Mobilité : Comment le "Mobility as a Service" va s'imposer en France

L’ouverture des données est un acquis de la loi d’orientation des mobilités. Reste à définir des règles concernant leurs contrôle, propriété et gestion.
Nabil Bourassi
(Crédits : DR)

C'est encore peu visible, mais la guerre de la mobilité est enclenchée ! Elle oppose l'ancien monde des opérateurs historiques aux startups de la mobilité, aussi appelées mobitechs. Et ces dernières viennent de remporter une première bataille, plutôt décisive pour la suite, celle de l'open data, étape obligée avant l'ère du MaaS, en anglais, Mobility as a service. C'est la nouvelle loi d'orientation des mobilités (LOM) portée par Elisabeth Borne, la ministre de la Transition écologique et solidaire, qui a consacré cette nouvelle donne. L'enjeu n'est pas mince : il s'agit de définir une doctrine sur le contrôle, la propriété et la gestion des données liées aux mobilités. Elles sont diverses et variées. Certaines appartiennent à la puissance publique (stationnement, parkings, voies réservées...), d'autres à des opérateurs publics ou privés (géo-localisation, trafic et flux passager, horaires de passages...), ou encore à des intermédiaires (données clients, abonnements, habitudes de transports...).

Jusqu'ici rien de révolutionnaire. Ces données valent de l'or et tous les acteurs ont leur propre dessein. On distingue toutefois deux camps. Le premier, c'est celui des opérateurs qui veulent jalousement préserver leurs données qu'ils estiment être leur matière première, leur avantage comparatif, le fondement même de leur modèle économique. L'autre camp est plus féroce, c'est celui qui veut contraindre les opérateurs à les leur livrer. C'est pourquoi les collectivités locales se sont alliées pour la circonstance aux agrégateurs de services de mobilité.

L'ère qui s'ouvre est celle de l'intermodalité, voire de la multimodalité. Le MaaS, la mobilité comme service, est un concept où les mobilités sont fournies par un écosystème de services, mettant au rebut la voiture en tant qu'objet privé et individuel de transport. Là aussi, on connaît... Les Velib', Autolib' existent ou ont existé depuis vingt ou dix ans maintenant. La vraie révolution, c'est un changement de paradigme majeur sur la configuration de cet écosystème composé de services jusqu'ici clairsemés et parfois même antagonistes. L'ère qui s'ouvre est celle de l'intermodalité, ou plus, de la multimodalité. Pour aller d'un point A à un point B, je vais utiliser un vélo, puis un bus, puis une trottinette. Pour y parvenir, il y a deux solutions. Soit je dispose d'un abonnement aux trois différents services, avec toutes les complexités que cela implique. Soit je dispose d'une même application qui m'offre une expérience utilisateur fluide et pratique et me permet d'accomplir ce trajet aisément. C'est cela la révolution du MaaS : une expérience utilisateur simple, pratique et pertinente.

Mais alors, pourquoi est-ce si complexe et pourquoi cela déchaîne-t-il les passions ? Pour les collectivités locales, le MaaS c'est l'avenir. Ses promesses dépassent tout ce qu'elles avaient pu imaginer jusqu'ici. L'intermodalité comme la plurimodalité apportent des solutions de mobilité pertinentes dans des zones enclavées. Elles répondent à des problématiques dites du dernier kilomètre, et améliorent la capillarité des solutions de transport sans solliciter les deniers publics. Même subventionnées, les solutions de mobilités alternatives sont infiniment moins onéreuses que la mise en place de transports en commun à l'efficacité moindre.

