Fusion Fiat-PSA : pourquoi les Peugeot craignent de perdre le contrôle

Alors que l'annonce des termes de la fusion entre les deux groupes automobiles est imminente, des actionnaires français s'interrogent sur la répartition du contrôle de la nouvelle entité. Avec 6% seulement du capital, les Peugeot pèseront plus de deux fois moins que la famille Elkann (14%). Les analystes, eux, jugent l'accord déséquilibré et estiment que les actionnaires de PSA surpaient la fusion avec FCA.
Nabil Bourassi
John Elkann est l'héritier de la famille Agnelli, la puissante famille italienne fondatrice de Fiat et qui a constitué un groupe industriel mondial.
John Elkann est l'héritier de la famille Agnelli, la puissante famille italienne fondatrice de Fiat et qui a constitué un groupe industriel mondial. (Crédits : Reuters)

C'est la dernière ligne droite avant l'annonce officielle ! Les constructeurs français, PSA Peugeot-Citroen, et italo-américain, FCA, Fiat-Chrysler Automobiles, s'apprêtent à boucler les négociations en vue de signer un protocole d'accord pour fusionner leurs activités. Des deux côtés des Alpes, on espère officialiser cet accord avant les fêtes de fin d'année. Selon l'agence Reuters, le conseil de surveillance de Fiat Chrysler doit se réunir mardi après-midi pour évoquer les prochaines étapes à engager dans le processus de fusion. Peugeot a lui aussi prévu la tenue d'une réunion lors de laquelle un protocole d'accord avec FCA pourrait être présenté, avaient déclaré certaines sources proches du constructeur français jeudi dernier.

Cette fusion doit propulser le nouvel ensemble au quatrième rang mondial du secteur, avec 9 millions d'automobiles produites par an. Pour Carlos Tavares, patron de PSA, cette consolidation doit lui permettre d'amortir les investissements en matière d'électrification, de voiture autonome ou encore de connectivité, sans parler des nouvelles plateformes et nouvelles motorisations. De son côté, Fiat Chrysler Automobiles va accéder à des technologies sur lesquelles le groupe avait fait l'impasse, notamment l'électrification, mais également des plateformes modernes.

Dilution et plus-value...

Depuis l'annonce de leur volonté de rapprochement, les deux parties ne cessent de parler d'une fusion entre égaux. Autrement dit, la nouvelle entité sera constituée à 50-50 des parts provenant des deux entreprises. Mathématiquement, cela signifie que chaque actionnaire verra sa participation dans leur entreprise respective, divisée par deux dans la nouvelle entité. Ainsi, la famille Peugeot qui détient environ 13% du capital de PSA, se verra diluée avec une participation de plus de 6% du nouveau groupe. Jamais, la famille fondatrice de la marque au lion n'aura eu si peu de contrôle sur celle-ci. Mais en ajoutant BPI France, le camp français cumulera une participation plus significative, de l'ordre de 13%. Pas trop loin donc de celle de la famille Elkann, héritière de la puissante famille Agnelli (du nom du fondateur de Fiat), qui aura une participation de 14% dans le nouvel ensemble (29% actuellement chez Fiat). C'est tout juste s'il est prévu que la famille Peugeot puisse augmenter sa participation de 2 points pour mieux équilibrer l'accord dans le cadre d'un pacte d'actionnaires plafonnant les parts des uns et des autres.

Cette perspective figerait la position dominante des actionnaires italiens. lI est par ailleurs prévu que John Elkann devienne le président du nouveau groupe, tandis que Carlos Tavares en serait le directeur général opérationnel.

Quant à DongFeng Motors, actionnaire de PSA à hauteur de 13%, il pourrait être conduit à retirer ses billes. Le groupe automobile chinois accueillerait avec plaisir la plus-value de sa prise de participation dans le groupe français en 2014 lorsque celui-ci était au plus bas. En outre, sa présence dans le capital pourrait poser un problème aux autorités américaines qui sont très attentifs aux actionnaires chinois dans leurs entreprises.

Un déséquilibre précaire...

Le noyau dur qui contrôle PSA (famille Peugeot, BPI France et DongFeng) ne sera donc pas reconduit au capital de la nouvelle entité, et la part des autres actionnaires restants sera diluée... Pour la famille Peugeot, il y a un risque de prise de contrôle de fait du nouveau groupe par la famille Elkann. La semaine dernière, et de concert avec Bpifrance, elle a demandé des précisions sur les modalités de gouvernance du nouveau groupe, dans le cas d'une succession de Carlos Tavares.

