Est-ce le grand retour de l'industrie automobile en France ?

Gigafactory de batteries électriques, mines de lithium, usines de recyclage... Les projets se multiplient dans l'écosystème de l'industrie automobile électrique hexagonale. La crise des semi-conducteurs et la guerre en Ukraine ont mis en exergue les limites de la délocalisation massive et une forte dépendance à la Chine. Mais peut-on tout réindustrialiser ? Quelles sont les limites ? Serons-nous assez compétitifs ? Retour sur les grands défis du retour de la filière automobile en France.
Pour relocaliser, il faut avoir 4 facteurs : les capacités théoriques, l'expérience industrielle, disposer des matières premières et être compétitif, assure Frédéric Monti, responsable des affaires publiques à la Fiev.
Pour relocaliser, il faut avoir 4 facteurs : les capacités théoriques, l'expérience industrielle, disposer des matières premières et être compétitif, assure Frédéric Monti, responsable des affaires publiques à la Fiev. (Crédits : Reuters)

« Ce n'est que le début de la bataille pour la réindustrialisation. L'Europe doit montrer ses muscles, la Chine ne nous fera aucun cadeau sur les voitures » , déclarait en mai dernier le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, lors de l'inauguration de la première usine de fabrication de batteries électriques à Douvrin. Accélérer l'industrialisation européenne, mais surtout française, tel est l'objectif au sommet de l'État. Et pour cause, depuis plusieurs années, l'industrie automobile s'est massivement délocalisée dans les pays où la main-d'œuvre et les matières premières étaient moins onéreuses.

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En un peu moins de vingt ans, la France a vu sa production de véhicules dégringoler de plus de deux-tiers, soit la plus forte chute européenne. En effet, le pic a été atteint en 2004 avec 3,6 millions de véhicules produits, avant de décroître massivement en 2009 lors de la crise financière, pour atteindre 1,3 million d'unités fabriquées en 2022. Avec le passage à la production entièrement électrique avant 2035, la France souhaite retrouver son statut de grande puissance de production industrielle à coup d'investissements massifs.

La crise des semi-conducteurs et l'Ukraine, des déclics

Deux événements ont servi de déclic : d'une part, la pénurie de semi-conducteurs,  provoquée par crise sanitaire et la guerre en Ukraine, qui a fait prendre conscience aux constructeurs européens de leur dépendance à l'Asie, en particulier à la Chine, laquelle concentre notamment 80% du raffinage des métaux nécessaires à la production des batteries électriques.

D'autre part, l'annonce de Joe Biden à l'été 2022 de l'Inflation réduction Act (IRA) visant à protéger leur industrie américaine, en particulier automobile, et à développer massivement la voiture électrique made in America. Résultat : dans la présentation du plan France 2030 à l'automne 2022, une enveloppe de 3,6 milliards d'euros a été prévue pour « développer une mobilité sobre, souveraine et résiliente » avec notamment la mise en place d'une filière de la batterie destinée à produire 2 millions de véhicules électriques par an d'ici à 2030.

Réindustrialiser oui, mais jusqu'où ?

Depuis, les projets n'ont cessé de se multiplier avec le lancement de la construction de quatre gigafactories de batteries électriques dans le Nord de la France. Ainsi, en mai dernier, Stellantis associé à Total et à Mercedes, a inauguré celle de Douvrin baptisée Automotive cells compagny (ACC). Suivront en 2024, la gigafactory de Renault à Douai, en partenariat avec Envision AESC, et celle à Dunkerque de l'entreprise française Verkor et de Prologium. Ces mégas-usines sont adossées à celles, historiques, de production de véhicules thermiques.

