Réindustrialisation : la France peut-elle sécuriser l'approvisionnement des métaux stratégiques ?

La transition énergétique est une opportunité pour la création de nouvelles filières industrielles en France. Mais l'une des conditions se situe dans la sécurisation de l'approvisionnement en minéraux et métaux stratégiques. Un point sur lequel la France et l'Europe partent de loin au regard de la Chine ou encore des États-Unis. Pour rattraper ce retard, une politique volontariste et réaliste est à l'œuvre pour réduire la dépendance aux importations de métaux stratégiques grâce à une production locale minière et au recyclage.
Robert Jules
Le site minier d'Imerys à Beauvoir, dans le département de l'Allier où le leader mondial des minéraux industriels exploite du mica. A partir de 2028, il prévoit de produire du lithium.
Le site minier d'Imerys à Beauvoir, dans le département de l'Allier où le leader mondial des minéraux industriels exploite du mica. A partir de 2028, il prévoit de produire du lithium. (Crédits : ABACA via Reuters Connect)

Nickel, lithium, manganèse, terres rares, cuivre... Ces métaux sont devenus stratégiques pour créer de nouvelles filières comme la production de batteries pour véhicules électriques, de panneaux solaires, d'éoliennes offshore, ou encore l'extension des réseaux électriques et de la numérisation des activités de production et de services. Or, « la France importe aujourd'hui quasiment 100% de ses besoins », constatait en janvier 2022 Philippe Varin, dans son rapport sur « La sécurisation de l'approvisionnement en matières premières minérales ».

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Dans ce document réalisé à la demande du gouvernement, l'ex-président de France Industrie, expert en marché des métaux en tant qu'ancien patron de Péchiney (aluminium), de Corus (acier) et de PSA (construction automobile), liste ses recommandations pour sécuriser un approvisionnement nécessaire à la réindustrialisation du pays voulue par le président Emmanuel Macron dont le plan France 2030 se veut le fer de lance.

Une rude compétition

La compétition internationale pour prendre les parts de marché de cette nouvelle industrie de la décarbonation s'annonce rude en raison d'une demande qui va exploser. Par exemple, celle de terres rares va être multipliée par 4,5 d'ici 2030, celle de lithium par 11. Une tension à laquelle s'ajoute la concentration de l'offre souvent dans trois pays pour chaque métal et une transformation (raffinage) largement dominée par la Chine.

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Face au géant asiatique - qui a 20 ans d'avance sur ces marchés - et aux États-Unis qui accélèrent grâce au plan IRA (Inflation Reduction Act) du président Joe Biden et ses mesures de soutien à la politique industrielle verte du pays, mais aussi face au Royaume uni, au Japon, à la Corée du Sud, au Canada, et à des pays émergents comme l'Inde et l'Indonésie qui comptent bien eux aussi se positionner sur ces nouvelles filières industrielles, l'Union européenne et la France partent de loin.

S'il ne s'agit pas de faire de la France une puissance minière dans les prochaines années, même si son sous-sol recèle des gisements minéraux loin d'être négligeables comme l'a établi le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), en revanche, l'approche réaliste préconisée par Philippe Varin permettrait à l'Europe de réduire sa dépendance aux importations, toujours sujettes à la volatilité des cours des métaux et aux incertitudes géopolitiques, en produisant « 20 à 30% » de ses besoins à l'horizon 2030.

L'exemple de la mine de lithium d'Imerys

Ce n'est pas une mission impossible. À l'exemple du Français, Imerys, le leader mondial des minéraux industriels, qui prévoit de produire d'ici 5 ans sur son site de Beauvoir dans l'Allier 34.000 tonnes d'hydroxyde de lithium par an. Ce volume permettra de fournir ce métal stratégique aux constructeurs de batteries pour équiper 700.000 véhicules électriques par an.

Le cas du cuivre illustre également la situation dans laquelle se trouve l'Union européenne. La demande mondiale devrait bondir de 30% à 50% dans les prochaines années. Sur les 24,2 millions de tonnes qui devraient être extraites cette année, à peine 0,32% le seront dans l'Union européenne. En revanche, l'UE devrait raffiner 10% des 26,32 millions de tonnes de métal rouge (y compris le cuivre recyclé), et consommer 12% des 26,42 millions de tonnes des besoins mondiaux, selon les projections de l'International Study Copper Group (ISCG). L'UE doit ainsi importer 400.000 tonnes en 2023, soit 15% de ses besoins.

Le réalisme prôné par Philippe Varin se retrouve également dans le plan européen dévoilé en mars 2023 « Matières premières critiques: garantir des chaînes d'approvisionnement sûres et durables pour l'avenir écologique et numérique de l'UE » qui fixe les objectifs d'une politique volontariste à l'horizon 2030 en se dotant d'une législation sur les matières premières critiques susceptibles de « garantir des chaînes d'approvisionnement sûres et durables pour l'avenir écologique et numérique de l'UE ». L'objectif est d'extraire localement 10% de ses besoins annuels en minerai, de raffiner 40% de sa consommation, dont 15% issus du recyclage, et ne pas importer plus de 65% de chaque matière première stratégique d'un seul pays tiers.

Pour le cuivre, un métal recyclable à 100%, l'UE peut même être plus ambitieuse puisqu'à l'échelle mondiale, en 2022, à peine 16% provenaient du recyclage sur les 25,7 millions de tonnes de métal raffiné produites. Pour cela, il faut investir non seulement dans les capacités de production, mais aussi dans l'innovation. Le plan France 2030, fer de lance du gouvernement pour réindustrialiser le pays, a consacré un milliard d'euros pour soutenir des projets qui portent sur l'ensemble de la chaîne de production et du recyclage, en particulier les innovations qui améliorent les méthodes et les technologies actuelles.

