Philippe Varin a payé son échec à imposer PSA hors du continent européen

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  1500  mots
La Citroën C-Elysée s'adresse aux pays émergents (Crédits : <small>DR / Salon de l'Automobile</small>)
Arrivé en sauveur en 2009, Philippe Varin, a tenté de négocier vainement avec le japonais Mitsubishi. Il a paraphé une alliance décevante avec l'américain GM. Et il négocie actuellement avec le chinois Dongfeng. Son successeur, Carlos Tavares, devra impérativement "intercontinentaliser" la firme tricolore trop européocentrée.

PSA est toujours en mal d'intercontinentalisation. Et c'est son talon d'Achille. Après deux ans d'une tumultueuse et quelque peu anarchique présidence de Christian Streiff, l'arrivée de Philippe Varin à la tête du groupe PSA en juin 2009 avait été unanimement saluée. Cet homme réputé affable, courtois, rigoureux, jouissant d'un profil de manager international suite à la fusion de Corus et de Tata Steel, semblait idéal pour intercontinentaliser enfin le groupe PSA Peugeot-Citroën. Las, après plus de cinq ans de mandat, Philippe Varin n'a toujours pas réussi à construire la véritable alliance internationale qui permettrait à la firme tricolore de mettre fin à son isolement et son européocentrisme excessif !

Une défiance depuis au moins un an et demi

L'homme a indéniablement déçu la famille Peugeot. Et ce n'est pas un phénomène nouveau. L'actionnaire de référence du constructeur automobile, « n'est pas satisfait du fonctionnement et des résultats de Philippe Varin », écrivions-nous dès juin 2012. Et, au-delà du président lui-même, la famille Peugeot - le groupe familial détient 25,2% du capital et 37,9% des droits de vote - n'était déjà pas non plus satisfaite de l'ensemble de l'équipe dirigeante.

 

Ce qui a sauvé Philippe Varin à ce jour, c'est qu'aucun remplaçant n'avait pu lui être trouvé… jusqu'au providentiel limogeage, en août dernier, du numéro 2 de Renault, Carlos Tavares. Dès lors, les choses n'ont pas traîné, en dépit d'un renouvellement à la fin de l'hiver dernier du mandat de Philippe Varin pour une… durée il est vrai non précisée.

 

Stratégiquement, le groupe PSA a certes réussi dernièrement à décoller en Chine, mais sa part de marché y est toujours marginale (3,8% au premier semestre) et les profits demeurent très faibles. Sinon, PSA pâtit toujours d'une pénétration insuffisante au Brésil (4,2%), faute de modèles vraiment adaptés, et plus encore en Russie (2,4%) pour les mêmes raisons. Le projet indien, tant vanté, a fait long feu.

 

A la demande de l'allié GM pour se conformer à la stricte politique d'embargo des Etats-Unis, PSA s'est en outre retiré de son deuxième marché mondial, l'Iran, et reste totalement absent d'Amérique du nord. Conséquence: l'Europe absorbe encore 58% des ventes du groupe. C'était certes 66% en 2009, année d'arrivée de Philippe Varin. Mais c'est surtout la forte chute des ventes de PSA en Europe qui a fait automatiquement baisser le poids relatif du Vieux continent dans ses volumes totaux !

Echec avec Mitsubishi Motors

On ne peut reprocher à Philippe Varin de n'avoir pas immédiatement travaillé à forger des alliances stratégiques. Le président du directoire a en effet repris rapidement à son compte un vieux projet en sommeil depuis la présidence de Jean-Martin Folz au milieu des années 2000, celui d'un éventuel mariage avec le japonais Mitsubishi Motors (MMC), esseulé depuis son divorce avec ce qui était alors le groupe Daimler-Chrysler. Au-delà des coopérations ponctuelles portant sur l'achat par PSA de 4x4 et de voitures électriques Mitsubishi, tout juste rebaptisées, Philippe Varin discute donc longuement avec Osamu Masuko, président de MMC, d'une alliance stratégique plus profonde, avec échange de participations.

 

Las, les négociations finissent par achopper, en particulier sur la disparité des valorisations respectives des deux groupes. Le 2 mars 2010, lors d'une interview exclusive à La Tribune, alors un quotidien, au salon de Genève, Osamu Masuko annonce qu'une alliance capitalistique avec PSA « n'est pas à l'ordre du jour ». Des déclarations qui obligent PSA à concocter d'urgence, dans une chambre d'hôtel, un bref communiqué reconnaissant… benoîtement que « les conditions d'une alliance capitalistique ne sont pas réunies ». Fin alors des perspectives caressées avec le japonais, complémentaire de PSA du point de vue géographique et des produits.

