"Le logiciel va tout changer dans la voiture du futur", Éric Kirstetter (Roland Berger)

Parmi les nombreuses transformations qui bousculent l'industrie automobile, celle liée au logiciel est une lame de fond qui va recomposer le modèle économique de la voiture du futur. Cloud, gestion des équipements, infotainment... le logiciel va prendre une place prépondérante dans cette nouvelle chaîne de valeur, et représentera un coût extrêmement important, nous explique Éric Kirstetter, associé senior chez Roland Berger et spécialiste de l'automobile.
Éric Kirstetter, associé senior chez Roland Berger et spécialiste de l'automobile.
Éric Kirstetter, associé senior chez Roland Berger et spécialiste de l'automobile. (Crédits : Roland Berger)

LA TRIBUNE - Depuis plusieurs mois, l'actualité automobile est émaillée d'annonces autour des logiciels. En début d'année, Volkswagen a annoncé un plan d'envergure pour reprendre la main sur cette technologie. On a du mal à imaginer l'ampleur de la thématique...

ÉRIC KIRSTETTER - Ce qui est en jeu, c'est l'architecture logicielle de la voiture du futur. C'est une fusée à quatre étages. Le premier étage, c'est ce qu'on appelle le hardware, également appelés les calculateurs. Ce sont eux qui font fonctionner les équipements de la voiture. Le deuxième étage, c'est le middleware, autrement intitulé operating system [le système d'exploitation, Ndlr]. Si on devait comparer une voiture à un ordinateur, c'est ce qui équivaudrait à Windows. Il est nécessaire pour faire fonctionner tous les équipements d'une voiture, du moteur au châssis, en passant par la partie digitale des commandes de bord, ou le GPS. Le troisième étage, ce sont les applications. Elles gèrent tous les équipements de la voiture pour la faire fonctionner et créer "l'expérience utilisateur" (donner une expérience de conduite propre à la marque, proposer une interface utilisateur intuitive et agréable à utiliser...). Enfin, le quatrième étage, c'est le cloud. Cette technologie va s'imposer demain lorsque tous les véhicules seront connectés.

Le cloud est une technologie récente. Que va-t-il changer dans le modèle de l'architecture logicielle d'un véhicule ?

Il va tout changer. Demain, les voitures connectées auront accès à des données qui seront extérieures à la voiture, laquelle pourra consolider ces données pour définir des fonctionnalités spécifiques, en fonction du profil du conducteur, ou des réglages particuliers d'un véhicule. Typiquement, si vous entrez l'adresse d'un restaurant sur votre GPS, la voiture sera capable de vérifier si le temps de trajet, mis à jour en temps réel via les données livrées par le cloud, vous permettra d'arriver à l'heure avant la fermeture du restaurant; dans le cas contraire, le système pourra alors vous proposer des solutions alternatives. L'autre rupture que va apporter le cloud, c'est qu'il va permettre d'externaliser la puissance de calcul nécessaire au fonctionnement de la voiture. Cela va totalement changer la place des calculateurs présents dans une voiture. Aujourd'hui, on compte, en fonction des modèles, entre 50 et 70 calculateurs. Chaque fonction est réalisée avec un calculateur spécifique, celui-ci est vendu par un tier-one [le plus souvent un équipementier, Ndlr] avec des capteurs et des actionneurs. Demain, les calculs seront davantage centralisés dans de plus gros calculateurs de plus haute performance, qui couvriront plusieurs fonctions. Ces calculateurs vont se répartir aux quatre coins de la voiture pour centraliser les fonctionnalités et réduire le câblage des voitures.

Tout sera donc géré de l'extérieur ?

Non. Le middleware restera un élément stratégique majeur pour l'automobile de demain. Là aussi, le secteur s'apprête à basculer dans une nouvelle ère. Pour schématiser le monde d'avant: il y avait autant d'operating system que de modèles disponibles sur le marché. Ainsi, un constructeur devait reconstruire un système d'exploitation depuis le début à chaque fois qu'il mettait sur le marché un nouveau modèle. Mais avec le cockpit de plus en plus digital, le cloud, les assistants de conduite de plus en plus gourmands en données, ces systèmes d'exploitation s'avèrent de plus en plus complexes et coûteux à mettre en œuvre, et il est très difficile de réutiliser les applications déjà développées pour la version antérieure du véhicule. La voie générale que semblent suivre les constructeurs, c'est donc de créer un système d'exploitation en propre qui va pouvoir être réutilisé d'un véhicule à l'autre et qui va permettre de réutiliser et d'améliorer facilement les applications qui avaient été développées pour le véhicule précédent. Si on veut une comparaison, on peut dire que les constructeurs développent leur propre système Windows qui leur permet d'améliorer facilement Word et Excel entre chaque véhicule.