"La famille Peugeot et BPI, notamment, craignent que PSA ne perde son déséquilibre favorable si quelque chose arrive à Carlos Tavares", a indiqué à l'agence Reuters une source bien informée.

L'ambiguïté contractuelle réside sur la ventilation du conseil d'administration. Composé de 11 membres, la famille Elkann en nommera 5, tandis que les actionnaires de PSA en nommeront 5. Le onzième membre est Carlos Tavares. Sauf que pour l'heure, rien ne stipule si ce siège est attribué au camp français ou au camp italien en cas de disparition de celui-ci.

Les Peugeot veulent pérenniser un équilibre dans le rapport de force entre les deux familles d'actionnaire. Si le mandat de Carlos Tavares est de cinq ans, ils veulent voir au-delà, mais également anticiper un soudain "empêchement" du patron qui a redressé spectaculairement PSA. La disparition de Sergio Marchionne (Fiat), l'accident mortel de Christophe de Margerie (Total) ou l'arrestation de Carlos Ghosn (Renault) fournissent de nombreux exemples qui nécessitent d'anticiper une gouvernance pérenne.

Très riche famille Elkann

En outre, la famille Peugeot peut également craindre d'être à la merci d'un rapport de force financier qui lui sera défavorable. Depuis 15 ans, la famille Elkann s'est enrichi via les dividendes de la politique de financiarisation de FCA: coupes des budgets R&D, démantèlement des activités comme les camions, Ferrari ou encore Magneti-Marelli avec cession aux actionnaires. Enfin, il est question de percevoir un nouveau dividende exceptionnel à la faveur de cette fusion qui rapporterait près de 1,6 milliard d'euros supplémentaire.

"Nous disposerons d'une somme de 3,6 milliards d'euros pour des possibles acquisitions et investissements", a récemment déclaré John Elkann, tout en indiquant vouloir s'attaquer à l'Asie pour diversifier son portefeuille d'actions. Outre FCA, Exor, le holding familial, contrôle également CNH (l'ancienne branche camions et trucks de FCA), Ferrari.

En 2015, il a racheté 100% du groupe de réassurance PartnerRe pour près de 7 milliards d'euros. Plus anecdotique, mais non moins symbolique de la stratégie d'influence des Elkann, Exor contrôle la Juventus de Turin et vient de racheter deux journaux italiens de référence que sont La Repubblica et la Stampa. Il possède également le très puissant magazine économique anglo-saxon The Economist. Au premier semestre 2019, Exor a enregistré un bénéfice net de 3 milliards d'euros.

Avec 5 milliards d'euros d'actifs, FFP, le holding des Peugeot est loin de la puissance financière d'Exor. Il compte néanmoins quelques pépites comme une participation de 13% chez Seb, un groupe électroménager largement redressé, et 12% chez Safran, soit un acteur majeur du très dynamique secteur aéronautique et défense. Les Peugeot toucheront tout de même un dividende exceptionnel de l'ordre de 500 millions d'euros, à la faveur de la cession de l'équipementier Faurecia, que PSA contrôle encore à hauteur de 46%.

Les analystes "surpris" par la prime payée par Peugeot

Pour les analystes, c'est très clair: la famille Peugeot sort perdante de l'affaire. Alors que les contours du projet de fusion étaient précisés début novembre, les notes de brokers étaient unanimes: "la fusion va surtout profiter à FCA et à ses actionnaires". Deutsche Bank, Crédit Suisse, Jefferies ou UBS ont estimé que la prime payée par le camp français est comprise entre 28 et 32%... UBS estime que le groupe français va représenter les deux tiers de la valeur de la nouvelle entité alors que le deal est fixé à un échange de 50-50... Citi a jugé "surprenant" que PSA "surpaie" FCA et écrit que les termes du projet de fusion "sont fortement biaisés en faveur des actionnaires de FCA". Un broker va même jusqu'à écrire: Carlos Tavares et son équipe "ont dû voir quelques choses qui nous échappe".

Sur les estimations des synergies que la nouvelle entité prodiguerait, les avis sont très partagés. Si on regarde les gains des uns et des autres, on constate qu'il y a un déséquilibre entre les deux groupes. Ainsi, d'un côté, il y a un groupe français totalement restructuré avec des plans produits avancés sur chacune de ses marques et des technologies (moteur, électrification) tout à fait dans le timing. PSA profitera néanmoins des économies d'échelle autorisées par l'accession à un effet de taille conséquent. Il s'implantera également aux Etats-Unis, un marché longtemps lorgné mais jamais conquis. Enfin, Jeep et RAM sont les deux pépites de FCA qui, au-delà de leur profitabilité, sont de vrais outils de conquête internationaux.

