Pourquoi Volkswagen adopte le modèle révolutionnaire de Tesla dans la voiture électrique

Le groupe automobile allemand a annoncé un plan massif de construction d'usines de batteries ("gigafactories") et d'un réseau de bornes de recharge. Inspirée du modèle Tesla, cette ambition d'intégration verticale s'inscrit en totale rupture avec plusieurs décennies de division de la chaîne de valeur. Décryptage.
Nabil Bourassi
La gigafactory de Tesla dans le Nevada.
La gigafactory de Tesla dans le Nevada. (Crédits : Volkswagen)

Les constructeurs automobiles allemands se réveillent enfin... Dix ans après l'arrivée de Tesla ou encore de la Zoé de Renault, Volkswagen, BMW et autres Mercedes lancent une offensive massive dans la voiture électrique, une technologie qu'ils avaient jusqu'ici grandement délaissée. Juchés sur le promontoire de leur suprématie dans les voitures "thermique", ils étaient complètement passés à côté de la révolution de l'électromobilité. Il aura fallu la crise des moteurs truqués, la poussée des mouvements écologistes, mais aussi l'émergence d'un trublion acharné du 100% électrique, Elon Musk, fondateur de Tesla, pour que ces poids lourds de l'automobile acceptent de revoir les fondamentaux de leur culture industrielle. Après un an de crise sanitaire qui a consacré une irrépressible dynamique autour de l'électromobilité, ils décident de renverser la table.

L'ID.3, déjà numéro deux en Europe

Certes, depuis 2017, les groupes allemands ont multiplié les annonces sur des gammes 100% électriques très ambitieuses. Le programme Volkswagen a couté à lui-seul 35 milliards d'euros. A l'ID.3, déjà deuxième meilleure vente en Europe derrière la Zoé, va bientôt succéder l'ID.4. Skoda, la marque-soeur de Volkswagen, va de son côté lancer l'Enyaq, tandis qu'Audi a déjà mis en service deux SUV électriques. Même Porsche s'est mis à la voiture électrique avec son Taycan.

Le groupe Daimler a dégainé un label électrique appelé EQ visant 20 modèles Mercedes 100% électriques à horizon 2030. Sa filiale Smart, elle, a carrément renoncé au "thermique", renouant avec le rêve de son cofondateur, Nicolas Hayek. Plus discret, BMW s'apprête à lancer pas moins de 12 modèles électriques, tandis que sa filiale Mini basculera également dans une gamme exclusivement électrique dans dix ans. En moins de deux ans, les groupes automobiles allemands ont lancé une douzaine de modèles, contre deux les dix années précédentes. Et le rythme devrait encore s'accélérer les deux prochaines années.

30 milliards pour l'amont et l'aval

Pour autant, cette offensive produit semble insuffisante. Pour Volkswagen, l'avènement de la batterie électrique chamboule toute l'équation économique sur laquelle repose son complexe industriel capable de produire pas moins de 10 millions de voitures par an. Convaincu de devoir bouger, le géant de Wolfsburg a annoncé cette semaine un plan d'investissement de près de 30 milliards d'euros qui doit totalement revoir son modèle industriel. Après plusieurs décennies de division de la chaîne de valeur, Volkswagen veut reprendre pied sur l'amont (production de batteries) et l'aval (déploiement d'une réseau de bornes de recharges). Davantage qu'une bascule, c'est une véritable rupture dans l'histoire contemporaine de l'industrie automobile.

L'annonce la plus spectaculaire est la création de six "gigafactories", des usines géantes de batteries, avec un objectif de production de 240 Gwh, en plus de l'agrandissement des deux actuelles qui passeront à 40 Gwh chacune, soit 320 Gwh en tout. A titre de comparaison, le réseau de "gigafactories" de Tesla devrait, à terme, atteindre une capacité totale de 105 Gwh dans le monde.

"Nous souhaitons réduire le coût et la complexité de la batterie tout en augmentant son autonomie et ses performances", explique Thomas Schmall, membre du Directoire du groupe en charge de la Technologie, et cité dans un communiqué.

"L'électromobilité finira ainsi par devenir abordable et la technologie de motorisation dominante", ajoute-il.

