Economie circulaire : la gestion des déchets du bâtiment vire à l'usine-à-gaz

La responsabilité élargie des producteurs (REP) dédiée aux produits et aux matériaux de construction du bâtiment (PMCB) s'appliquera le 1er janvier 2023. L'objectif est double : réduire les dépôts sauvages et développer le recyclage, le réemploi et la réutilisation. Sauf que rien n'a été contractualisé avec les déchetteries, alertent la Confédération de l'artisanat et des PME du bâtiment (CAPEB) et la Fédération française du bâtiment (FFB). Si Saint-Gobain, Colas ou Tarkett prennent les devants, d'autres s'interrogent: « Y-a-t-il une vraie volonté politique de faire passer cette loi ? ». Décryptage.
César Armand
« 90% des métaux et 50% du bois sont recyclés, contre moins de 20% pour le plastique et le plâtre, et même moins 5% pour le verre », a illustré, le 30 novembre, le président de la Commission des filières REP, Jacques Vernier, auditionné par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.
« 90% des métaux et 50% du bois sont recyclés, contre moins de 20% pour le plastique et le plâtre, et même moins 5% pour le verre », a illustré, le 30 novembre, le président de la Commission des filières REP, Jacques Vernier, auditionné par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. (Crédits : iStock)

Avec 42 millions de tonnes de déchets chaque année, les professionnels du bâtiment produisent autant de déchets que les ménages. Une situation qui n'est pas nouvelle mais à laquelle le gouvernement veut mettre fin. Après l'échec de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 qui fixait comme objectif de valoriser 70% des déchets du secteur en 2020, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire de 2020 a créé une nouvelle responsabilité élargie des producteurs (REP) dédiée aux produits et aux matériaux de construction du bâtiment (PMCB) applicable au 1er janvier 2023.

L'objectif est double : réduire les dépôts sauvages par la reprise sans frais des déchets, la densification du maillage des points de collecte et l'amélioration de la traçabilité, mais aussi prévenir la saturation des décharges en développant le recyclage, le réemploi et la réutilisation. Par exemple, une porte recyclée peut devenir du bois de chauffe, une porte réemployée peut rester une porte et une porte peut être réutilisée en table.

Moins de 5% du verre est recyclé

Sur le papier, c'est simple : les « metteurs sur le marché », c'est-à-dire les fabricants, les importateurs et les distributeurs de produits et de matériaux de construction (PMCB), vont déléguer, en échange d'une éco-contribution financière, cette double obligation à des éco-organismes. Quatre d'entre eux ont déjà été agréés par la Commission des filières de responsabilité élargie des producteurs (REP) : Ecomaison (ex-Ecomobilier), Ecominéro, Valdelia et Valobat.

A eux donc de collecter et de favoriser l'économie circulaire des déchets inertes - pierre, terre, granulats, béton... 75% du volume - et non-inertes - laine de roche, laine de verre, verre, bois, plâtre, peintures... 23% -. Tout comme les éco-organismes devront prendre les 2% de déchets dangereux, tel l'amiante.

« 90% des métaux et 50% du bois sont recyclés, contre moins de 20% pour le plastique et le plâtre, et même moins de 5% pour le verre », a illustré, le 30 novembre, le président de la Commission des filières REP, Jacques Vernier, auditionné par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.

L'alerte de la CAPEB et de la FFB sur les déchetteries

Reçu au même moment par les parlementaires de la Chambre haute, le président du conseil des professions de la Fédération française du bâtiment (FFB), Franck Perraud, a, lui, fait part de plusieurs « inquiétudes ». « La responsabilité élargie des producteurs (REP) va démarrer, mais rien n'a été contractualisé avec les déchetteries », a-t-il, notamment, pointé.

