Renault réussit dans le "Low Cost"... mais pas vraiment ailleurs

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  1159  mots
Le Dacia Duster, première vente du groupe Renault
Les modèles d'entrée de gamme à bas coûts représentent plus de 41% des ventes de Renault, contre moins de 30% en 2010. Enorme! En dix ans, les volumes de production des Renault de gamme moyenne supérieure ou haute ont été divisés par vingt. La production des compactes a chuté des deux tiers. Même les Clio se vendent moins bien. Avec le succès des Dacia, Renault risque de devenir le pôle bas de gamme de l'Alliance Renault-Nissan

Volkswagen n'y arrive pas. Et Renault triomphe. On a les satisfactions qu'on peut. Si le groupe allemand n'arrive pas à résoudre l'équation économique de la voiture à bas coûts, le constructeur tricolore, qui fêtait jeudi le quinzième anniversaire de son alliance avec Nissan,  est le roi incontesté du "Low Cost". Problème: si Renault réussit remarquablement dans le bas de gamme, ses ventes dans  tous les autres segments de marché dégringolent inexorablement depuis dix ans...

L'échec est patent dans les modèles de gamme moyenne ou haute, où la firme de Boulogne-Billancourt devient marginale et a d'ailleurs quasiment disparu du paysage. Mais les ventes plongent aussi dans le créneau des compactes, voire dans le segment des petites voitures autres que celles à tout petits prix. Et ça, ce n'était pas du tout envisagé à l'origine par Renault. L'image du constructeur, plus bas de gamme que jamais en Europe, en prend un sacré coup!

Les ventes mondiales du groupe Renault ont crû l'an dernier de 3,1% à 2.628.208 véhicules, grâce uniquement... à la bonne performance de son entrée de gamme à prix "discount". Vendus en Europe ainsi que sur le pourtour méditerranéen sous la marque roumaine Dacia et ailleurs sous le label Renault lui-même, ces modèles "Entry" représentaient, en 2013, 41,3% du volume total de l'ex-Régie. Un pourcentage énorme! En 2010, ces véhicules pesaient...  moins de 30% seulement du total. Le 4x4 Duster n'est-il pas devenu le modèle le plus vendu désormais chez Renault? Tout un symbole. Si l'on ajoute les ventes du russe Avtovaz (Lada), en passe d'être contrôlé par Renault, c'est presque la moitié des ventes totales de l'ex-Régie qui sont générées par le "bas coût"! Pas vraiment flatteur.

Les fameuses Sandero, Logan, Duster, constituent indubitablement le fer de lance de l'intercontinentalisation de Renault... Ca, c'est le bon côté, qui prouve l'internationalisation effective de la firme au losange. Même si on peut chipoter: en Russie ou en Amérique du sud, Renault ne vend en effet quasiment que ces véhicules (avec un reliquat d'anciennes Clio au Brésil et en Argentine) et pas autre chose... Or, le marché russe, par exemple, est preneur de modèles de gamme moyenne ou haute, des créneaux dont Renault est absent!

Mais la part croissance de la gamme "Entry" dans les ventes de Renault ne reflète pas seulement les performances commerciales de l'ex-Régie en-dehors du Vieux continent. Car, en Europe même, il y a un remplacement progressif des ventes de la marque Renault par des livraisons de Dacia... Et ça, c'est très fâcheux. Dacia est le constructeur dont les immatriculations ont le plus progressé en Europe l'an dernier (+22,8% à 300.000 unités) ainsi que sur les deux premiers mois de 2014, selon les chiffres de l'ACEA (Association des constructeurs européens d'automobiles). Dacia représente désormais 30% des ventes du groupe Renault dans l'Union européenne même.

