Réussite ou pas ? Carlos Ghosn brigue un troisième mandat chez Renault

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  1253  mots
Carlos Ghosn, PDG de Renault et Nissan
L'assemblée générale des actionnaires, ce mercredi, doit accorder un troisième mandat au PDG de Renault - et de Nissan. L'écart ente les deux alliés s'accroît... au détriment du français.

Carlos Ghosn devrait obtenir sans problèmes un nouveau mandat à la tête de Renault, lors de l'assemblée générale des actionnaires prévue ce mercredi 30 avril au Palais des Congrès à Paris à 15 heures. Le PDG du constructeur tricolore - et de son allié Nissan -, âgé de 60 ans, a déjà effectué deux mandats de quatre ans chacun. Arrivé en 1996 chez Renault en tant que directeur général adjoint, ce libanais d'origine né au Brésil a pris en 1999 les rênes opérationnelles de Nissan, la firme japonaise en crise dont le français venait de prendre le contrôle.

Il en sera nommé Président-Directeur Général de Nissan en 2001. Puis, il cumulera la présidence de Renault en mai 2005, assurant la suite de Louis Schweitzer. Il deviendra le PDG de l'entreprise française  le 6 mai 2009. Cet ancien de Michelin est également président du conseil d'administration d'Avtovaz, le fabricant russe des Lada dont l'Alliance Renault-Nissan est en train d'acquérir la majorité des parts.

Renforcement des pouvoirs

Le double PDG, qui a dernièrement renforcé son pouvoir chez Renault et chez Nissan en supprimant les postes de numéro deux,  essuie bien des reproches. Mais il est certain que, sans l'alliance avec Nissan - coup de génie de Louis Schweitzer mais dont Carlos Ghosn a été l'orchestrateur -, Renault serait trop petit, trop européocentré et marginalisé en termes de produits. Il eut risqué de se retrouver dans la gravissime situation de PSA actuellement.

Reste que, sous l'effet notamment d'une grave crise mondiale puis d'une seconde crise européenne, le grand dirigeant international n'a pas tenu ses engagements initiaux chez Renault. Alors même qu'il s'était fait un point d'honneur à les tenir chez Nissan - ce qu'il a réussi effectivement.

A la mi-février, le patron de l'ex-Régie a encore une fois fixé "une marge... supérieure à 5% pour 2017". Celle-là même que Renault n'avait pas atteint en 2013. L'an dernier, Renault a enregistré en effet une marge de 3% à peine (1,24 milliard d'euros). Déjà en 2006, pour son premier grand plan stratégique, Carlos Ghosn tablait sur 6% de marge opérationnelle à terme…

L'objectif de marge est l'un des piliers de la deuxième partie du grand plan stratégique de Renault "Drive the change" (conduisez le changement, en anglais dans le texte!), que le PDG a présenté le 13 février dernier, et qui doit couvrir la période 2014-2017.  Echaudé, le patron ne fixe d'ailleurs plus d'objectif de ventes chiffré pour la firme automobile.

Echec dans les volumes

Carlos Ghosn table désormais sur un chiffre d'affaires de 50 milliards d'euros dans les trois ans. Soit dix milliards de plus que l'an dernier (40,9 milliards). Renault a vendu 2,63 millions d'unités à peine en 2013. Le déficit  par rapport aux objectifs naguère fixés pour l'année 2013 est donc de... presque 400.000 voitures.

Déjà, en 2006, le tout nouveau patron de Renault promettait 800.000 voitures de plus au moins pour… 2009. Or, huit ans après, Renault vend in fine, à peine 100.000 unités de plus qu'en 2005. Renault n'a pas pu, comme ses rivaux allemands, améliorer ses positions en Europe, ni compenser en-dehors le manque à gagner sur le Vieux continent.

L'an dernier, le constructeur automobile tricolore a affiché des résultats financiers mitigés, même s'ils sont honorables vu la crise en Europe. Il a affiché un résultat opérationnel de 1,24 milliard d'euros, contre 782 millions d'euros en 2012. Dans la seule activité automobile, le résultat opérationnel est en hausse de 461 millions d'euros à 495 millions et atteint 1,3 % du chiffre d'affaires. Ce qui reste cependant faible dans l'absolu! L'entreprise reste toutefois saine, puisque la position nette de liquidités s'élève à 1,76 milliard d'euros, en hausse de 229 millions d'euros par rapport au 31 décembre 2012.