Alliance avec General Motors

Alors que les ventes et les finances du groupe français se dégradent dangereusement, Philippe Varin négocie alors dans le plus grand secret avec l'américain GM, sous perfusion des 50 milliards de dollars injectés par le Trésor américain pour lui éviter la banqueroute. Philippe Varin se rend notamment dans le Michigan, siège de GM, au moment du salon de Detroit en janvier 2012. Ces discussions sont révélées par latribune.fr le 21 février 2012. Une « alliance stratégique mondiale » est in fine annoncée officiellement dans l'euphorie le 29 février de la même année.

 

Cette alliance avec le premier constructeur de Detroit, qui a raté tous ses rapprochements passés (avec les japonais Isuzu, Suzuki, Subaru, l'italien Fiat, sans parler de la reprise du suédois Saab tué finalement par l'américain…), soulève dès le départ un certain scepticisme. Mais Philippe Varin se montre enthousiaste et balaye les critiques. GM participe à l'augmentation de capital de PSA en prenant une participation de 7%.

Un mariage  partiellement raté

En dépit des promesses, force est de constater aujourd'hui que la mirifique alliance franco-américaine n'a pas répondu  aux espoirs nourris initialement par PSA. Cette alliance se cantonne bel et bien jusqu'ici à la seule Europe, où GM veut enfin résoudre le problème-clé des pertes récurrentes enregistrées depuis plus de dix ans par sa filiale allemande Opel.

 

Au Brésil, où l'américain figure traditionnellement parmi les trois grands constructeurs locaux, aucun accord n'a été conclu à ce jour pour faire bénéficier PSA de la plate-forme GM de petits véhicules d'entrée de gamme, une catégorie de modèles indispensables car fiscalement favorisés. En Inde, où GM est présent, on ne voit pas non plus poindre de soutien de la part de GM… Rien non plus en Russie.

 

Même en Europe, tout ne baigne pas, loin de là. Le projet phare de la coopération PSA-GM est remis en cause! C'est au bas de son communiqué sur le chiffre d'affaires trimestriel que le groupe auto français indiquait, le 23 octobre dernier, que « le projet de développement d'une plate-forme commune du segment B (petites voitures) avec GM fait actuellement l'objet d'un réexamen, de même que les dispositions correspondantes de l'accord de développement ». Un réexamen qui « pourrait conduire à une révision à la baisse du montant annoncé de synergies annuelles à moyen terme ».

 

Cette plate-forme "EMP1" d'origine PSA pour futurs petits véhicule était pourtant le programme phare de la collaboration entre les deux groupes. De quoi nourrir les inquiétudes et la déception de la famille Peugeot. Et ce d'autant plus que, dans le même temps, cette alliance avec GM a entraîné un relâchement des coopérations traditionnelles avec Ford (moteurs diesel) et la fin du projet avec BMW sur le développement conjoint des futures technologies hybrides ! Coup d'arrêt également sur les moteurs à essence communs avec le bavarois, puisque la prochaine génération ne fera plus l'objet d'une étude et d'une production communes. Dommage, car, contrairement à GM, BMW est réputé comme l'un des meilleurs motoristes mondiaux.

Négociations avec le chinois Dongfeng

L'alliance avec GM s'étant révélée nettement insuffisante pour assurer l'avenir du groupe français, Philippe Varin a du coup entamé des négociations avec le chinois Dongfeng, qui est déjà son partenaire traditionnel dans l'ex-Empire du milieu. En quête désespérément d'argent frais alors qu'il doit encore brûler 1,5 milliards d'euros de trésorerie cette année, PSA Peugeot Citroën espère lever jusqu'à 3 milliards environ, grâce à une nouvelle augmentation de capital - la deuxième en deux ans - par laquelle l'Etat français et Dongfeng prendraient chacun une participation de 20 à 30% dans le constructeur français, selon l'agence Reuters. L'Etat interviendrait pour permettre à la partie française de conserver le contrôle de PSA. Selon nos informations, «  une lettre d'intention entre PSA Peugeot Citroën et Dongfeng pourrait être signée avant Noël". On est là actuellement.

 

Malheureusement, entre-temps, la situation de PSA s'est singulièrement dégradée et ce qui aurait pu être une alliance entre égaux il y a trois ou quatre ans risque de devenir un mariage profondément inégalitaire. Le temps presse. Parmi les constructeurs généralistes de sa taille (autour de 3 millions de véhicules annuels), PSA est le seul à rester plus ou moins seul à l'heure actuelle, si l'on excepte les japonais.

 

Il est en tous cas quelque peu paradoxal que la famille Peugeot laisse Philippe Varin négocier toujours une alliance, alors que ce dernier vient de subir un cruel désaveu - en dépit d'un communiqué officiel de PSA lénifiant et quelque peu hypocrite. Fin connaisseur des rouages de l'Alliance Renault-Nissan et de ses liens (capitalistiques) avec l'allemand Daimler (Mercedes), le futur patron de PSA, Carlos Tavares, aura notamment pour tâche essentielle de réellement intercontinentaliser enfin le groupe PSA Peugeot Citroën. Rude gageure. Mais il en va de sa survie.