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Création d'un fonds d'investissement public-privé

Le rapport Varin recommandait d'ailleurs la création d'un fonds d'investissement français public/privé spécifique aux métaux. C'est chose faite depuis mai dernier. La société de gestion InfraVia et le gouvernement vont gérer un fonds qui devrait atteindre un montant de 2 milliards d'euros, dont 500 millions d'argent public, pour aider les entreprises françaises à avoir accès aux métaux critiques. «Nous visons le lithium, le cobalt et le nickel dans un premier temps, confirme dans un communiqué Vincent Levita, président et fondateur d'InfraVia. Les investissements se feront à l'échelle mondiale, avec un droit d'accès aux ressources en rapport avec le montant de l'investissement réalisé », prévient-il.

Et il s'agit d'aller vite. L'objectif est de lever 1 milliard d'euros d'ici à la fin d'année, pour commencer à investir dès 2024. Dix à quinze projets devraient bénéficier de montants compris entre 100 et 300 millions d'euros, indique InfraVia. En moyenne, le retour sur investissement dans un projet minier est compris entre 10 et 15 ans.

Pour autant, les grands acteurs privés, rompus à la compétition internationale, notamment venue de Chine, n'ont pas attendu le gouvernement et les instances européennes pour sécuriser leurs approvisionnements. À l'exemple du constructeur automobile Stellantis, qui a inauguré le mois dernier à Douvrin dans les Hauts-de-France sa première gigafactory de batteries pour véhicules électriques, Automotive Cells Company (ACC), en partenariat avec TotalEnergies et Mercedes-Benz. Il a non seulement signé des contrats de long terme avec des groupes producteurs mais est souvent entré à leur capital : chez l'australien GME pour le nickel, le cobalt et le manganèse, chez un producteur finlandais de nickel, chez des producteurs de lithium aux États-Unis et en Allemagne, ou encore de cuivre en Argentine. L'assurance d'avoir des chaînes d'approvisionnement en métaux stratégiques donnera un avantage compétitif dans le marché mondialisé des constructeurs de véhicules électriques.

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Centraliser l'information

L'autre nerf de la guerre, c'est l'information. Ce sera la mission de l'Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles (Ofremi), une initiative gouvernementale née en novembre dernier. L'Ofremi centralise les informations concernant les métaux stratégiques pour aider les industriels à adopter leur stratégie en connaissance de cause. Il rassemble des compétences issues du BRGM, du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), de l'Institut français du pétrole (IFPEN), de l'Agence pour l'environnement et la maîtrise de l'énergie (Ademe) et de l'IFRI (institut français des relations internationales), pour la dimension géopolitique. L'observatoire fait de la veille sur les données actualisées sur les ressources, les capacités de raffinage, les projets des grands groupes miniers, et de la prospective à l'échéance de 5 ou 10 ans.

Si toutes ces initiatives en matière de réindustrialisation ont été favorisées par les fortes perturbations des chaînes d'approvisionnement entrainées par la pandémie du Covid-19 qui ont fait prendre conscience de nos dépendances aux importations et du manque de souveraineté, cette réflexion est toutefois présente depuis plusieurs années dans les milieux industriels. ​« De nombreuses filières industrielles françaises, parmi les plus performantes et les plus internationalisées, sont dépendantes d'un approvisionnement adapté en acier », alertaient en 2019 les sénateurs Franck Menonville et Valérie Létard dans leur rapport « Donner des armes à l'acier français : accompagner la mutation d'une filière stratégique ». Ils considéraient que « l'acier constitue un enjeu de souveraineté », et est indispensable pour les secteurs du BTP, de l'automobile, de l'aéronautique.

L'exemple de l'acier

Ce métal, résultant de la fusion entre charbon coke et minerai de fer fortement consommatrice d'énergie, n'est pas considéré comme stratégique. Pourtant, son exemple est instructif à plus d'un titre. D'abord, la France est importatrice nette de ce produit qui entre dans pratiquement tous les objets que nous consommons. Par ailleurs, la sidérurgie étant fortement émettrice de CO2, il est nécessaire de trouver un moyen de le produire à partir d'une énergie « verte » et avec de nouveaux procédés. C'est un enjeu important puisqu'il existe une production française qui se réduit depuis des années. Située au début de la chaîne de valeur, elle fournit des secteurs vitaux comme le BTP, l'automobile, ou encore l'aéronautique. Le rapport rappelait également combien l'approvisionnement en terres rares était un enjeu stratégique sur lequel avait alerté un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, en mai 2016 dans l'indifférence générale. Dommage que l'appel n'ait pas été entendu à l'époque !

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Robert Jules
Commentaires 6
à écrit le 03/07/2023 à 20:06
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Polytechnique va pouvoir recommencer à faire son travail. C’est bien.

à écrit le 03/07/2023 à 13:38
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Sécuriser? Quel euphémisme!

à écrit le 03/07/2023 à 12:52
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et si les BRICS avaient l'utilisation de 100% de ces metaux strategiques et autres terres rares ?

à écrit le 03/07/2023 à 8:33
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Revenez à la mécanique, plus fiable, et vous n'aurez pas de problème de métaux stratégiques ! ;-)

à écrit le 03/07/2023 à 7:08
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"« la France importe aujourd'hui quasiment 100% de ses besoins »" Merci la compromission politico-financière c'est toujours la même histoire, ce serait bien qu'un jour des dirigeants politiques montrent qu'ils peuvent être utiles à notre pays et non ...

le 03/07/2023 à 14:05
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Il est permis de rêver, lorsqu'en France on peut compter sur l'économiste Jean Tirole, par exemple, pour faire freiner des quatre fers le pluralisme dans la recherche en sciences économiques. Il est de notoriété que cette France là est, et demeure, l...

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