Automobile : pour sauver le marché du neuf, il faudra aussi traiter le marché de l'occasion

La crise du coronavirus, qui a déjà causé l'effondrement du marché automobile neuf, pourrait également bousculer son équilibre avec le marché de l'occasion. Ces dernières années, le marché automobile européen s'est notamment structuré autour de la notion de valeur résiduelle avec l'essor entre autres des financements dits avec option d'achats (LOA et LLD). Une dépréciation généralisée du marché de l'occasion pourrait réajuster cet équilibre, non sans conséquences pour tout un écosystème économique...
Nabil Bourassi
(Crédits : © Suzanne Plunkett / Reuters)

Comme on fait son lit on se couche... C'est un peu la philosophie qui relie les marchés automobiles du neuf et de l'occasion. Les ventes du marché neuf dépendent en grande partie du marché de la seconde main... Avec la crise du coronavirus, les professionnels sont inquiets d'une dé-corrélation de ces deux marchés à long terme.

Déjà sur les premières semaines du confinement, les chiffres ont montré que la chute était moins marquée sur le marché de l'occasion. Celui-ci a baissé de 35% contre 70% sur le neuf en France. Le marché de l'occasion "a une grosse part de ventes entre particuliers, ce qui explique aussi qu'il a été moins impacté", explique Guillaume Paoli, PDG d'Aramis Auto.

Pas "de décalage" en vue

Pour les professionnels de l'occasion, le risque est un déficit d'offre qui pèserait sur le marché de l'occasion récente (approvisionnements et prix). Mais Guillaume Paoli rassure:

"Toutes les usines sont arrêtées, ce qui signifie qu'on n'aura pas un grand décalage automatique entre l'offre et la demande qui aurait pour conséquence un ajustement significatif des prix. La tenue des prix des véhicules neufs à la reprise dépendra de la demande des particuliers, et des entreprises, qui risque de ne pas être au rendez-vous".

En clair, si la valeur à la revente s'effondre, le prix à l'achat est moins compétitif. Ce phénomène risque de déstructurer toute la chaîne de positionnement-prix, le fameux pricing power, mis en place ces dernières années, notamment avec le soutien des fameux LOA et LLD (Location avec options d'achats et Location longue durée) en plein essor. Ces formules permettent de lisser dans le temps le prix d'une voiture en prenant en compte son coût d'usage mais également son prix à la revente. Entre 2007 et 2019, la valeur des transactions en LOA sur le marché du neuf a été multipliée par presque quatre pour atteindre 7,2 milliards d'euros, d'après les chiffres de l'Association française des sociétés financières. Désormais, 75% du marché du neuf est financé par ce type de contrat.

"En 2008, il y avait eu un gros réajustement sur le véhicule d'occasion récent, jusqu'à 10%, ce qui a mécaniquement fortement impacté la valeur résiduelle des voitures du marché neuf", se souvient Guillaume Paoli.

La décote des diesel après l'affaire Volkswagen, un cas d'école

En 2016, les ventes de diesel s'étaient également effondrées après le scandale des moteurs truqués de Volkswagen, et les initiatives des municipalités à interdire cette motorisation. Les prix sur les voitures d'occasion avaient été impactés, et par voie de conséquence, les acheteurs du neuf s'en sont détournés de peur d'une dégradation plus rapide de leur actif.

Emmanuel Labi, directeur général d'Autobiz, une start-up spécialiste de la cotation automobile, note que l'exemple du dieselgate illustre tout à fait les mécanismes qui régulent les marchés du neuf et de l'occasion:

"Dans le cas du dieselgate, il y a eu une très forte dépréciation sur les voitures diesel et cela a pris trois ans pour revenir à une situation normale. Ce processus est passé par un réajustement de l'offre mais aussi des prix. L'écart de valeur entre voitures essence et diesel a diminué mais jusqu'à un point d'équilibre où les véhicules diesel ont arrêté de se déprécier plus vite que leurs homologues à essence".

Autrement dit, les constructeurs ont réduit l'offre de voitures diesel mais ont également révisé leur grille tarifaire qui s'appuie depuis le scandale sur une valeur résiduelle plus solide.

Pour Emmanuel Labi, ce phénomène de réajustement est accéléré par une forte dimension psychologique: "Il ne faut pas négliger l'effet des anticipations. Lors du dieselgate, les Allemands avaient fortement réduit leurs achats de voitures diesel parce qu'ils anticipaient une baisse de leur valeur résiduelle, ce faisant, ils ont entretenu cette baisse".

Prime à la casse ou prime à la conversion ?

C'est la raison pour laquelle la filière automobile défend plutôt l'idée d'une prime à la conversion plutôt que d'une prime à la casse. Cette dernière aurait l'inconvénient de ne soutenir que le marché du neuf, le rendant plus compétitif que le marché de l'occasion. Or, selon les représentants de la filière, c'est l'inverse qu'il faut faire, sinon, le gouvernement risque de casser le marché de l'occasion. "Une voiture neuve avec une prime se positionnerait au même prix qu'une voiture d'occasion récente", explique un expert. Pour les constructeurs, mais pas seulement, il est impératif de protéger le marché de l'occasion pour protéger le mécanisme de prix.