Autrement dit, Volkswagen ne veut pas faire de la figuration dans l'électromobilité et veut s'imposer comme un acteur majeur qui sera en capacité de donner le ton. En outre, il veut réduire de 50% le prix unitaire de la batterie d'ici 2030. Mais le projet du groupe allemand ne s'arrête pas là puisque le mastodonte aux dix marques veut créer son propre réseau de recharge rapide et vise 18.000 bornes en Europe à horizon 2025.

Un modèle calqué sur celui de Tesla

Dans les deux cas, le groupe passe par des partenariats, avec Northvolt pour la production de batteries, et les énergéticiens BP, Enel et Iberdrola pour le déploiement des bornes de recharge. Pour autant, le géant allemand calque son modèle sur celui adopté par Tesla. La firme californienne qui vend vingt fois moins de voitures mais qui pèse six à neuf fois plus en Bourse a, dès le départ, internalisé la production de batteries et le déploiement de son propre réseau de recharge rapide.

"Il est évident que la batterie est pour l'avenir un foyer de valeur que ce soit sur la batterie elle-même que sur son système de pilotage. Dans ces conditions, les constructeurs doivent trouver un même niveau de maîtrise de ce bloc technologique", explique à La Tribune, Guillaume Crunelle, associé et spécialiste de l'industrie automobile au cabinet Deloitte, avant de résumer : "la question est de savoir où se trouve la valeur".

Historiquement, l'industrie automobile a trouvé de la valeur à travers la fameuse division de la "chaîne de valeur", composée des équipementiers d'un côté, des constructeurs de l'autre, sans oublier les distributeurs. Aujourd'hui, le modèle fait le chemin inverse en passant à une intégration verticale. Pour l'heure, Volkswagen est le seul à avoir basculé. Mais ce ne fut pas sans peine. Herbert Diess, PDG du groupe, a dû batailler en interne pour imposer ce tournant. A l'automne dernier, il avait été jusqu'à mettre sa démission sur la table du Conseil d'administration si celui-ci ne prenait pas fait et cause en sa faveur contre les bastions syndicaux et autres baronnies d'ingénieurs, qui se cramponnent toujours à la culture de la motorisation thermique. A l'époque déjà, il prenait Tesla comme un modèle à suivre.

Le logiciel, autre point de friction

D'ailleurs, le plan de Herbert Diess annoncé cette semaine ne fait que s'ajouter aux réformes internes pour retrouver une expertise en matière logicielle, un autre point fort de Tesla, et qui a cruellement montré ses limites lors du déploiement de l'ID.3, retardé de plusieurs mois...

Chez Mercedes et BMW, les enjeux sont moindres puisqu'ils produisent nettement moins de volumes que la firme de Wolfsburg. A eux deux, ils produisent autour de 4,5 millions de voitures par an. Pour autant, le groupe Daimler a très tôt adopté une démarche d'intégration avec la création d'une filiale à 100%, Accumotive, laquelle s'est dotée de neuf sites de production de batteries. Le groupe de Stuttgart va encore plus loin en décidant de produire la cellule même de la batterie, une étape en amont de l'assemblage des batteries impliquant une forte expertise en chimie.

Cruel retard de la France...

L'enjeu pour l'Allemagne est de retrouver un leadership dans l'électromobilité. En France, le projet de "gigafactory" conduit par ACC (coentreprise entre Stellantis et Total) doit construire une usine de 8 GWh dans les Hauts-de-France...

"Les allemands ont une caractéristique majeure par rapport aux Français, c'est la proximité d'un tissu industriel fort dans la chimie des batteries", relève Guillaume Crunelle.

Car l'électromobilité demande des investissements colossaux et rapporte peu en rentabilité.

"Les dix prochaines années s'annoncent critiques pour les constructeurs qui vont vendre davantage de voitures électriques, mais qui sont notoirement moins rentables que leurs équivalentes thermiques", rappelle Guillaume Crunelle du cabinet Deloitte.

Autrement dit, tout le monde n'arrivera pas indemne sur la ligne d'arrivée.

