« Avec l'arme militaire, la Russie détient l'arme alimentaire » Henri Biès Peré, FNSEA

ENTRETIEN - Grâce à ses investissements massifs dans l'agriculture, la Russie détient aujourd'hui un pouvoir géostratégique redoutable face aux pays qui dépendent de ses exportations alimentaires, explique Henri Biès Peré, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (Fnsea). Une stratégie qui selon lui devrait servir de leçon à la France et à l'Europe.
Giulietta Gamberini
Poutine s'est déjà servi de l'aide alimentaire dans des zones en guerre comme la Syrie, le Yemen ou l'Iran, pour promouvoir son autorité dans des régions déjà instables.
Poutine s'est déjà servi de l'aide alimentaire dans des zones en guerre comme la Syrie, le Yemen ou l'Iran, pour promouvoir son autorité dans des régions déjà instables. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Dans le passé, la menace d'un embargo alimentaire a pu représenter une pression forte à l'égard de la Russie. Est-ce le cas aujourd'hui aussi?

HENRI BIES PERE - Non. En 2014, les sanctions européennes conséquentes à l'annexion de la Crimée ont renforcé la décision de Vladimir Poutine d'investir 52 milliards de dollars dans l'agriculture, afin de ne plus dépendre de l'extérieur en alimentation, et de ne plus craindre des pénuries en cas de sanctions occidentales. Depuis, importatrice de blé, la Russie est devenue le premier pays exportateur. De même, alors qu'avant 2014 elle n'avait quasiment pas d'élevages, aujourd'hui la Russie est autosuffisante en volailles et quasiment en viande de porc, grâce à des investissements massifs dans l'élevage industriel. Le réchauffement climatique l'a aidée, en rendant cultivables des terres auparavant inexploitables car souvent gelées.

Quelles sont les conséquences d'une telle situation?

Cette autosuffisance représente une arme alimentaire à ne pas négliger à côté de celle militaire, d'autant plus que la Russie, grâce aussi à des règles moins exigeantes que celles en vigueur en France, qui la rendent plus compétitive, a également réussi à prendre à l'agriculture française des parts de marché en Asie, ainsi que sa place de leader au Maroc, en Algérie, en Turquie, en Egypte. Ces pays, qui étaient historiquement des clients privilégiés de la France, notamment des producteurs de blé, avec un courant d'affaires régulier d'année en année, dépendent aujourd'hui de la Russie pour leurs importations. Cela va avoir des répercussions dans la diplomatie internationale, car ils vont être des alliés naturels de la main qui leur donne à manger. Poutine s'est d'ailleurs déjà servi de l'aide alimentaire dans des zones en guerre comme la Syrie, le Yemen ou l'Iran, pour promouvoir son autorité dans des régions déjà instables.

Quel peut être l'impact de la guerre avec l'Ukraine?

Si la Russie, qui représente déjà 18% du commerce mondial de blé, met la main sur l'Ukraine, qui en représente 12%, elle pilotera un tiers du commerce mondial du blé. Compte tenu du nombre de zones dont la population augmente mais qui ne sont pas capables de produire leur alimentation, on peut mesurer le pouvoir géopolitique que Poutine détiendra alors, et le risque que cela représente pour la souveraineté alimentaire de la planète. Sans compter que l'augmentation des cours du blé causée par la guerre risque de fragiliser les pays qui importent, confrontés à des difficultés budgétaires.  C'est très inquiétant.

Lire: Le conflit entre la Russie et l'Ukraine envoie le prix du blé à un pic de plus de neuf ans

La qualité du blé français, et la capacité des agriculteurs français d'adapter leur production en fonction des caractéristiques spécifiques exigées par chaque utilisateur, n'est en outre qu'un avantage temporaire. Certes, la Russie mise aujourd'hui sur les volumes. Mais elle saura s'adapter à l'évolution des demandes du marché. Elle  peut d'ailleurs encore compter sur quelque 50 millions d'hectares de terres en jachère, extrêmement fertiles.

Quels enseignements tirer de cette situation?

La guerre qui s'ouvre nous rappelle l'intérêt d'être vigilants vis-à-vis de nos dépendances des importations, et donc de pouvoir proposer à nos propres consommateurs toutes sortes de produits, de haut comme de bas de gamme. Elle montre aussi que si la transition écologique est nécessaire, et demande davantage d'efforts, elle ne doit pas nous priver de l'arme géostratégique consistant dans la capacité à alimenter les populations mondiales qui aujourd'hui ne peuvent pas être autosuffisantes. Quand l'Union européenne, dans sa stratégie Farm to Fork, propose de retirer 10% de la surface agricole de la production pour la consacrer uniquement à la biodiversité, c'est une fausse piste. On ne peut pas baisser la garde sur les volumes produits car c'est un atout important, y compris pour peser sur le plan politique dans les prochains enjeux de la planète.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 19
à écrit le 25/02/2022 à 9:48
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Encore une fois nous voyons le manque total d’anticipation de nos hommes politiques . Pour qui le seul intérêt depuis des années C’est uniquement le pognon .On voit le résultat d’une politique naïve infantile .Ils n’ont pas changé ,ni appris de l’h...