D'autant que le marché pourrait déjà être touché par des tensions sur les prix sans dispositif de prime à la casse. Emmanuel Labi, dont la société établit des statistiques dans près de 50 pays, observe que déjà "aux Pays-Bas, plus important marché automobile européen à ne pas avoir été confiné, des tensions des prix sur le marché de l'occasion" apparaissent.

Un risque pour les flottes

Pour José Baghdad, spécialiste de l'industrie automobile chez PwC, le phénomène pourrait néanmoins être circonscrit. "Nous constatons une baisse forte de la valeur d'une voiture au cours des 2/3 premières années de sa vie. Ensuite, la baisse de la valeur résiduelle est plus lente", explique-t-il. En cas de prime à la casse qui favoriserait davantage le marché du neuf, c'est donc "les acquéreurs récents de véhicules neufs" qui pourraient être pénalisés selon lui. Ainsi, les gestionnaires de flottes, mais également les stocks en concessions, pourraient se retrouver avec une dépréciation accélérée de leur flotte.

Selon une étude menée par Autobiz, les stocks de professionnels en Allemagne ont d'ores et déjà cumulé près de 344 millions d'euros de dépréciation en deux mois du fait du confinement. En France, cette dépréciation atteint 172 millions d'euros. Pour les gestionnaires de flotte, c'est une importante dépréciation d'actifs à répercuter sur les comptes de résultat. D'après Autobiz, la crise des subprimes avait coûté près de 10 points sur la valeur résiduelle des voitures d'occasions récentes.

Pour José Baghdad, deux options pourraient réparer en partie cette problématique: "La levée des options d'achat par leur locataire, si la valeur résiduelle est bien réévaluée à l'issue de la location et prend en compte les nouvelles donnes du marché de l'occasion, (...) et la croissance de l'exportation des véhicules d'occasion - non acquis par leur locataire - vers l'étranger (Europe de l'Est ou Afrique) car la valeur résiduelle de ces véhicules pourrait être supérieure à celle de notre marché domestique".

Eviter "l'usine à gaz"

En tout état de cause, il semblerait que le gouvernement français s'oriente vers un dispositif de type prime à la conversion (qui inclut donc des achats de voitures d'occasion) afin de ne pas bousculer cet équilibre fragilisé du marché de l'occasion. Guillaume Paoli d'Aramis Auto, qui milite pour cette solution, émet toutefois un vœu: "Il faut penser un dispositif qui ne soit pas une usine à gaz... L'année 2020 a déjà semé la confusion dans l'esprit des automobilistes entre les réglementations CAFE, le passage au WLTP et les changements intempestifs de grille de bonus malus...". Constructeurs, concessionnaires, loueurs... c'est davantage qu'une filière qui attend fébrilement les réponses du gouvernement mais bien tout un écosystème.

Nabil Bourassi

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Commentaires 8
à écrit le 07/05/2020 à 10:08
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Vous faites bien de faire un peu de pub avec VW parce que entre les droits de la femme et la crise, acheter une esclave pour récompenser ses cadres performants devient un véritable parcours du combattant !

à écrit le 06/05/2020 à 19:52
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Les concessionnaires regorgent de stocks , invendus depuis 2 mois , et la période des soldes à moins 50 % arrive , s'ils veulent survivre . Bonnes affaires en vue .

à écrit le 06/05/2020 à 16:45
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Avec un futur nombre de chômeurs en France autour de 10 millions, la préoccupation des ménages, sera surtout de réduire les investissements non idispensables, pour consacrer plus d'argent dans l'achat de nourriture, qui du fait de la pénurie qui va s...

à écrit le 06/05/2020 à 15:27
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c'est bien de enfin à l'occasion avant de passer au neuf, c'est toute une construction économique des clients; la voiture, si elle est de bonne fiabilité spacieuse ou autres peut passer dans les mains jusqu"à 10 parfois pour finir à 500€ (mon cas hab...

à écrit le 06/05/2020 à 13:44
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combien une 10 kms style kadjar?

à écrit le 06/05/2020 à 9:24
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Ah non, pas encore une prime a la casse, c'est inefficace et couteux. Un phenomene positif pour la reprise du marché, l'enorme stock de controles techniques non effectués, sur des voitures qui etaient passées la derniere fois avant les 20 mars 18 et ...

à écrit le 06/05/2020 à 8:48
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Beaucoup de Français au sortir de la crise auront pendant un certain temps d'autres préoccupations que de changer de voiture.

le 07/05/2020 à 3:49
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Yes, pour bcp il faudra trouver un job, pour survivre.

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