Les constructeurs vont donc tous développer un système d'exploitation en propre?

Les constructeurs suffisamment puissants le font, oui. Construire un système d'exploitation capable de supporter cette architecture future, de gérer le cloud, mais également l'infotainment, sera extrêmement coûteux. Pour les constructeurs, cela peut être un argument concurrentiel différenciant. Mais les cas d'école de Windows pour les ordinateurs, ou Android pour les téléphones, ont démontré que ce n'était pas nécessairement crucial. Le fait de ne pas posséder son système d'exploitation propre n'a pas empêché des fabricants de PC ou de téléphones de réussir. On peut donc imaginer l'émergence d'un système d'exploitation standardisé. Pour les constructeurs, cela coûtera beaucoup moins cher que de le bâtir en interne, et surtout, dégagera des budgets sur d'autres projets comme par exemple les applications de gestion de la voiture. Le seul problème, c'est qu'une telle solution n'existe pas aujourd'hui. Le partenariat Bosch-Microsoft, annoncé en début d'année, pourrait répondre à cette attente.

A-t-on une idée de l'enjeu de cette nouvelle architecture logicielle dans la chaîne de valeur de demain?

La même question s'était posée pour les ordinateurs entre Windows, les fabricants d'ordinateurs et les éditeurs de logiciels. Dans le cas de l'automobile, la question immédiate qui se pose est: où les constructeurs vont-ils choisir de consacrer de l'argent? Dans la construction internalisée d'un système d'exploitation, ou dans des fonctionnalités à forte valeur ajoutée ?

Vous prenez souvent l'exemple de l'informatique avec Windows. Il y a le modèle Apple, qui a son propre système d'exploitation et qui défend un écosystème en propre et différenciant. Est-il possible d'imaginer un tel schéma dans l'industrie automobile?

C'est une vraie question. Apple a su apporter une autre classe d'expérience utilisateur avec une interface homme/machine innovante, un écosystème... Mais tout ça coûte très cher à Apple. Aujourd'hui, les constructeurs sont tous contraints de suivre le modèle Apple à défaut d'offre standardisée sur le marché. Mais rien ne dit que cela continuera comme cela le jour où une offre crédible et accessible s'imposera sur le marché. Elon Musk a laissé entendre qu'il pourrait éventuellement vendre le système d'exploitation de Tesla à d'autres constructeurs.

Est-ce que les constructeurs ont l'expertise pour s'imposer sur un projet aussi vaste?

C'est un peu la course à la taille des effectifs d'ingénieurs chez les constructeurs automobiles en ce moment. Ils cherchent à acquérir rapidement et massivement des personnes, des compétences, et à industrialiser les processus de développement. Volkswagen a annoncé en début d'année un projet de filiale dédiée et qui va s'appeler Cariad, avec l'objectif de 11.000 salariés. Il y a un long chemin à parcourir pour mettre en œuvre une telle vision.

Les équipementiers automobiles vont-ils pâtir de cette nouvelle configuration industrielle?

Les systèmes vendus par les fournisseurs étaient jusqu'ici composés de capteurs, d'actionneurs et de calculateurs. Demain, ils risquent de ne plus pouvoir vendre le calculateur... et de pouvoir au mieux vendre le logiciel séparément. Mais dans la boîte qui renfermait le logiciel et le calculateur, le logiciel ne représentait que 5% à 30% du coût du produit (selon la complexité du logiciel), soit une perte importante de chiffre d'affaires pour l'équipementier. Des pure software players vont aussi essayer de vendre des logiciels et de se substituer aux équipementiers. En parallèle, certains constructeurs travaillent également à internaliser le développement de logiciels, notamment quand ils apportent une forte différenciation pour les clients. Nous sommes face à un phénomène très fort et structurant du marché.

Propos recueillis par Nabil Bourassi

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 23/09/2021 à 8:45
Signaler
C est sur qu une voiture qui va dire ou vous etes allé, quand, par ou vous etes passé, avec combien de personne (capteur de poids sur les sieges/amortisseurs) ca fait rever ! Pour le reste, l auteur semble pas vraiement maitriser le sujet. il y a de...

à écrit le 22/09/2021 à 18:21
Signaler
On se demande si l'on a besoin encore de mettre un humain dans une voiture! Elle ira directement chercher la commande au drive!

à écrit le 22/09/2021 à 17:06
Signaler
Et en cas d'infraction, la voiture vous emmène directement au poste de police. Vite, achetez une "Deux pattes" pour un redécouvrir la liberté.

à écrit le 22/09/2021 à 16:18
Signaler
La vache que c'est rare d'entendre dire "logiciel" au lieu d'intelligence artificielle, un gars qui sait donc de quoi il parle, enfin et merci.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.