

Chanel, Gucci, Burberry ont récemment embauché des directeurs de la diversité. Mais gare à ceux qui ne sont pas dans les clous. « Les jeunes vérifient la véracité de leurs actions et si ce n'est pas le cas, ils se font défoncer sur TikTok » prévient Eric Briones. La marque italienne Dolce & Gabbana a expérimenté ce « backlash » en novembre 2018. Elle a posté des vidéos sur les réseaux sociaux mettant en scène une jeune mannequin chinoise essayant de manger de la nourriture italienne avec des baguettes accompagnées de commentaires ironiques. Mais ce qui se voulait humoristique n'est pas du tout passé auprès des influenceurs, comme le lanceur d'alerte Diet Prada qui a partagé ces vidéos ainsi que les posts Instagram insultants de Stefano Gabbana qualifiant la Chine de « pays de merde ». Célébrités et mannequins chinois ont boycotté le show de Shanghai, qui a finalement été annulé. Pire d'un point de vue business : les produits ont été retirés des sites marchands chinois comme Tmall, JD.com et Xiaohongshu.

Luxe et développement durable : entre promesses et scepticisme

Le luxe doit aussi montrer patte blanche sur le développement durable et la transition écologique. Pionnière de cette tendance, la styliste Stella McCartney a abandonné dès 2001 le cuir, la fourrure, les plumes et tout autre tissu animal. En 2018, elle a repris le contrôle de sa marque après 17 ans dans le giron du groupe Kering. Un an plus tard, c'est son concurrent LVMH qui s'est rapproché de la fille du Beatles, une sorte de totem écologiquement correct pour les groupes de luxe : « cet investissement viendra renforcer l'engagement du groupe LVMH en matière de développement durable »  a affirmé Bernard Arnault en juillet 2019 lors de l'annonce de cette collaboration.

Le groupe a aussi lancé en 2016 son programme LIFE (LVMH Initiatives For the Environment) avec des objectifs de réduction des émissions de C02, de consommation d'eau ou encore d'amélioration de la traçabilité des matières premières pour préserver les ressources naturelles.  De son côté, Hermès est devenu le 25 novembre 2020 mécène de la chaire Développement durable et transition climatique de Sciences Po. Breitling va lancer début 2021 une boîte à montres fabriquée à partir de bouteilles en plastique PET recyclées et elle-même recyclable. Les marques sont conscientes que ces gestes ne suffiront pas à résoudre le problème de la pollution. Mais elles prouvent à leur jeune clientèle de plus en plus exigeante en matière de défense de l'environnement qu'elles agissent à leur niveau. « Même si nous ne pouvons pas changer le monde - en tant que marque de luxe, nous sommes trop petits - les gens attendent de nous que nous adoptions un comportement responsable dans tout ce que nous faisons »  a reconnu le 12 novembre Georges Kern, pdg de Breitling, lors du Grand Prix d'Horlogerie de Genève.

Une soixantaine de marques de textile, de luxe et des grands magasins ont signé en août 2019 le Fashion Pact, centrés sur trois thématiques : l'enrayement du réchauffement climatique, la restauration de la biodiversité et la protection des océans. Suscité par une mission confiée par le Président Emmanuel Macron à François-Henri Pinault, il a été présenté le 26 août 2019 aux chefs d'Etat réunis dans le cadre du Sommet du G7 à Biarritz. Quinze mois plus tard, les entreprises signataires disent avoir réduit leurs émissions de gaz à effet de serre d'environ 350 000 à 450 000 tonnes (équivalent C02), et 60 % des entreprises signataires ont éliminé le plastique de leurs sacs de courses. Mais seulement 15 % l'ont fait pour les cintres et sacs de transport.

Lors du Forum Zéro Carbone de la Tribune le 11 décembre dernier, François-Henri Pinault a fait un premier bilan de cette initiative : « un tiers des adhérents du Fashion Pact seront, dès l'année prochaine, au-dessus de 50 % d'utilisation d'énergies renouvelables ». Sur le volet biodiversité, ça bouge plus doucement d'après le patron de Kering : « au moment de la création du Fashion Pact, 80 % des adhérents n'avaient pas de plan d'action sur la biodiversité. Dès fin 2020, tous auront mis en place dans leur entreprise une stratégie et des plans d'action ». Le pdg du groupe de luxe a aussi rappelé que « les valeurs du développement durable sont intrinsèques à la vision des entreprises du luxe. Si nous ne prêtions pas attention à la préservation de nos matières, ce serait un suicide collectif. Le développement durable fait partie des notions du luxe ». Une profession de foi qui laisse de marbre les ONG environnementales qui déplorent ne pas faire partie de la coalition et relèvent que ces objectifs sont peu contraignants puisqu'il n'existe pas de sanction. Par ailleurs, certains objectifs sont annoncés pour 2050 ou n'ont carrément pas de date butoir. Greenpeace, par exemple, réclame une réduction des volumes de production, la suppression des publicités pour les vêtements ou encore l'encouragement d'initiatives autour de l'économie circulaire.