L'absence remarquée des équipementiers

D'où la nécessité de se positionner très tôt sur la chaîne de valeur. Curieusement, les équipementiers automobiles ont totalement déserté cette brique technologique, préférant développer des systèmes de gestion ou de propulsion. Ces derniers s'inscrivent encore fortement dans une logique de spécialisation des expertises. Mais pour Guillaume Crunelle, "les recettes du monde d'avant ne s'appliquent pas. Dans le monde de l'électromobilité, on est face à une multitude de briques technologiques qui ne trouvent pas de modèles économiques, sauf quand elles s'agrègent autour d'un écosystème qu'il est important de maîtriser". Et de conclure: "on est à l'an 1 du développement des batteries de voitures".

Nabil Bourassi

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Commentaires 16
à écrit le 22/03/2021 à 9:40
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Avoir une voiture électrique pour sauver la planète et mettre de l'électricité nucléaire dedans : est-ce bien raisonnable ? Combien ça coûte de faire un plan à Paris ? Ce n'est pas très clair sur le site Belib' (et je n'ai pas Bac +5).

à écrit le 22/03/2021 à 8:07
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Et ils vont aussi adopter la distribution façon Tesla et donc dégager quasi toutes leurs concessions ?

à écrit le 21/03/2021 à 10:32
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Les Allemands "adaptent" parce qu'ils sont conservateurs, les idées novatrices ne sont pas dans leur culture, sauf sous une contrainte quelconque.

à écrit le 21/03/2021 à 2:26
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on n oublieras plus volkswagen avec le diesel gate il mérite de payer pour leurs arnaques , TESLA eux ,ont une ame

à écrit le 20/03/2021 à 18:28
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Pas sur qu'une technologie plus couteuse pour l'usager (achat-batterie,autonomie ....) soit trés attractive !

à écrit le 20/03/2021 à 18:28
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Pas sur qu'une technologie plus couteuse pour l'usager (achat-batterie,autonomie ....) soit trés attractive !

à écrit le 20/03/2021 à 15:24
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Parce qu’ils ont trop peur en ne faisant pas pareil de se tromper. C’est la trouille qui les taraude

à écrit le 20/03/2021 à 13:09
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30 min pour refaire le plein , très peu pour moi ...

le 21/03/2021 à 15:51
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Moi je passe zero minutes à une pompe, l'electricité est partout, pas chère, pas besoin de camion polluants pour amener le diesel, aux station services, se salir les mains, respirer les vapeurs toxiques lorsqu'on fait le plein, très peu pour moi

à écrit le 19/03/2021 à 18:08
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Je ne vois pas d'avenir à ces systèmes de recharge "propriétaires", bien trop lourds de contraintes pour l'utilisateur. C'est comme si un utilisateur de voiture thermique était lié à un pétrolier

à écrit le 19/03/2021 à 17:28
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On se demande bien avec quel argent VW va lancer un programe ambitieux dans l' électrique, la finance n' abonde pas et le grpe parle de porter Porsche en bourse pour dégager des moyens ; quant à l' efficience de l' électriqu...

le 21/03/2021 à 2:28
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surtout qu ils doivent trouver des dizaines de milliards pour les amendes du dieel gate, mais comment font ils? ils auraient déjà du faire faillitte depuis le scandale et les procès n!

à écrit le 19/03/2021 à 16:35
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La mobilité électrique ne peut pas être comme une mobilité "à pétrole" ou alors à coût prohibitif, et encore ! La vraie solution pour la voiture électrique de " grande consommation" passe par une batterie standardisée en échange rapide automatisé da...

le 21/03/2021 à 15:54
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Pour recommencer à donner de l'argent aux stations services d'échange de batteries, totalement loufoque comme idée, quant à l'hydrogène c'est une pure aberration thermodynamique avec des rendements inférieurs à 40% contre plus de 90% pour le tout ele...

à écrit le 19/03/2021 à 16:05
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Et contrairement à la légende, Ghosn aussi avait suivi Musk et Tesla, avisé qu'il était de ce qu'il se passait en amérique. Tous ces dirigeant européens sont des tournesols tournés vers l'amérique, ils répliquent sans cesse depuis l'après guerre l...

à écrit le 19/03/2021 à 15:48
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Franchement avec la clientèle de gogos mal dans leur peau qu'ils ont ils peuvent tout faire, et c'est pas moi qui le dit c'est leurs publicités "ben tu peux avoir confiance en toi tu as une vw !", ils auront toujours cette base de fidèles. Donc i...

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