Il n'empêche. L'écart entre Renault et son allié Nissan s'est fortement accru... depuis la signature du mariage en 1999! Au détriment du français, cantonné à plus de 40% dans des véhicules à bas coûts de sa gamme "Entry". Carlos Ghosn, qui gagne… deux fois et demie plus au titre de Nissan que de Renault , a mieux réussi a priori au sein du japonais, où il est considéré comme un héros, qu'à la tête du groupe de Boulogne-Billancourt.

Le japonais  est en effet à présent deux fois plus gros que l'ex-Régie et autrement plus rentable. Or, au moment de la prise de contrôle de Nissan par Renault, les deux constructeurs étaient à peu près de taille équivalente. Par rapport à 1998, dernier exercice avant l'Alliance, Renault a accru ses volumes de 15%. Dans le même temps, Nissan les... a quasiment doublés.

 Disparité de profits et d'effectifs

Nissan, qui perdait 110 millions d'euros avant son mariage avec Renault, contribue aujourd'hui pour une forte part... au résultat net de Renault. Sa contribution se montait l'an passé à 1,5 milliard d'euros. Sans Nissan, le français aurait été carrément dans le rouge de presque un milliard en 2013. Question effectifs, Renault a perdu 10.000 emplois par rapport à 1998. Nissan a accru dans le même temps le nombre des salariés de 80%.

On peut certes avancer des explications objectives à ces décalages. Stratégiquement, Nissan était, historiquement, présent dans toutes les régions du monde - sauf en Amérique latine -, ce qui n'était nullement le cas de Renault, implanté en Europe, en Turquie et dans quelques pays d'Amérique latine. Facteur aggravant: Renault demeure centré par ses racines sur l'Europe, un continent où le marché automobile est en panne depuis plusieurs années. Par ailleurs, Renault pâtit des problèmes de compétitivité globaux intrinsèques à l'économie française qui n'ont rien à voir avec la gestion de Carlos Ghosn. Ces constatations n'expliquent toutefois pas à elles seules l'inquiétant différentiel, qui va croissant, entre les deux entreprises.

Si Renault s'est beaucoup intercontinentalisé ces dernières années avec une croissance structurelle rentable au Brésil ou en Russie, il demeure toujours trop dépendant (50%) vis-à-vis de l'Europe. Et il n'arrivera pas, industriellement, avant deux ans en... Chine. Bien tard. Par ailleurs, si sa gamme "Entry" - vendue sous le label roumain Dacia en Europe et Afrique du nord, sous la marque au losange ailleurs - constitue un incontestable succès avec ses Logan, Sandero, Duster, la firme tricolore a échoué dans sa montée en gamme. Elle est même plutôt descendue! Son fleuron le monospace compact Scénic lui-même est en perte de vitesse accélérée. Quant à sa Twingo II, un produit terne qui termine bientôt sa carrière, elle ne restera pas non plus dans las annales des réussites automobiles.

Espérons que la citadine Twingo III, bientôt commercialisée, redresse la barre et soit rentable, ce qui n'était pas le cas du modèle actuel.  Il est vrai que la nouvelle a été concoctée par les ingénieurs de Renault, en coopération avec le groupe allemand Daimler (Mercedes), au terme des liens industriels et financiers qui unissent depuis 2010 l'Alliance Renault-Nissan et le groupe de Stuttgart. Ces accords permettent à Renault et Daimler de bénéficier d'économies d'échelle, puisque la Twingo III partagera sa plate-forme avec les Smart du constructeur germanique. La Smart à quatre places sera même fabriquée chez Renault, en Slovénie. Le constructeur  allemand achète, en plus, des petits moteurs diesel à Renault pour ses prestigieux véhicules à l'étoile. Une manière d'hommage à la qualité Renault. Déjà ça.