LA TRIBUNE - Alors que les constructeurs automobiles doivent respecter de nouveaux et très contraignants objectifs de CO2, ils accusent les autorités publiques de ne pas suffisamment encourager la vente de voitures électrifiées. Peut-on faire un point d'étape sur les engagements de l'État français depuis le rapport Mosquet-Pélata en 2018 ?
AGNÈS PANNIER-RUNACHER - Je rappelle d'abord que la France a doublé ses ambitions de verdissement du parc en passant d'un objectif de 500 000 à un million de primes à la conversion sur le quinquennat. Pour les véhicules électriques, nous avons également maintenu le bonus écologique avec une trajectoire précise jusqu'en 2022 pour donner plus de visibilité aux constructeurs. Sur les flottes d'entreprises, il existe également des dispositifs fiscaux très incitatifs pour les véhicules électriques comme l'exemption de taxe sur les voitures de société, ou encore un plafond d'amortissement supérieur. Si à tout cela, vous ajoutez les économies de carburant, le ROI (retour sur investissement, NDLR) pour les entreprises devient très acceptable, surtout pour celles qui attribuent un coût à leur empreinte CO2.
Au-delà des dispositifs d'incitations fiscales, il y a la question des infrastructures de recharge qui est devenu le principal frein à l'achat pour les ménages... Est-ce que la France est en retard sur les objectifs affichés ?
La Loi d'orientation des Mobilités (adoptée en janvier, NDLR) a tiré les conséquences du rapport Mosquet-Pélata sur le volet infrastructures de recharge. Elle institue ainsi le droit à la charge dans les copropriétés. Pour les bornes publiques, aujourd'hui, nous avons une prise pour 7 voitures électriques, sachant que notre objectif est d'être à une prise pour dix véhicules en 2022. Compte tenu de la hausse prévue du parc roulant électrique, c'est un objectif ambitieux, mais pour l'instant nous sommes en avance. La LOM prévoit aussi de lever les obstacles des règles de copropriété pour faciliter l'équipement en bornes de recharge à domicile, mais aussi d'encourager l'installation sur les lieux de travail. Elle permet également de subventionner une partie plus importante du coût de raccordement au réseau électrique des nouvelles bornes publiques. Et ça marche ! Depuis le début de l'année, 20 % des prises de commandes de la 208 seraient en version électrique, soit plus qu'attendu. C'est la preuve que la bascule est en cours et que les consommateurs nous suivent. J'ajoute qu'en matière d'accompagnement de la transition énergétique du marché automobile, la France a probablement été un des pays européens les mieux disant.
À la fin de l'année, Bruxelles comptera les voitures vendues au niveau européen, et infligera des amendes conséquentes aux constructeurs qui n'ont pas respecté les objectifs de CO2. Ne craignez-vous pas que cette réglementation pénalise la filière automobile française ?
L'Union européenne a pris des décisions courageuses, ambitieuses et structurantes en faveur de la transition énergétique. Cette politique est nécessaire pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre. Mais, elle ne doit évidemment pas se faire au détriment de la filière industrielle, de son écosystème de petites PME déjà mises à rude épreuve avec la chute des ventes de véhicules diesel par exemple. Nous accompagnons toutes ces entreprises dans leur reconversion industrielle à travers des projets de diversification de leurs activités, y compris en-dehors du secteur automobile, et nous sécurisons des prêts bancaires parfois nécessaires pour les accompagner. A l'échelle européenne, nous souhaitons revoir le paramètre de pondération des émissions de CO2 par la masse des véhicules. Cette disposition nous paraît injuste : plus vous produisez de grosses voitures, plus vous pouvez émettre de CO2. Par exemple, Renault et PSA ont un objectif d'émission moyen de 93 grammes de CO2 par kilomètre, contre 105 grammes pour Daimler !
La transformation de la filière automobile française pourra-t-elle se faire sans pertes d'emploi ?
Notre objectif avec le président de la République et Bruno Le Maire, c'est la reconquête industrielle et la préservation de notre empreinte industrielle. De 2000 à 2016, la France a perdu un million d'emplois industriels, c'est massif ! Depuis 2017, l'industrie crée de nouveau des emplois. Je ne dis pas que c'est simple, mais la transition énergétique doit être une opportunité pour créer des emplois pérennes. Regardez le projet d'Airbus des batteries électriques monté par Saft et PSA grâce au soutien de l'Etat et de l'Europe.
Tout le monde pense à l'usine Bosch de Rodez totalement dédiée à la technologie diesel et dont l'avenir est plus qu'incertain...
Nous avons haussé le ton avec Bosch. On parle ici d'une usine qui emploie plus de mille personnes mais qui est aussi une vitrine de l'usine du futur et d'un véritable savoir-faire. Nous attendons de Bosch des propositions de reconversion, que nous sommes prêts à cofinancer. Et ce travail, nous allons le faire site par site, entreprise par entreprise.
Il y a une autre opportunité associée à la transition énergétique liée à la motorisation à hydrogène où la France dispose de plusieurs atouts. Mais là encore, les industriels réclament des efforts d'infrastructures et d'investissements de l'État français...
En 2019, l'État a participé à hauteur de 90 millions d'euros à la filière hydrogène. Dans le cadre du pacte productif, nous proposerons au président de retenir l'hydrogène parmi les technologies prioritaires à développer dans les dix prochaines années. Une possibilité serait de développer cette filière à travers un projet de financement à échelle européenne, comme nous l'avons avec l'Airbus des batteries, c'est-à-dire à travers un PIIEC (projet important d'intérêt européen commun, et qui permet de se soustraire en partie aux contraintes de réglementation concurrentielles et de financement public, NDLR). Plusieurs pays ont manifesté leur intérêt à participer à un tel projet, dont les Pays-Bas.
En Chine, la crise du Coronavirus va avoir des conséquences extrêmement graves pour le marché, notamment automobile. Les constructeurs et équipementiers craignent un mois de février égal à zéro, soit une baisse de plus de 30 % sur le trimestre. Avez-vous commencé à évaluer l'impact de cette crise pour l'industrie automobile française ?
La semaine dernière, nous avons réuni avec Bruno Le Maire l'ensemble des responsables de filières pour faire un point sur les conséquences de la crise du Coronavirus. Le problème ne tient pas tant sur l'évolution des ventes sur le marché chinois, même si la baisse est sensible, que sur l'impact que cette crise peut avoir sur la chaîne d'approvisionnement de toute une filière.
Par exemple, dans l'automobile, l'outillage est largement fabriqué en Chine et il faut douze mois environ pour trouver une alternative. Nous avons pris plusieurs mesures à destination des entreprises les plus exposées comme le report des charges fiscales et sociales, faciliter le recours à l'activité partielle. Notre souci est d'être dans l'anticipation car il y a nécessairement un décalage. Les bateaux partis de Chine avant le Nouvel an chinois arrivent seulement dans nos ports. Cela nous laisse un peu de temps pour identifier les pièces qui risquent de manquer et de gripper la filière si la crise venait à durer, mais trouver des alternatives est complexe et implique des surcoûts que les entreprises doivent être prêtes à assumer... A plus long terme, il y a aussi la possibilité de faire de cette crise une opportunité pour notre industrie en diminuant notre degré de dépendance à l'égard de certains pays ou zones géographiques. Ce ne sera pas simple, mais cela mérite d'être étudié.
Propos recueillis par Nabil Bourassi
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