La seconde main, bonne occasion de se payer le luxe

Les Français sont eux aussi sceptiques à propos de l'engagement vertueux du luxe. Dans une enquête réalisée début novembre par Harris Interactive pour l'Observatoire Cetelem, une forte majorité (89 %) estime que l'industrie du luxe a le devoir d'être exemplaire mais seuls 35 % qu'elle est engagée dans une démarche de développement durable. Pour les deux tiers, (68 %) il s'agit uniquement de communication pour améliorer l'image des marques. Seul point positif : les moins de 35 ans sont un peu plus confiants dans les efforts de cette industrie dans le domaine du développement durable. Les maisons de luxe développent aussi la seconde main, un marché de l'occasion évalué par le Boston Consulting Group entre 30 et 40 milliards de dollars, soit 2 % du marché global. D'après Mazars, « en Amérique du Nord et en Europe, de nombreux jeunes et riches clients du secteur du luxe ont perdu une partie de leur pouvoir d'achat, ce qui rend le marché de la revente encore plus intéressant pour eux ».

Une tendance de fond qui a fait le succès de sites comme Vestiaire Collective ou Vinted. J.M Weston a ouvert un corner Weston Vintage aux Galeries Lafayette. La marque de chaussures française reprend d'anciens modèles à ses clients contre un bon d'achat de 100 € minimum, les répare et les revend moitié prix. Une opération blanche pour la marque qui déclare ne pas gagner d'argent mais vouloir mettre en avant le savoir-faire de ses artisans. Selon l'étude Ifop réalisée du 4 au 6 novembre pour le magazine CB News, à la question sur les évolutions de la consommation de luxe, "acheter des produits d'occasion" arrive en deuxième position (48 %) derrière "recycler les produits pour leur donner une seconde vie" (53 %). La "location d'un produit de luxe" est troisième avec 44 % des réponses. Cette volonté de proposer des produits d'occasion tombe bien, car l'acheteur Gen Z les apprécie de plus en plus. L'étude de l'Observatoire Cetelem montre que 73 % des moins de 35 ans sont prêts à se payer du luxe d'occasion, et 50 % à louer un produit au lieu de l'acheter. Et ce sont les marques françaises qui sont plébiscitées. « Ces trentenaires préfèrent acheter un sac Dior en seconde main plutôt qu'un Coach (marque américaine de luxe accessible) neuf » explique Eric Briones, pour qui « le luxe français sort grandi de la pandémie ». Une bonne nouvelle pour notre commerce extérieur qui en a bien besoin.

(1 ) Capitalisations boursières : Kering 70 Md€, Hermès 89 Md€, L'Oréal 165 Md€ et LVMH 248 Md€ au 21/12/2020


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Commentaires 6
à écrit le 30/12/2020 à 18:38
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Public demandeur certes, éclairé...je rigole

à écrit le 30/12/2020 à 17:23
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DHL et autres transporteurs n'ont pas arrêté de travailler durant la pandémie. Donc les ventes en Chine ont continué presque normalement. Lorsque j'ai étudiée la politique de LVMH, j'ai été béa d'admiration et pourtant pour me surprendre en gestion...

à écrit le 23/12/2020 à 9:44
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"Mais qui doit tirer les leçons de la crise en agissant pour montrer "patte verte" sur l'empreinte écologique de la filière" Au nom de la corruption majeure agro-industrielle on est en train d'imposer à tous les autres secteurs d’activité économi...

le 23/12/2020 à 10:32
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Vous manquez de vue stratégique .... Le greenwashing des entreprises même pour le secteur luxe est une tendance et demande internationale et generationnelle ... si nos groupes ne s y adaptent pas d autres prendront la place et adieux les chiffres d...

le 23/12/2020 à 19:21
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Tu es HS volontairement. Je parle de l'agro-industrie et tu me réponds juste parce que vous pouvez pas assumer une de ces multiples vérités. Ca pue la défaite. Signalé

le 30/12/2020 à 14:57
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@citoyen blasé: "...puisque c'est l'agro-industrie qui massacre la planète et la vie sur terre" Postulat de base, frénétiquement asséné qui n'engage que vous à l'échelle de la planète. Comme l'indique fort justement Brehat, les engagements écologi...

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