Plus qu'une ambition... Une véritable transformation culturelle ! Elaboré par Florent Menegaux, le PDG, le plan stratégique de Michelin annoncé jeudi 8 avril veut faire sortir le groupe clermontois du tout pneu. Du jamais vu pour cette entreprise qui fête bientôt ses 132 ans. Michelin veut en effet multiplier les nouvelles activités. Si le plan se déroule comme prévu, elles devraient représenter à l'horizon 2030 30% du chiffre d'affaires du groupe, contre 5% aujourd'hui. Et ce sur un chiffre d'affaires global appelé à augmenter de 10 milliards d'euros par rapport à 2019, à 34 milliards.
Diversification à gogo
Si on connaissait les ambitions de Michelin dans l'hydrogène à travers sa joint-venture Symbio (à 50% avec Faurecia), on sait désormais que le groupe veut également commercialiser des solutions dans la production additive (imprimante 3D), le médical, mais également les matériaux composites et dans les services (maintenances, gestion de flotte, datas...). Cette diversification doit également s'intégrer dans une démarche "durable".
"Notre conviction, c'est que le Michelin de demain sera entièrement fondé sur des activités soutenables et responsables", n'a cessé de répéter, en substance, Florent Menegaux.
Neutralité carbone, utilisation de matières recyclées... Michelin veut aussi se positionner sur le thème de la transformation sociétale en allant encore plus loin dans la féminisation de l'encadrement tout en consolidant le déjà très élevé taux d'engagement des équipes pour atteindre 85%. Enfin, Florent Menegaux a promis une meilleure rémunération des investisseurs avec un taux de redistribution de dividendes de 50%.
Ce plan doit permettre de préparer le deuxième pneumaticien du monde à une concurrence asiatique renforcée (une compétition qui n'est pas toujours équitable d'après un cadre du groupe), mais aussi à un durcissement du cadre réglementaire. Avec un objectif de 5% de croissance par an, ce plan pourrait conduire le groupe français à atteindre les 34 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2030, contre 24 milliards en 2019.
Action en baisse
A l'issue de ce "Capital Market Day", le cours de Bourse de Michelin ne semble pourtant pas avoir franchement réagi aux annonces. D'ailleurs, le titre a perdu 4 euros depuis l'annonce du plan passant de 129 euros à 124 euros une semaine après, soit une baisse d'environ 5%. Pour de nombreux brokers, les annonces du plan étaient déjà intégrées dans leur prévision de croissance. Autrement dit, il n'y a eu aucune surprise dans ce qui a été divulgué. Les objectifs seraient même en ligne avec le consensus des analystes.
Pour Frédéric Rozier, gérant de portefeuille chez Mirabaud, le titre est pourtant sous-coté. "Michelin se paye actuellement 12 fois ses bénéfices. Il y a un débat, mais comparé à son principal concurrent Bridgestone, le titre n'est pas très cher surtout compte tenu du potentiel de croissance et du taux de redistribution de dividendes".
Oddo relève son objectif de 10 euros
Oddo lui emboîte le pas en relevant son objectif de cours de 10 euros, à 150 euros. Dans une note relevée par Cercle Finance, le broker estime que les objectifs sont trop prudents et parle d'un "plancher". D'ailleurs, Oddo a du mal à cacher son optimisme en estimant que "le meilleur reste à venir". De l'autre côté du spectre, Invest Securities a, au contraire, abaissé son objectif de cours de 126 à 118 euros. D'après le broker, l'objectif d'un EBITDA à 17% est décevant, comparé au record atteint en 2012 et qui était de 26%. En outre, les objectifs post-2023 (Michelin estime qu'il reviendra à son niveau d'avant-crise à cet horizon-là) sont jugés "assez flous".
Pour Frédéric Rozier de chez Mirabaud, le plan de Florent Menegaux "interroge beaucoup sur la lisibilité du profil d'une entreprise qui jusqu'ici était exclusivement portée par le marché du pneu. On a le sentiment que Michelin veut changer de nature, et on se demande pourquoi".
"Personne ne conteste qu'il y a des connexions transverses dans les développements R&D menés par Michelin autour du pneu. Mais, le plan est encore trop vague sur la manière dont Michelin veut en faire des business à part entière, au point d'en tirer 30% de son chiffre d'affaires en 2030", explique-t-il.
Le pneu restera un moteur de croissance et de rentabilité
Pourtant, Florent Menegaux a indiqué que le plan de transformation n'avait pas vocation à négliger le pneu en tant que gisement de croissance et de profits. D'ailleurs, l'objectif d'une marge opérationnelle autour de 13% sera également porté par le pneu. Florent Menegaux estime qu'il y a encore du grain à moudre pour monter dans le portefeuille des clients. Il juge également que le marché chinois représente un fantastique réservoir de croissance. "Plus de 80% des chinois connaissent notre marque", rappelle une porte-parole de Michelin. Enfin, le groupe français veut consolider sa bonne position dans le marché de la voiture électrique qui nécessite des pneus spécifiques.
"Le vrai sujet stratégique c'est le marché de l'électrification et la manière dont Michelin compte se positionner, avec quelle ambition et comment il intégrera cette nouvelle chaîne de valeur", juge Frédéric Rozier. Des pneus à plus forte valeur ajoutée, donc plus rentables et surtout qui protègent contre la concurrence d'entrée de gamme. Florent Menegaux a estimé que ce marché représentera la moitié du marché des voitures neuves en 2030.
La décarbonation valorisée en Bourse
Mais d'après l'analyste de Mirabaud, le volet environnemental du plan de Florent Menegaux est également fortement "bankable" en Bourse :
"Les marchés ont fortement apprécié le tournant ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance, Ndlr) du plan stratégique Michelin. Et pour le coup, les leviers sont plutôt ambitieux. Cela positionne Michelin sur une thématique très valorisée sur les marchés qui cherchent de plus en plus à décarboner leur portefeuille tout en restant dans le secteur automobile".
A court terme, Michelin continue de conserver ses principaux points de force pour affronter les vents contraires post-crise notamment sur les tensions sur les approvisionnements. "Michelin est probablement la valeur du secteur auto la moins exposée à la crise des semi-conducteurs, car Michelin n'est pas qu'un équipementier de première monte. En outre, il garde un puissant "pricing power" qui lui permet d'absorber facilement la hausse des matières premières", explique Frédéric Rozier.
Même les tensions sur le fret maritime qui a contraint Michelin à mettre en place un pont aérien coûteux pour réapprovisionner ses usines en latex, n'inquiètent pas la direction qui estime être capable d'absorber le choc. Il faudra que Michelin démontre qu'il pourra être aussi résilient en 2030 avec de nouveaux métiers, qu'il l'est aujourd'hui dans un seul qu'il maîtrise depuis plus d'un siècle.
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