« Personne ne sait à quelle sauce il va être mangé le 1er janvier », abonde auprès de La Tribune un gestionnaire de déchets.
« Tous les opérateurs sont inquiets du mode de fonctionnement et se disent que les débuts vont être chaotiques. Les éco-organismes, qui ont retenu une logique d'acheteurs, retiendront 1 à 3 prestataires par département, sauf qu'un centre de tri, ce sont des investissements: des sites, des bennes et des camions. Que vont devenir les autres ? », 
s'interroge cette même source qui préfère rester anonyme.
« Avant même que les éco-organismes ne soient agréés, je leur ai dit qu'une logique d'agrément visant à maximiser le maillage du territoire serait préférable et je n'ai clairement pas été entendu. La logique d'appel d'offres de certains sera destructrice de valeurs: on risque d'aller à l'inverse de ce qu'on cherchait au départ. C'est bizarre », enchaîne-t-elle.

Il ne croit pas si bien dire. Par la voix du président de leur confédération (CAPEB), les artisans et les PME pointent « un maillage territorial des points de collecte inadapté à leurs besoins » « Nos entreprises vont donc payer pour un service dont elles ne pourront pas bénéficier du fait de la non-opérationnalité du dispositif au 1er janvier 2023 », s'agace Jean-Christophe Repon. Aussi le patron de la CAPEB exhorte-t-il les « pouvoirs publics » pour pouvoir s'appuyer, « dès l'entrée en vigueur du dispositif », sur un maillage respectant 10 kilomètres maximum - 20 en zone rurale - entre la zone de production des déchets (chantier ou entreprise) et un point de collecte.

Saint-Gobain, Colas et Tarkett prennent les devants sur la REP

Les associés des éco-organismes prennent donc les devants sur la REP. « Avant même d'être l'un des partenaires agréés de Valobat, nous avons investi dans la startup Tri'n'collect qui dépose 6 à 8 « big bag » au pied des chantiers et trie, sur site, le PVC (PolyChlorure de Vinyle, Ndlr), les plaques de plâtre et les isolants...», témoigne Benoit Bazin, le DG de Saint-Gobain.

Même Colas, la filiale de travaux publics de Bouygues spécialisée dans la construction et l'entretien de routes et de rails, compte déjà 160 plateformes d'accueil et de recyclage de matériaux qui accueillent aussi les déchets du bâtiment. Ces derniers sont recueillis dans les sept bennes spécialisées - papier/carton, métal, plastique, verre, bois, fractions minérales et plâtre - avant qu'ils soient recyclés sur place ou évacués dans les filières spécialisées. A cela s'ajoutent 12 plateformes qui récupèrent les déchets des professionnels non-triés. Dans les deux cas, l'argument environnemental est mis en avant par les dirigeants.

« Même si tout cela ne sera pas parfait au 2 janvier, nous avons toujours été favorables à la REP, considérant que c'est une démarche saine pour la préservation des ressources naturelles », affirme le patron de Saint-Gobain.
« Nous sommes un gros carrier en France, mais il est de plus en plus compliqué d'obtenir des autorisations d'exploitation de sites. Les granulats recyclés permettent de préserver les paysages, de réduire les transports et de baisser la consommation de fioul sur les routes », appuie Thierry Méline, président de Colas, actionnaire d'Ecominéro.

De son côté, le producteur de revêtements de sols et de surfaces sportives Tarkett, associé de Valobat, déclare utiliser, déjà, 15% de matériaux recyclés en moyenne. « Les émissions de CO2 évitées pour l'extraction et la production de matières premières équivalentes sont déjà supérieures aux émissions de CO2 de l'ensemble des sites de production du groupe », souligne sa directrice développement durable et affaires publiques en France. Et ce même si certains revêtements ne peuvent pas encore être recyclés du fait de substances qu'ils peuvent contenir. « La recherche est en cours pour trier et séparer ces substances et nous attendons le soutien des éco-organismes qui ont aussi pour mission de financer la recherche », poursuit Myriam Tryjefaczka.