En février, Dacia a atteint plus de 3% de part de marché dans l'Union. Or, la marque Renault elle-même, en pleine régression, ne pèse plus que 6,9% du marché européen, un niveau historiquement bas. Il y a dix ans, Renault seul dépassait les 10% de pénétration en Europe. Avec Dacia, le groupe de Boulogne-Billancourt fait moins bien aujourd'hui que la marque au losange seule en 2004!  En France, Dacia a vu ses immatriculations grimper de 11,2% en 2013, frisant les 90.000 voitures, avec une part de marché supérieure à 5%.

La gamme moyenne supérieure et haute de Renault a quasiment disparu en dix ans. Renault a produit 7.500 Espace - ce qui reste du haut de gamme de Renault - l'an dernier à Sandouville (Seine maritime), contre  64.500 il y a dix ans! Quant à la gamme familiale Laguna, elle a totalisé 17.900 unités en 2013,  contre 145.000 il y a dix ans! La gamme moyenne supérieure et haute (hors filiale coréenne Renault-Samsung) représente... moins de 1% des ventes totales du groupe Renault aujourd'hui, contre 10% il y a dix ans. Un véritable effondrement.

Pis: la gamme compacte, au coeur du marché en Europe, a aussi  plongé. Renault a produit l'an passé 258.000 Mégane III (y compris le monospace Scénic), contre 898.000 il y a dix ans! Des volumes divisés par plus de trois. Et ce n'est pas tout: même la petite Clio a vu ses volumes chuter de moitié entre 2004 et 2013, passant de  577.700 unités produites à 382.000 Clio III et IV.

Il y a dix ans, en revanche, la gamme "Entry" de Renault, qui venait à peine d'être mise sur le marché avec la première Logan, totalisait 28.500 unités seulement. Dacia, la marque roumaine, produisait, au total, à peine 72.000 véhicules en 2004. Elle a grimpé, depuis, à  425.000 l'an passé.

Renault Samsung Motors (RSM) aurait dû rééquilibrer le groupe français par le haut... Mais, hélas, cette filiale coréenne, qui produit notamment  le 4x4 Koleos et les "grosses" SM5 et SM7, n'a pas percé. Elle a fabriqué 132.000 véhicules l'an dernier, dont la fameuse Latitude (version européanisée de la SM5) qui devait constituer le haut de gamme de Renault et s'est révélée un fiasco complet. Certes, 132.000 unités, c'est le double des scores de 2004, au tout début de l'aventure coréenne de Renault. A priori, il y aurait de quoi être satisfait.  Sauf que... RSM est en phase de reflux, après avoir fabriqué 190.000 véhicules en 2009. Et c'est Nissan qui doit maintenant venir à la rescousse de RSM en lui confiant la production de certains de ses modèles pour remplir le site de Busan en Corée. Aïe.

Au sein de l'Alliance Renault-Nissan, Renault risque donc, de plus en plus, de devenir son pôle bas de gamme. Certes, Renault affirme que sa gamme "Entry" génère de bonnes marges, supérieures à 10% pour le Duster. Mais, ces marges sont évidemment proportionnelles à des prix de ventes assez faibles. La gamme Logan démarre en effet à 7.700 euros. Les profits en volume ne sont donc pas a priori extraordinaires. Rien à voir avec ce que rapportent les 4x4 ou les gros modèles de Nissan.

Le gros hic, c'est toutefois que ces véhicules "Entry" sont tous produits hors de France pour des raisons de coûts. Les modèles vendus dans l'Hexagone proviennent en effet exclusivement de Roumanie et du Maroc. En revanche, les produits dont les ventes chutent (Scénic, Laguna, Espace...) sont assemblés dans les usines françaises.

Certes, Renault veut relancer l'Espace, avec une nouvelle mouture de son monospace emblématique, qui arrivera cette année sur le marché. Et la remplaçante de la Laguna devrait sortir en 2015. Mais, quelles que soient les qualités de ces futurs véhicules, les volumes risquent de rester modestes, compte tenu de l'image médiocre de Renault et du socle de clients dans ces segments, qui, depuis belle lurette, sont allés voir ailleurs.