Les opérateurs ont peur des plateformes

Mais les opérateurs sont incapables de mettre en place un tel système puisqu'ils n'ont pas tous les services disponibles : métro, bus, vélo, scooters, trottinettes... Et d'autres qu'on ne connaît peut-être pas encore. Alors, il faut des plateformes qui centralisent tous ces services et les proposent aux utilisateurs. D'où la nécessité de l'open data ! Il y a encore un an, les opérateurs étaient vent debout contre l'ouverture des données... Ils craignaient de perdre le lien direct avec leurs clients en les confiant à une plateforme. Pire même, devenir des marques blanches qui se contenteraient d'opérer des services pour le compte de ces agrégateurs, devenus les vraies marques de mobilité et vus comme des espèces d'Amazon qui imposeraient leurs conditions de prix et de marché, à l'image de la nouvelle stratégie d'un Uber (lire page 23).

Ils perdraient ainsi leur culture de marque et se contenteraient de rationaliser les coûts. Mais depuis, ils ont accepté l'idée que le MaaS était plus qu'une innovation, une lame de fond. Dès 2017, Transdev décide d'investir dans ce domaine en participant à un nouveau tour de table de la plateforme Whim, la mobitech finlandaise qui fait beaucoup parler d'elle. Elle a mis en place une des plateformes d'agrégation les plus poussées au monde, puisqu'à travers un seul abonnement, cette application propose l'ensemble des services de mobilité disponibles dans toute la ville. Fort de cette expertise, Transdev tente de reproduire le modèle dans l'agglomération de Mulhouse, en partenariat avec la communauté d'agglomération.

Plus tardif, mais autant ambitieux : la SNCF a opéré un virage similaire en juin dernier en lançant l'assistant SNCF. Il s'agit là encore d'une application qui agrège divers services. D'ailleurs, cette initiative coïncide avec le désengagement de l'entreprise de plusieurs filiales de mobilité : cession de IDVroom à Klaxit, cession de Ouibus à BlaBlaCar... À la RATP, la bascule sur le MaaS a été plus longue... Pourtant investi dans des mobitechs comme CityScoot ou Klaxit, le groupe public a longtemps défendu la propriété exclusive des données. De guerre las, elle a fini par lancer une « expérimentation » en partenariat avec Ile-de-France Mobilités en... octobre 2019, rebaptisée MaaX (Mobility as an experience).

Agréger un maximum d'usager

Pour les opérateurs, il est impératif de rattraper le retard ! Car l'avantage compétitif en matière de MaaS consiste davantage en maîtrise de la gestion de données (algorithmes, intelligence artificielle...) qu'au contrôle d'infrastructures. Les Gafa sont souvent montrés comme des épouvantails. « Ils ont une capacité à casser les prix que ne peuvent pas supporter les petites startups ni les opérateurs... », arguent certains opérateurs. Et ce sera une bataille sans pitié car le MaaS consiste à agréger un maximum d'usagers. Autrement dit, à la fin, il n'en restera qu'un, la plupart du temps.

Mais chez Deloitte, on a calculé que le MaaS ne prend de sens que dans des agglomérations très denses de plus de 3.000 habitants au kilomètre carré et congestionnées, soit six ou sept villes en Europe. Pour Guillaume Crunelle, associé chez Deloitte, « il y a un vrai sujet de légitimité entre les Gafa, les constructeurs automobiles et les opérateurs ». Pour autant, le sujet reste ouvert. Le PDG de Transdev, Thierry Mallet, lui, est plus optimiste. Il juge que les jeux ne sont pas faits au profit des Gafa. Selon lui, la collectivité locale sera garante de l'intérêt général puisqu'elle endossera le rôle de régulateur. Et en la matière, il estime que les opérateurs ont une expertise historique en matière de relations avec les collectivités locales. Le jeu reste ouvert...

Nabil Bourassi

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Commentaires 2
à écrit le 28/11/2019 à 9:58
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En principe que tant de gens s'intéresse a vos informations devrait normalement questionner chacun d'entre nous, je l'espère. Le fait de ne pas avoir le choix d'un point de vue administratif a présent, sécurise donc les obligations ou certitudes d...

le 29/11/2019 à 7:27
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Le citoyen a toujours le choix, celui de ne jamais donner suite par principe à une offre commerciale ciblée par mail, par téléphone, par courrier...

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