« Y-a-t-il une vraie volonté politique de faire passer cette loi ? »

Il n'empêche : malgré ces bonnes volontés affichées, « il subsiste deux freins: la logique industrielle du tout-neuf qui limite encore énormément la logique de réemploi et le surcoût lié à l'absence de filières matures », relève David Habrias, directeur général et fondateur de Kardham, groupe spécialisé dans l'immobilier d'entreprise. Autre limite exprimée par le président du Cycle Up, une plateforme numérique de réemploi des matériaux pour la construction et l'immobilier : le manque d'efficacité des responsabilités élargies des producteurs précédents.

« En étant taquin, la REP n'a pas fait ses preuves pour les emballages en trente ans, sachant qu'on en trouve encore dans les forêts et les océans. Si on n'y arrive pas pour une bouteille de quelques grammes, peut-on y arriver comme ça pour les déchets du BTP ? », se demande Sébastien Duprat, qui plaide pour une TVA environnementale réduite pour les produits réemployés.

Habitués à jouer le rôle de prescripteurs, Gabriel Franc et Yann Daoudlarian, du groupe Franc Architectures, s'étonnent, eux, que la REP parte du fabricant et qu'il n'y ait pas par exemple l'obligation de pourcentage de matériaux recyclés.

« C'aurait peut-être été plus simple de partir de l'architecte et de remonter la chaîne de valeur. Y-a-t-il une vraie volonté politique de faire passer cette loi ? », persiflent-ils.

Récupérer les faux planchers, les faux plafonds ou encore les sangles

D'autant que dans l'immobilier, les parties prenantes n'ont pas attendu l'Etat pour agir. Dès septembre 2020, des investisseurs, des maîtres d'ouvrage et des utilisateurs ont lancé une initiative baptisée » Booster du réemploi ». Deux ans plus tard, l'écosystème revendique quinze des vingt « plus importants promoteurs de France », quarante autres acteurs engagés - du courtier en assurance au bureau d'étude - et près de 200 projets ayant intégré des matériaux de réemploi. Au menu : des faux planchers, des luminaires ou encore des sanitaires qui ont déjà des cahiers de charge standardisés permettant de les intégrer dans des marchés de travaux.

« Le réemploi est noble et essentiel, mais c'est très dur. Le vintage, ça marche dans le secteur de l'habillement, ça doit fonctionner dans le bâtiment. Il suffit de s'organiser ! », acquiesce le directeur général de NGE Bâtiment.
« Récupérer les faux planchers et les faux plafonds ou encore les sangles de nos big bag à usage unique pour les transformer en ceinture de sécurité pour nos engins, il faut imaginer de nombreux partenariats inter-industries comme avec Valeo, Veolia etc... », embraye Alain Tayar.

Dans le même esprit, il mène une réflexion en amont sur la logistique et la fabrication hors-site, c'est-à-dire en dehors du chantier. Quelle que soit la nature de son opération, la filiale du groupe de travaux publics éponyme achemine le nécessaire en relation avec le planning du chantier. « Rien qu'en prédécoupant sur mesure et en usine les plaques de plâtre à mettre en œuvre, vous évitez le gaspillage de matière sachant qu'en moyenne, pour la pose de cloisons, 15% des plaques de plâtre sont jetées », affirme encore le patron de NGE Bâtiment.

Seulement 59% des déchets valorisés en 2019

Les travaux publics (TP) sont d'ailleurs également concernés par cette REP Bâtiment. « Il y a un casse-tête à démontrer l'usage, c'est-à-dire que tel ou tel matériau relève du bâtiment ou des travaux publics. C'est un jeu un peu compliqué à mettre en place même si les organismes nous promettent de la traçabilité », juge, auprès de La Tribune, la Fédération nationale des travaux publics. « Si les granulats recyclés sont utilisés sur le terrain d'un bâtiment (par exemple en parking ou en voirie), ils seront grevés d'une éco-contribution. Cela ne fait pas beaucoup de sens, sachant que la REP est censée favoriser l'économie circulaire », martèle-t-on encore. « Même recyclé, un granulat reste un matériau remis sur le marché et dont il faut provisionner la dépense quand il sera déconstruit », nuance Bruno Huvelin, directeur matériaux France de Colas.