« Nous avions la volonté de les accueillir dans le Nord, se réjouit Philippe Beauchamps, conseiller régional délégué au financement des entreprises pour la région Hauts-de-France. Pour mettre en place ces entreprises, il fallait des sites spécifiques avec des capacités foncières importantes en raison de l'utilisation de grands espaces et des capacités de branchement électrique de grande puissance. Ici, il y a la centrale de Gravelines qui est la plus importante du parc électrique, ainsi que la création de deux futurs EPR. Tout cela a fortement rassuré les investisseurs pour venir s'implanter chez nous. »

Cette production de batteries électriques en France s'accompagne d'autres projets de relocalisation concernant d'autres activités de la chaîne de valeur du véhicule électrique. Ainsi, l'entreprise Imerys travaille-t-elle sur un projet d'exploitation d'une ancienne mine de lithium dans l'Allier en 2028. En Alsace, trois projets d'extraction et quatre projets de raffinage sont également prévus à partir de 2026. Le recyclage n'est pas en reste. Renault a annoncé reprendre l'usine de Flins qui produit actuellement la Zoé électrique. L'objectif : y recycler une partie de ses véhicules. Dernier projet en date : celui du Français Orano et du Chinois XTC qui vise la production de matériaux critiques et le recyclage de batteries à Dunkerque.

Enfin, les usines historiques déjà présentes sur le territoire sont amenées à rester et à se transformer progressivement pour produire des véhicules électriques. La transition a ainsi permis de sauver ces sites de production en fin de vie comme ceux de Douai ou Maubeuge pour Renault qui accueille le nouveau son pôle baptisé « ElectriCity ». Celui-ci produira les futures Renault 5, R4, Scenic ou encore Kangoo électriques. Son concurrent direct, Stellantis, a quant à lui annoncé 12 modèles produits en France avec, notamment, les versions électriques des Peugeot 208, 308 ainsi que des SUV 3008 et 5008, la Citroën C5 à Mulhouse et à Sochaux par exemple. Les autres usines historiques de Valenciennes, Hordain ou encore Rennes devraient toutes continuer à produire dans l'hexagone. Aujourd'hui produite en Slovaquie, la Peugeot e-208 pourrait, de son côté, être relocalisée en France, selon Les Échos, à grand renfort de subventions de l'État selon une source proche du gouvernement.

Pour autant, une question se pose : est-ce bien utile de tout relocaliser ? Les constructeurs français sont mitigés. Carlos Tavares, le directeur général de Stellantis préfère concentrer en France certains maillons à haute valeur ajoutée, comme le recyclage et la fabrication des batteries. Le raffinage, qui permet d'utiliser les métaux extraits des mines, ne sera pas son cheval de bataille. Son concurrent, Luca de Meo a concédé que, si la France peut être compétitive sur une voiture électrique, il sera plus difficile de relocaliser la partie logiciel des voitures.

Pour Julien Pillot, économiste et enseignant-chercheur à l'Inseec, avoir toute la chaîne de valeur en France entraînera des investissements colossaux. Auxquels s'ajouteront des coûts environnementaux liés à ces projets, et ce, sans pour autant garantir des gains de compétitivité. « Nous avons trop de retard, il faut être compétitif sur certains maillons stratégiques de la chaîne de valeur », estime-t-il. Or, la relocalisation de la filière automobile se heurte à d'importants défis, dont la plupart paraissent difficilement surmontables à long terme.

Le prix de l'énergie comme facteur limitant

« Pour relocaliser, il faut avoir quatre facteurs : les capacités théoriques, l'expérience industrielle, les matières premières à disposition et être compétitif, assure Frédéric Martin, responsable des affaires publiques à la Fiev, le syndicat professionnel des équipementiers. Nous avons les compétences théoriques, nous sommes en train de développer l'expérience industrielle, mais ensuite il faudra amortir les coûts fixes pour espérer être compétitif. » Justement, comment l'être quand la main-d'œuvre ou encore les impôts de production sont plus élevés en France qu'en Chine ? D'autant qu'un autre facteur vient alourdir l'addition : le prix de l'énergie.

