Automobile : « Le moteur thermique va continuer à vivre pendant au moins 70 ans » (Jean-Dominique Senard, Renault)

Par Pauline Chateau  |   |  799  mots
(Crédits : DR)
RENCONTRES ÉCONOMIQUES D'AIX-EN-PROVENCE. La Tribune reçoit en direct de son studio en plein air les décideurs économiques et politiques pendant les trois jours des Rencontres d'Aix, le Davos provençal. Ce samedi, Jean-Dominique Senard, président du conseil d'administration du groupe Renault, a rappelé la volonté du constructeur de poursuivre la transition vers l'électrique. Il estime toutefois que le moteur thermique a, encore, de longues années devant lui, grâce notamment aux carburants alternatifs dont le prix tomber à 1 euro-1,50 euro le litre d'ici 3 ou 4 ans.

Les constructeurs automobiles sont-ils prêts à amorcer la transition écologique ? Fin mars, les 27 États membres de l'Union européenne ont validé la fin des moteurs thermiques dans les voitures neuves à partir de 2035. A cette échéance, les véhicules neufs ne pourront plus émettre aucun CO2 en roulant. De fait, le texte interdit ainsi les véhicules essence, diesel et hybride, au profit du 100% électrique. Ce texte s'inscrit dans l'objectif européen de neutralité carbone en 2050. Les constructeurs n'ont d'autre choix que de s'adapter.

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Invité de La Tribune ce samedi, à l'occasion des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, Jean-Dominique Senard, président du conseil d'administration du groupe Renault, reconnaît que la transition écologique est, à de nombreux égards, « extraordinaire ».

« C'est incontournable : il n'y aura aucun retour en arrière, a-t-il reconnu, mettant en avant les progrès technologiques opérés par Renault et Michelin. Michelin a inventé le pneu vert en 1991, dans l'indifférence la plus générale (...). Renault, en termes d'innovations, on ne peut lui reprocher de ne pas avoir saisi l'enjeu de l'électrique tôt (...). Aujourd'hui, ce n'est qu'une accélération de l'histoire. »

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Plancher sur des carburants alternatifs

De là à abandonner le moteur thermique de manière définitive dans les années à venir ? Jean-Dominique Senard n'anticipe pas la disparition de celui-ci de sitôt.

« Nous allons [vers la fin du moteur thermique] avec détermination : vous le savez, Renault sera électrique en 2030, on sait le faire, a-t-il martelé. (...) Ce que nous faisons aussi, c'est que nous gardons aussi [les voitures thermiques], car je pense, que l'on le veuille ou non, que le moteur thermique va continuer à vivre dans le monde entier pendant au moins 70 ans, nous voulons garder la capacité de fournir ce marché dans les meilleures conditions possibles environnementales. »

Le président du conseil d'administration du groupe Renault explique ainsi avoir conservé l'hybride et le thermique, et amorcer une phase de recherche et développement « sur les carburants alternatifs » avec des partenaires, sur l'hydrogène notamment, afin de répondre aux consommateurs qui seront encore équipés de véhicules hybrides ou à moteur thermique. Jean-Dominique Senard s'est, d'ores et déjà montré, très optimiste sur le sujet.

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« Technologiquement, on sait très bien que les progrès arrivent, affirme-t-il. (...) La question, c'est à quel prix ? La victoire sera de pouvoir ramener le prix du carburant alternatif à l'équivalent de 1 euro, 1,50 euros le litre. Les grands experts qui nous accompagnent disent que c'est possible. Cela va arriver plus tôt qu'on ne le croit : peut-être que dans quatre, cinq, six ans, on y sera ».

Soit donc en 2027 ou 2028.

Le tout-électrique, un mauvais pari pour l'avenir ?

De quoi relativiser la transition du secteur automobile vers le tout-électrique ? « Cela signifie qu'en 2035, ce ne sera pas la voiture électrique en Europe », a aussitôt réagi l'économiste Jean Pisani-Ferry, également présent ce samedi au micro de La Tribune.

« En tant qu'industriel, Renault est obligé de préparer l'avenir, parce que si l'on part dans une seule direction, sans être certain de pouvoir l'achever, il faut que l'on prévoit des alternatives : il s'agit de l'avenir de nos entreprises, s'est défendu Jean-Dominique Senard. Si nous avons le moindre doute sur le fait d'avoir toute l'énergie nécessaire, abordable et en quantité, sur les matériaux, les crises géopolitiques, il est de notre responsabilité de faire attention aux salariés du groupe et aux consommateurs. »

« Une guerre des matières premières »

Pour Jean-Dominique Senard, les conditions permettant d'aller pleinement vers le 100% électrique ne sont pas réunies à ce stade. De fait, les défis permettant le passage au 100% électrique sont nombreux et conséquents : technologique, financier, énergétique, mais aussi et surtout, en termes d'approvisionnement des matières premières. Pékin a annoncé, lundi, que les exportations de gallium et germanium seront soumises à l'aval du gouvernement.

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De quoi faire frissonner l'Europe, et ses industriels, puisque la Chine produit l'essentiel des métaux précieux et des terres rares, des minerais cruciaux pour le développement de nombreuses technologies. « Je ne suis pas absolument certain qu'on ait anticipé les crises géopolitiques : je pense qu'on ne les a pas anticipées du tout, assène Jean-Dominique Senard auprès de La Tribune. Cela demande une diplomatie de la matière première. Les guerres du futur sont des guerres de matières premières. »

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