FCA, un groupe fragilisé

De l'autre côté, FCA croule sous les insuffisances structurelles: des usines italiennes chroniquement sous-utilisées, l'absence de gamme électrifiée (ou qui n'arrivera qu'à rebours de la concurrence), des plateformes obsolètes, et des gammes vieillissantes pour ne pas dire complètement dépassées. La restructuration de FCA va coûter des dizaines de milliards d'euros. Pour le seul redressement d'une marque comme Alfa Romeo, les spécialistes estiment qu'il faudrait débourser entre 6 et 7 milliards d'euros. Mais il faudra aussi relancer Fiat, Maserati et Chrysler aux Etats-Unis.

Lire aussi : Pourquoi Fiat est condamné à fusionner

Les analystes jugent les estimations de synergies de la fusion fournies par les deux groupes, autour de 3,7 milliards d'euros par an, de "probablement sous-évaluées". Ils rappellent que pour une taille quasi-équivalente, Renault et Nissan ont été capables d'aller jusqu'à 5 milliards d'euros d'économies annuelles. UBS calcule que FCA et PSA peuvent aller jusqu'à 6 milliards d'euros de synergies. Mais surtout, les analystes s'interrogent sur le partage de ces synergies et estiment que FCA sera celui qui en profitera le plus. Pour le cabinet de conseil aux actionnaires Proxinvest, on se dit également surpris "que les actionnaires du constructeur français paient une prime de contrôle implicite (...) alors qu'il n'y aura pas vraiment contrôle de PSA sur FCA".

Pour les marchés, la réussite de ce deal ne tiendra que sur la présence de Carlos Tavares. Le PDG de PSA jouit d'une aura exceptionnelle, lui qui a fait de PSA, et d'Opel, une cash-machine en quelques années. Ils estiment qu'il est le plus à même de piloter cette nouvelle structure vers le succès. Encore un autre actif qui n'est pas valorisé dans le deal avec FCA...

Nabil Bourassi

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Commentaires 26
à écrit le 18/12/2019 à 14:27
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Dong feng fera certainement un bon deal en fourguant ses parts. Quant a vouloir pretendre attaquer l'Asie, c'est un peu tard. Les chinois, japonais et coreens ont une tres bonne avance dans pas mal de domaines. Exemple le camion semi- remorque Hund...

à écrit le 18/12/2019 à 8:06
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L'étoile Tavares commence à pâlir!

à écrit le 17/12/2019 à 21:25
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Quand le rapprochement FCA - Renault a été envisagé, la majorité des commentaires portait sur les problèmes de sous-investissement de FCA et donc d'une fusion déséquilibrée. Mais ce n'était pas la seule cause de l'échec de la fusion. Aujourd'hui, la...

le 29/12/2019 à 21:35
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Bonjour, savez ce qu'il en sera de la nouvelle architecture stratégique? Création d'un nouveau DAS ou simplement un gonflement de ceux existants? Merci d'avance

à écrit le 17/12/2019 à 18:40
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La famille Peugeot fera la plus mauvaise affaire de sa vie. Les italiens eux par contre doivent se frotter les mains....... c'est le seul groupe disposé à brader ses technologies pour 3 x rien.... Aux états Unis Fiat n'a que des problèmes et doit des...

le 18/12/2019 à 10:08
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Informez vous à ce jour FIAT n'a pas de dettes et pas plus de problème que les autres groupes automobiles : 1) Fiat rachète Chrysler et prend pied au USA (avec des marques comme Jeep Ram Dodge Chrysler Fiat Alfa Romeo Lancia Abarth ) ou les marges ...

à écrit le 17/12/2019 à 17:54
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Sur le plan produits je trouve qu'ils se complètent assez bien.Peugeot n'a pas d'équivalent à Alfa,Maserati,Jeep,Ram.Pour ce qui est de la fusion,pourquoi n'ont-ils pas signé une JV,type Fincantieri-Naval,qu'on peut dissoudre à tout moment,sans aucun...

à écrit le 17/12/2019 à 15:13
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Un tableau quelque peu inquiétant de ce qui ressemble plus à une capitulation de PSA, qu'à une fusion 50/50. Il faut en trouver les raisons. Quand les données et les solutions ne coïncident pas logiquement, c'est qu'il y a un dysfonctionnement de ré...

à écrit le 17/12/2019 à 13:48
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Ce mariage à égaux soit disant n'en est pas un. Tavares est frustrer de ne pas avoir eu le contrôle de Renault-Nissan a une époque pas si lointaine. Il cherche par tout les moyens a devenir un des premier constructeur mondiaux comme l'est Renault-Nis...