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Jusqu'à présent, la France pouvait faire la différence par rapport à ses concurrents sur ce dernier point, grâce à son important parc nucléaire. Depuis, le prix de sa production a récemment triplé. En cause, la guerre en Ukraine. Le conflit a entraîné une hausse importante du coût de l'électricité en Europe, la Chine et les États-Unis ayant été épargnés. Pour limiter les répercussions sur le prix de vente des voitures produites en France, le gouvernement a changé son fusil d'épaule concernant le bonus écologique attribué aux véhicules en dessous de 47.000 euros.

Dès 2024, ce bonus de 5.000 euros sera fléché vers les véhicules dont l'empreinte carbone sera la plus faible. Le mix énergétique du pays de production devrait rentrer dans le calcul. Ce coup de pouce a pour objectif de privilégier les constructeurs européens, mais il paraît insuffisant.

« Je pense que le marché de l'électrique n'est pas un marché naturel pour l'instant. C'est un marché qui a encore besoin du soutien des autorités. Il y a des leviers à activer pour garantir la compétitivité de l'Europe, surtout sur l'énergie. Si on veut une gigafactory qui consomme énormément d'énergie, il faut être capable de dire que dans ce cas spécifique, l'énergie doit être compétitive sur un temps ciblé. C'est de la stratégie industrielle », a déclaré Luca de Meo, dans une interview exclusive accordée à La Tribune.

Les industriels demandent également une révision des taxes aux frontières et un plus fort contrôle des importations de véhicules des marchés américains et chinois en Europe. Si la France risque d'être peu compétitive, elle bénéficie de l'avantage de sa production d'électricité décarbonée. Celle-ci pourrait aider les entreprises à atteindre leurs objectifs de neutralité carbone fixés pour les vingt prochaines années. En outre, ces projets posent également la question de la main-d'œuvre. Car avec cette relocalisation, ce sont de nouveaux emplois à la clé. « Plusieurs dizaines de milliers », avance la Plateforme automobile et des mobilités (PFA), qui regroupe l'ensemble des acteurs du secteur en France.

Mais cette main-d'œuvre ne pourra pas être issue de l'industrie automobile déjà présente sur le territoire. De fait, les compétences changent et il faudra former à de nouveaux métiers.

100.000 emplois en moins d'ici 2035

« Avec la relocalisation de l'électrique, on passe de la métallurgie à la chimie. Entre 2022 et 2023, on a augmenté nos budgets électromobilité de 70%. L'enjeu consiste pour ces gigafactories à ne pas cannibaliser les industries qui existent déjà, il faut arriver à la remise à l'emploi de 15.000 à 20.000 personnes », affirme Philippe Beauchamps. Ces emplois seront également concentrés dans des espaces restreints, ce qui pourrait poser un problème de logement et d'attractivité.

Mais si ces mégas-usines seront à l'origine de milliers d'emplois, les usines de production de moteur thermique, elles, fermeront définitivement avant 2035. Au total, près de 100.000 emplois pourraient être supprimés selon la PFA. Les premiers touchés sont les petits équipementiers spécialisés dans certaines pièces des moteurs à combustion. « Les constructeurs internalisent les équipements comme les projets de gigafactoy. Les équipementiers vont beaucoup souffrir », se désole Claude Cham, président de la Fiev.

La carte à jouer se trouve peut-être sur le volet recherche et développement. En effet, si la France parvient à trouver une nouvelle technologie de batterie, sans métaux critiques, avec une empreinte écologique faible et des capacités élevées, elle pourrait revenir dans la course. Le directeur général de la PFA, Marc Mortureux, reste confiant : « Nous cumulons pas mal d'inconvénients, mais nous apprenons en marchant, c'est très enthousiasmant le défi qui nous attend ».

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Commentaire 1
à écrit le 04/07/2023 à 7:58
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Notre premier concurrent en matière d'automobile c'est l'Allemagne qui a envahi notre marché, acheter une berline allemande étant le conformisme le plus imposé aux répliquants que son devenus les consommateurs. Ceux qui n'y connaissent rien se précip...

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