Une responsabilité élargie des producteurs dédiée aux TP n'est pas encore à l'ordre du jour, sachant, toutes sources confondues, que la filière valorise déjà 70 à 90% de ses déchets. A l'inverse, le bâtiment, en 2019, n'en avait valorisé que 59%.

« L'Etat pourrait reprendre la main pendant une période transitoire »

3 QUESTIONS À François-Michel Lambert, fondateur de l'Institut nationale de l'économie circulaire, député écologiste de 2012 à 2022 et président du cabinet de conseil Soroa.

Comment expliquez-vous que la responsabilité élargie des producteurs pour les produits et matériaux de construction du bâtiment (REP PCMB) vire à l'usine-à-gaz ?

La REP PMCB vient traiter la filière la plus lourde - au sens littéral des tonnages produits - et la plus hétérogène. Dans un bâtiment, vous rencontrez presque tout ce que peut produire la technologie humaine, du béton à l'électronique, de matériaux complexes à la simple poutre en bois de chêne. C'est une économie du business-to-business soumise aux exigences du citoyen qui, lui, n'a aucune responsabilité directe. C'est le contraire de quasiment toutes les autres REP dans lesquelles le citoyen est la pierre angulaire du geste final, dans la poubelle jaune, dans la remise du produit dans des centres agréés... Et en plus ici, les entreprises responsables peuvent être très petites, dispersées, moins aguerries aux exigences règlementaires de ce type, d'autant que la filière du bâtiment n'est pas celle de l'agro-industrie, ou de produits de grande consommation.


Que préconisez-vous ?

Lors des débats dans la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC), nous avions été nombreux à alerter sur le particularisme de la filière et la difficile adéquation d'une solution REP aux PMCB. D'autres alternatives auraient pu être développées comme celles d'obligations liées à la préservation des ressources. De même que le calcul du poids carbone aurait pu être imposé sur le taux de matières réemployées et recyclées, le taux de matières préservées, voire même des taux d'efficience d'usage de la matière. Ceci étant, la REP est actée, maintenant il faut aller de l'avant. Force est de constater que malgré une mobilisation remarquable des représentations professionnelles et des expertises organisationnelles - plusieurs éco-organismes du mobilier ont étendu leur offre d'expertise sur la REP PMCB -, le gouvernement a dû retarder d'une année la mise en place pour tenir compte des difficultés, et encore retarder de 4 mois pour les PME (-250 salariés et 4 millions d'euros de CA) jusqu'à fin avril 2023.


C'est trop tard ?

Une simple annonce à la suite des Assises du BTP a permis cette dérogation aux PME jusqu'à fin avril 2023, sans base juridique. Ainsi la PME est-elle considérée sur son chiffre d'affaires global ou seulement sur le chiffre d'affaires soumis à la REP ? Il y a donc une distorsion de concurrence avec les grands groupes qui, eux, seront soumis à cotisation dès janvier 2023... A cela s'ajoutent les moyens mis en œuvre pour assurer le respect de la loi qui priorise la hiérarchie suivante :  prévention, réemploi, réutilisation à défaut le recyclage et en tout dernier recours l'enfouissement. ? Quid, enfin, du lien avec le monde des prescripteurs qui imposent des choix qui peuvent être contraires à l'objectif de la REP, que ce soient les acheteurs publics, les grands comptes, les architectes, les citoyens ... ? Peut-être que l'Etat pourrait reprendre la main pendant une période transitoire, notamment sur l'éco-organisme coordinateur des quatre éco-organismes agréés, pour permettre d'ajuster au plus vite et au mieux la mise en œuvre effective de la REP la plus compliquée que l'on n'ait jamais lancée.

César Armand

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Commentaire 1
à écrit le 06/12/2022 à 9:17
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l'Union des Republiques Socialistes Francaises ( URSF) dans toute sa splendeur.......de la bonne simplification a la francaise ' sans aucune consequence'....... tiens ca rappelle hollande avec son ministre de la simplification qui a oblige les boites...

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