à écrit le 17/12/2019 à 13:08
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Article étoffé mais avec des sujets sous-représentés : 1. la plateforme Giorgio récente chez FCA qui permet la propulsion et le 4w. On en parle déjà pour une 6008 en 2023. 2.Les usines en sous-utilisation mais dont PSA peut avoir besoin (pologne, ser...

à écrit le 17/12/2019 à 12:32
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Cet article est un mélange de choux, carottes et fausse pudeur. Mais pourquoi dénigrer autant? Si la valorisation des deux groupes est proche, et que les Agnelli détiennent dans FCA quasiment le double que les Peugeot dans PSA, les Peugeot n'on...

à écrit le 17/12/2019 à 11:47
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A mon humble avis, PSA va y laisser des plumes. Depuis l'annonce de la possible fusion l'action PSA a perdu environ 15% , CAC étant étale Cordialement

à écrit le 17/12/2019 à 11:00
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C.Tavares n'est pas un imbécile et est sans doute mieux placé pour juger de l'opportunité de cette fusion, que les " spécialistes " dont les commentaires prêtent un peu à sourire... On a lu de tels commentaires lors de la reprise de Opel qui ne vala...

le 17/12/2019 à 11:58
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Tavarès n'est ni PSA ni FCA : il va faire ce qu'il veut puisqu'il est l'arbitre pendant 5 ans. Les Peugeot ont intérêt à nommer le onzième homme...

le 17/12/2019 à 13:31
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Peugeot n'a pas besoin de vendre pour vivre, FCA doit acheter pour survivre à court terme. Fiat ne ressemble plus à rien, Chrisler n'existe qu'aux USA je ne vois rien chez FCA qui leur permettent de revendiquer le contrôle de la fusion ! C'est un pe...

le 17/12/2019 à 16:00
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Tavares est probablement motive par son ego. Et accessoirement par des $ supplementaire. Pour le reste, il semble evident que PSa ne fait pas une bonne affaire

à écrit le 17/12/2019 à 10:48
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Les conditions d'une prise de contrôle ne sont pas réunies et reposent uniquement sur le "prestige" de Tavares. Les italiens sont redoutables et vendent souvent du vent hors de prix . Rappelez vous AIRFRANCE voulant racheter la moribonde ALITALIA emp...

le 17/12/2019 à 12:02
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Aussi bien PSA ou FCA, s'ils ne trouvent pas un partenaire pour partager les frais (Achats à grande échelle d'équipements automobile) ça sera leur faillite. Pour info, PSA a des dettes que FCA n'a pas, ne possède aucune technologie 4x4 et des marque...

à écrit le 17/12/2019 à 10:45
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La famille Peugeot se désengage de PSA pour investir dans des secteurs plus rémunérateurs comme Orpéa ( maisons de retraite et cliniques ) dont il est le premier actionnaire !!!

à écrit le 17/12/2019 à 10:28
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FCA a trouvé un pigeon, le piège est en train de se refermer.

à écrit le 17/12/2019 à 10:23
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PSA fait une erreur en fusionnant il fallait soit acheter des parts soit laisser passer fca n'a pas investi et c est PSA qui donnera tout 'nous ne sommes pas fort en affaire les italiens si

à écrit le 17/12/2019 à 10:22
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PSA fait une erreur en fusionnant il fallait soit acheter des parts soit laisser passer fca n'a pas investi et c est PSA qui donnera tout 'nous ne sommes pas fort en affaire les italiens si

à écrit le 17/12/2019 à 10:21
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PSA fait une erreur en fusionnant il fallait soit acheter des parts soit laisser passer fca n'a pas investi et c est PSA qui donnera tout 'nous ne sommes pas fort en affaire les italiens si

à écrit le 17/12/2019 à 7:07
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les peugeots ont paye de l'isf depuis 30 ans, pour remplir les caisses sociales de l'etat socialiste on peut pas en plus financer l'industrie la france a fait ses choix, et doit assumer le fait que l'industrie va au tas, vu que c'est ce qui est vou...

le 17/12/2019 à 13:33
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@ Churchill L'état socialiste ! Les obsessions c'est mauvais pour la santé. Particulièrement pour le cerveau...encore faut il en être équipé.

le 17/12/2019 à 17:45
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Merci Churchill de ce brillant commentaire. Comment se fait-il alors que ce soit FCA qui soit en sous investissement? Comment se fait-il que l'article évoque que PSA soit sous valorisé dans la fusion par rapport à FCA? C'est bien d'avoir des obse...

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