Ukraine : « Une hausse des prix sur les produits agricoles est à prévoir » (Christophe Richardot, DG de l’Alliance BFC et de Dijon Céréales)

Depuis une dizaine de jours, l’invasion de l’Ukraine par la Russie bouleverse le monde agricole. Ces deux pays représentent à eux deux 30% des exportations mondiales de blé et d’orge. Le commerce d’engrais avec la Russie et la hausse du coût de l’énergie risquent d’avoir de lourds impacts sur les exploitations. Christophe Richardot, directeur général de l’Alliance BFC et de Dijon Céréales, nous éclaire sur les conséquences de cette guerre à court et à moyen terme sur les marchés agricoles.
(Crédits : Dijon Céréales)

LA TRIBUNE- En quoi cette guerre provoque-t-elle des tensions sur les marchés des grains et oléagineux ?

CHRISTOPHE RICHARDOT- Il y a deux ans, le cours du blé s'élevait à 170 euros la tonne, en 2021, il est passé à 180 euros la tonne, jusqu'à atteindre un record ce vendredi à 400 euros la tonne. Cette envolée liée à la crise vient confirmer une valeur haute des céréales, conséquences des marchés mondiaux déjà tendus entre l'offre et la demande.

Nous n'avons peut-être pas encore atteint le pic mais nous assistons à d'importantes fluctuations. Il y a deux ans, les prix variaient de 3 à 4 euros par jour, aujourd'hui il n'est pas rare d'observer des variations de 20 à 50 euros. Cette situation rend la gestion financière des exploitations compliquée. Il est difficile de se projeter et d'anticiper. Pour l'Alliance BFC - qui regroupe trois coopératives de la région (Dijon Céréales, Bourgogne du Sud et Terre Comtoise) - cette situation engage des couvertures financières importantes afin d'allonger nos capacités à couvrir nos prises de position sur les marchés.

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Sachant que la Russie représente 40 % des exports mondiaux de nitrate d'ammonium, présent dans les fertilisants, peut-on s'attendre à un choc sur le marché des engrais ?

Les fertilisants qui viennent de Russie sont utilisés en partie pour la production de nos céréales en Bourgogne-Franche-Comté. Ce qui va impacter les coûts de production des matières agricoles végétales. En 2022, les stocks ont déjà été commandés pour les semis de printemps mais nous commençons à acheter les fertilisants nécessaires aux semis de l'année prochaine. Les engrais valaient 250 euros la tonne avant la crise sanitaire, nous sommes passés à 600 euros la tonne. Je pense qu'on aura des engrais à quatre chiffres pour l'année prochaine. D'où un impact fort sur les exploitations agricoles. Nous allons pouvons aussi être en sous quotas, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas assez d'engrais.

Autre conséquence : la raréfaction des engrais réorientera les cultures vers plus de légumineuses. Autrement dit : une baisse des surfaces de blé au profit du soja et des pois. Les assolements évolueront avec une modification des ratios de production entre les différentes espèces. Afin que le monde agricole puisse s'alimenter en intrants et commercialiser ses céréales à un prix accessible, les enveloppes financières sont en train de doubler. Or, les organisations agricoles n'ont pas l'habitude de gérer des lignes de crédits aussi importantes. Nos besoins d'encours négociés auprès des banques étaient de 100 millions d'euros l'année dernière, nous nous dirigeons vers 170 millions d'euros pour 2022.

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En quoi la hausse des prix de l'énergie peut impacter les productions agricoles ?

La flambée des prix de l'énergie et du pétrole aura des conséquences sur le coût du transport. Elle se fait déjà ressentir car, par exemple, nos camions qui roulent au gaz naturel, ont dû être arrêtés car trop coûteux... De même, la hausse des cours du gaz naturel aura un impact sur les coûts de production, notamment les coûts de séchage - pour le maïs, les agriculteurs utilisent des séchoirs afin de les conserver - de fabrication des engrais azotés, et les coûts en énergie des usines de transformation.

Ce sera, en France, l'une des principales conséquences de la guerre, mais se posera également la question du coût et de la disponibilité des matières premières utilisées. Il faudra être vigilant sur la filière animale - qui consomme les céréales que nous produisons - afin d'éviter un déséquilibre dans les filières. Si le prix des matières premières flambe, nos filières clientes auront du mal à s'approvisionner. Or, l'Alliance BFC défend aussi bien les productions céréalières que les éleveursun grand nombre de nos agriculteurs sont d'ailleurs polyculteurs éleveurs.

Dans tous les cas, une hausse des prix directe aux consommateurs sur les produits agricoles est à prévoir dans les grandes et moyennes surfaces. Face à ces effets de dominos, le consommateur devra participer à l'effort pour maintenir les outils de production agricoles.