à écrit le 25/02/2022 à 9:47
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Encore une fois nous voyons le manque total d’anticipation de nos hommes politiques . Pour qui le seul intérêt depuis des années C’est uniquement le pognon .On voit le résultat d’une politique naïve infantile .Ils n’ont pas changé ,ni appris de l’h...

à écrit le 24/02/2022 à 20:45
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Ben nous avons pas franchement de quoi s'inquiéter, nous avons l'autonomie alimentaire, quand au blé nous cultivons du haut de gamme, panifiable, et achetons pour les animaux, le soja lui vient d'Amérique. Enfin provisoirement car nous betonnons à d...

à écrit le 24/02/2022 à 19:44
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Bonjour, Au lieu de manger étrangers nous mangerons française pour une fois...

à écrit le 24/02/2022 à 19:13
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Ce qui fait que c'est nous qui allons souffrir des sanctions imbéciles. Poutine doit se marrer.

le 25/02/2022 à 8:55
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Ben oui, il a préparé tout ça depuis au moins dix ans, avec patience et organisation. C'est pas un hasard, juste attendre le bon moment où tout est prêt (alignement de planètes) pour agir. "Même pas mal" dira-t-il.

à écrit le 24/02/2022 à 18:34
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Ben oui pendant que certains stagnent voir reculent en faisant grossir d'abord et avant tout les marges bénéficiaires de actionnaires milliardaires et leurs paradis fiscaux d'autres eux se concentrent sur leur pays, investissement à long terme forcém...

à écrit le 24/02/2022 à 17:35
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Quand le prix de la biscotte va augmenter, ça va devenir dur chez Orpea. ça l'est déjà ? Ok je sors.

à écrit le 24/02/2022 à 17:16
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Un chef d' état souverain. Regardez les programmes et quand vous aurez trouvé Frexit cad la sortie de l' ue vous aurez définitivement fait le tour et réglé le prob !

à écrit le 24/02/2022 à 17:01
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Le potentiel agricole de l’Ukraine est énorme, et pas grand chose de positif a été fait par les gouvernements ukrainiens; M.Poutine peut évidemment changer cela et redonner au territoire ukrainien un boost économique certain. Sous quelles conditions ...

à écrit le 24/02/2022 à 16:57
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" les sanctions européennes conséquentes à l'annexion de la Crimée ont renforcé la décision de Vladimir Poutine d'investir 52 milliards de dollars dans l'agriculture, afin de ne plus dépendre de l'extérieur en alimentation, et de ne plus craindre des...

à écrit le 24/02/2022 à 16:57
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La France est capable de nourrir sa population avec une stabilisation des prix, certes tout augmente mais faut pas déconner..

le 25/02/2022 à 9:03
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Quand le blé a un prix mondial donné, vous n'allez pas vendre aux français à mi-prix parce que c'est produit en France. On exporte beaucoup et vend au prix du marché mondial, y a pas de préférence nationale, ça n'existe pas (y a même des producteurs ...

à écrit le 24/02/2022 à 16:33
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Ceux qui prennent Poutine pour un fou devraient réfléchir à deux fois : il met la main sur l'un des principaux pays exportateurs de céréales, dont la production pourrait être largement réorientée vers la Chine au détriment de l'Europe.

à écrit le 24/02/2022 à 16:07
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Et tout ca on le sait depuis ce matin ? Et l'aveu desolant du général allemand sur l'etat quasi inutilisable de l'armée de terre allemande on en pense quoi ? Ben voilà on va s'apercevoir du niveau de compétence de nos gouvernements occidentaux.

le 24/02/2022 à 16:36
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Non, du niveau de soumission de nos représentants politiques à l' otan et aux néoconservateurs américains qui ..vendent leur matos à nos dirigeants et agitent leur presse le reste du temps contre un pays souverain, aujourd' hui mené ...

le 24/02/2022 à 17:00
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Les allemands ont aidé les ukrainiens à se défendre il y a deux semaines ,ils ont envoyé ...5000 casques.

à écrit le 24/02/2022 à 15:40
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Elle détient surtout un chef d' Etat SOUVERAIN , nous avons nous un employé de Schwab ASSERVI, et ce dernier ne s' en cache pas quand il parle de "ses" Young Leaders, reconnaissant explicitement qu' ils lui mangent dans la main. .

le 24/02/2022 à 16:04
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Et vous proposez de mettre qui à la place? Juste pour rire un bon coup...

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