Le tabou de la santé mentale sera-t-il, un jour, levé, y compris au sein des entreprises ? L'Organisation mondiale de la santé définit la santé mentale comme étant un « état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d'être en mesure d'apporter une contribution à la communauté ». Dans l'attente d'une prise de conscience collective, le constat reste, lui, très alarmant : l'état de la santé mentale des salariés en France est dégradé, et en particulier chez les femmes, atteste l'entreprise Teale.
Créée en 2021, la plateforme de santé mentale dédiée aux entreprises et aux salariés a mené une étude auprès d'un échantillon représentatif de 10.000 salariés d'une centaine d'entreprises, parmi son portefeuille (qui compte notamment Engie, SNCF Réseau et Carrefour), tous secteurs d'activité et tailles confondus.
Une impossible distinction entre vie personnelle et professionnelle
Plus concrètement, la jeune pousse s'est fondée sur les résultats de l'indice de santé mentale, élaboré par ses soins, il y a deux ans, composé de 30 questions, notamment issues du WHO-5, l'indice de bien-être de l'OMS. Objectif affiché, établir un état des lieux de la santé mentale « au global », incluant vie personnelle et professionnelle, nous explique Anaïs Roux, Responsable Scientifique (Head of Care) de Teale.
« La dichotomie entre vie professionnelle et vie personnelle est sociale et sociétale : le cerveau en soi ne fait aucun distinguo », justifie-t-elle.
Résultat, 23% des femmes se situent dans un état critique, exposées à un risque possible de dépression, assure Teale. A titre de comparaison, 15% des hommes se trouvent dans la même situation.
« La disparité entre hommes et femmes ne se limite pas à la prévalence des troubles mentaux : elle s'étend aux obstacles rencontrés dans l'accès aux soins et à la représentativité dans la recherche psychologique », souligne la responsable scientifique.
Un stress accru...
Le tableau est-il absolument noir pour autant en entreprise ? Dans le cadre de son baromètre de la santé mentale, la startup relève que les femmes sont très majoritairement satisfaites sur certaines dimensions, à plus de 80%, comme la capacité d'adaptation, le relationnel avec le manager ou encore l'empathie.
En revanche, plusieurs dimensions issues de l'indice de bien-être de l'OMS interpellent. Seules 43% des femmes interrogées disent s'être senties calmes et tranquilles, et 31% se sont réveillées en se sentant « fraîches et disposées ». Autre point noir majeur : le stress. Or, ce dernier proviendrait, pour 6 femmes sur 10, d'éléments de la vie personnelle, et non professionnelle.
« Faire une démarcation entre le professionnel et le personnel n'est pas vraiment possible, cela relève davantage de la gestion du stress et des émotions, insiste Anaïs Roux de Teale. Le contexte fait que les femmes sont, a priori, plus sollicitées sur les plans du stress et des émotions, ce qui rend les choses plus difficiles. Ce n'est pas une question de capacités, mais vraiment de contexte. »
... qui peut conduire à l'épuisement
Le constat d'une santé mentale en entreprise dégradée chez les femmes est-il nouveau ? Les résultats de l'édition 2023 du Baromètre Santé au travail de Malakoff Humanis, en septembre dernier, avaient donné le ton. Troubles de l'humeur, anxiété, stress, épuisement professionnel... Plus d'une femme sur deux avait déclaré avoir souffert de troubles psychologiques au cours des 12 derniers mois.
Publiée à quelques jours de la Journée internationale des droits des femmes, une étude réalisée avant la pandémie de Covid, réalisée par Santé publique France est venue enfoncer le clou. La fréquence de la souffrance psychique liée au travail a fortement augmenté en France : elle affecte les femmes deux fois plus que les hommes.
Fondateur du cabinet Sens & Cohérence, Adrien Chignard l'observe sur le terrain. Les interventions de son cabinet de prévention des risques psychosociaux, relatives à des femmes, portent notamment sur des situations d'épuisement professionnel et de burn-out. « Nous assistons également à une exacerbation de l'hostilité dans les relations », constate le psychologue du travail et des organisations.
Charge mentale et injonctions
Comment en est-on arrivé là ? « L'entreprise est une micro-société : nous vivons encore aujourd'hui dans une société qui est très patriarcale, avec une répartition très genrée des tâches, des rôles et des responsabilités », analyse Adrien Chignard.
Et d'ajouter : « Les injonctions qui pèsent sur les femmes sont toujours aussi fortes : il faut être une bonne mère, une bonne professionnelle... La somme de ces injonctions à la performance est par nature, non pas fatigante, mais épuisante. L'épuisement est consécutif à une somme d'efforts qui n'a pas été concrétisée par des résultats manifestes ».
Est-ce à dire que la situation des femmes est irrécupérable ? Si le sujet n'a pas encore été investi à bras-le-corps par les entreprises, les mentalités semblent évoluer, notamment pour des raisons évidentes d'attractivité, dans un contexte de guerre des talents. Les entreprises doivent non seulement attirer, mais aussi retenir leurs talents.
« J'observe de plus en plus de volonté de créer du lien entre les femmes, qui réussissent, qui ont des responsabilités : il y a une espèce de sororité professionnelle, souligne de son côté le psychologue du travail. C'est même une très bonne nouvelle, puisque le premier rempart contre la détresse psychologique, c'est le soutien des pairs ».