La Russie et l'Ukraine étaient les principaux fournisseurs de céréales des pays du Maghreb, ce marché pourrait-il représenter une opportunité pour la France ?

Certes, la Russie et l'Ukraine sont nos principaux concurrents pour fournir les pays du Maghreb. Ces évolutions sur les disponibilités mondiales en matières premières agricoles pourraient avoir des impacts significatifs sur la sécurité alimentaire de plusieurs pays. La Tunisie, le Liban et les pays d'Afrique Sub-saharienne sont plus vulnérables, très dépendants aux importations en provenance d'Ukraine. La vulnérabilité de la région du Maghreb et du Moyen-Orient, déjà touchée par la sécheresse, est également accentuée par la crise. C'est pourquoi j'espère que l'Ukraine pourra semer ses céréales car nous arrivons en période de mise en terre des cultures. Leur production est essentielle pour garder un équilibre mondial. Cette situation peut créer des appels d'air mais il faut que les céréales restent à un prix accessible. Nous n'avons pas envie de profiter de la situation car cette crise est grave. Le devoir de la France est de pouvoir alimenter ces pays, sans tirer les prix vers le haut. Aussi, nous essaierons d'être présents sur le bassin méditerranéen.

Pensez-vous que la situation doit inciter l'Union européenne à se poser la question de sa souveraineté ?

Depuis plusieurs années, l'Alliance BFC plébiscite l'agriculture locale, via notamment son réseau de magasins du terroir, Gamme Vert. Nous souhaitons monter le curseur en termes de communication afin que nos citoyens de Bourgogne-Franche-Comté s'alimentent davantage en produits « made in BFC ». Autre exemple, pour les protéines régionales, un cercle vertueux de production a été mis en place entre d'un côté, les producteurs de céréales et de l'autre, les éleveurs qui les utilisent. Cette stratégie de filière de proximité restera de mise.

L'autre axe que nous avons développé, c'est la stratégie de production d'énergie via la production de gaz et l'agrivoltaïsme. Ce qui nous permet de poursuivre des objectifs, à la fois de production d'énergies vertes au cœur d'une stratégie RSE durable. Du fait de notre dépendance à d'autres pays, ces deux axes de développement sont primordiaux.

Faut-il réinventer de nouveaux échanges commerciaux ?

Cette nouvelle crise, après celle de la Covid, démontre encore une fois la prépondérance de l'agriculture dans nos écosystèmes, près de chez nous mais aussi dans les équilibres mondiaux.

Est-ce qu'à un moment donné, nous devrons réfléchir pour exporter nos céréales à un prix géopolitiquement acceptable ? Ou peut-être faudra-t-il imaginer de nouveaux contrats pour nos agriculteurs, avec, par exemple, les pays du Maghreb, eux fournisseurs d'engrais, et nous producteurs de céréales...

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Commentaires 8
à écrit le 08/03/2022 à 14:07
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Et on a négocier la Package, avec de la diminution de production en Europe. Pour cause d'environnement... Pollution phytosanitaires, bilan carbone, vache qui pètes... Qu'elle bêtise... Alors que tous les humains ne mangeaient déjà pas à leur fin, dan...

à écrit le 07/03/2022 à 21:05
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La Russie est un des plus gros exportateurs de céréales , ceci grâce à l embargo de 2014. La Russie a investi dans son agriculture a l inverse de l Europe ou de la france ( avec 500 suicide d agriculteurs , on ne compte pas ceux qui se sont loupé ...

à écrit le 07/03/2022 à 11:18
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Il est temps d arrêter ses organisations mafieuses ds marches… qui ne profitent qu à des intermédiaires dont on a pas besoin La négociation doit se faire pays à pays ….

le 07/03/2022 à 12:14
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le rôle du ministre de l agriculture dans tout cela ! serait il bien plus préoccupé par la campagne électorale ,,,?

à écrit le 07/03/2022 à 11:18
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Il est temps d arrête ses organisations mafieuses ds marches… qui ne profitent qu à des intermédiaires dont on a pas besoin La négociation doit se faire pays à pays ….

à écrit le 07/03/2022 à 10:27
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Cacao, café, laine etc.. bouge pas trop. Donc les pays pauvres ne font pas partie des weeners ( sauf huile de palme ). Comme cela ne participe pas trop à l'alimentation de base ( bétail/humain ).. la par contre ça provoquer des mouvements sociaux ...

le 07/03/2022 à 11:53
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@ reset. Quand l'Ukraine pliera l'echine et sera a la botte de Poutine, tout va se calmer. Moscou dictera alors ses conditions que l'occident devra avaliser de force. Jouez aux echecs, c'est la base.

à écrit le 07/03/2022 à 7:57
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L'agro-industrie: Aux coupables les mains pleines.

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