Immobilier : « Les bâtiments à venir auront un caractère évolutif et réversible » (Olivier Sichel)

Olivier Sichel en est convaincu : les solutions sont dans les territoires et la proximité. Construire autrement, « reconstruire de la ville sur la ville », en préservant les sols, au cœur de l’innovation et du collectif, voilà les ambitions premières du directeur général délégué de la Caisse des Dépôts. Explications. (Cet article est issu de T La Revue n°11 - « Habitat : Sommes-nous prêts à (dé)construire ? », actuellement en kiosque).
Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des Dépôts et directeur général de la Banque des Territoires
Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des Dépôts et directeur général de la Banque des Territoires (Crédits : DR)

Dans une période où la préservation des sols est devenue une priorité, où l'injonction de ne plus construire s'immisce de plus en plus dans l'air du temps, comment peut-on envisager l'avenir de l'habitat ?

OIVIER SICHEL- L'habitat va évoluer, c'est certain. Aujourd'hui, les maires sont écartelés entre la demande de logements en constante augmentation et l'objectif « zéro artificialisation » pour préserver les sols. L'habitat de demain est entièrement dépendant de cette situation conflictuelle. Il est évident qu'il existera beaucoup plus de réticences à artificialiser les sols, à prendre des terrains sur l'agriculture, sur la forêt. Et si malgré tout, un maire prend ce type de décision, il devra faire face à une opposition extrêmement forte. En fait, une grande pression sur les logements est en train de se dessiner, d'autant plus que la population française ne cesse de croître. Il suffit de lire les rapports de la fondation Abbé Pierre pour se rendre à l'évidence : la France a besoin de logements. De fait, il va falloir construire autrement.

Comment construit-on autrement aujourd'hui ? Comment construit-on sans artificialiser les sols ?

O.S. Les solutions se trouvent dans les territoires. Dans la proximité. L'habitat reste une compétence municipale, il en revient donc aux maires d'être innovants pour répondre aux aspirations des habitants. Et quand les maires commencent à être innovants, on redécouvre qu'il y a des espaces pour construire de l'habitat.

C'est-à-dire ?

O.S. À regarder de plus près certaines villes, en prenant le temps de l'observer dans le détail, se dévoilent des espaces disponibles pour l'habitat. Ce sont des friches, des terrains vagues qui n'ont pas été occupés depuis longtemps ; des zones commerciales qui ne se portent pas bien du fait du développement du e-commerce, des zones qui sont déjà artificialisées, qui sont déjà raccordées à la voirie et qui vont pouvoir être repeuplées. Bien sûr, il va falloir adapter ces zones. Certaines friches vont devoir être dépolluées et cela ne concerne pas seulement d'anciens sites industriels. Nous commençons à avoir des demandes de dépollution pour des zones où se tenaient des garages. Parfois, il faut abattre des logements insalubres pour reconstruire. Les cas de figure sont nombreux dans cette réappropriation des espaces. C'est ce qu'on appelle la reconstruction de la ville sur la ville. Ce qui implique beaucoup de créativité et d'innovation. À la Banque des Territoires, nous sommes au cœur de cette ingénierie pour faire le diagnostic des sols, dépolluer, racheter du foncier... Ce sont des tendances qui sont en train de structurer l'habitat à venir.

Ces tendances concernent-elles uniquement les petites et moyennes villes ?

O.S. Non pas uniquement. À Paris par exemple, autour de la récente station de RER Rosa Parks dans le XIXe arrondissement, un nouveau quartier s'est développé sur un ancien entrepôt, l'un des plus grands entrepôts logistiques de la capitale. Sa structure a été conservée et nous avons demandé à de grands architectes comme Christian de Portzamparc de la réhabiliter en logements. Le résultat donne un complexe très intéressant qui comprend des logements sociaux, des logements intermédiaires et libres, des magasins, des restaurants... Tout cela bâti sur un quartier qui était une friche logistique abandonnée.

En réhabilitant, transforme-t-on la façon d'habiter les lieux ? Que pouvez-vous nous dire de l'hybridation de l'habitat ?

O.S. C'est l'une des grandes tendances à venir. Les tiers lieux se développent de plus en plus. Les lieux hybrides où habitat et coworking cohabitent sont en train de s'implanter dans beaucoup de villes. Nous avons réalisé un très beau projet à Marseille : The Babel Community, qui se trouve dans l'une des rues principales de la ville. Avant sa transformation, le lieu était occupé par des magasins au rez-de-chaussée et totalement vide au-dessus. Ce qui était scandaleux. Nous y avons implanté un système de coliving-coworking, destiné le plus souvent à des gens qui sont en mission pour quelques mois à Marseille. Certaines personnes font des audits qui peuvent durer entre quelques semaines à plusieurs mois, d'autres, comme des ingénieurs, sont amenés à travailler sur des projets qui peuvent durer 6 mois. Eh bien, ces personnes-là ont de moins en moins envie de loger dans des hôtels, mais ont-elles pour autant le budget nécessaire à la location d'un logement temporaire ? C'est rarement le cas. The Babel Community propose des logements aménagés en plein centre-ville avec des espaces de coworking, à deux pas du port. Étant donné le développement du travail nomade, nous allons développer cette configuration d'habitation. En fait, dans une vision globale de l'habitat, je suis convaincu que les nouveaux bâtiments que nous allons construire auront un caractère évolutif et réversible dans lequel le tertiaire pourrait évoluer en logement et vice versa.

Cette configuration n'est pas sans évoquer une nouvelle façon du vivre-ensemble. L'habitat partagé est en train d'émerger de façon significative. Est-ce un épiphénomène ou bien ce type d'habitat continuera-t-il à se développer selon vous ?

O.S. C'est une tendance de fond qui s'accompagne par un grand bouleversement sociétal : le vieillissement indubitable de la population. Or, le maintien à domicile des personnes âgées est un enjeu réel, la question étant : comment adapter le logement des séniors en situation de dépendance ?

Il est nécessaire de rappeler, et cela bien avant les récents scandales, que les séniors ne se réjouissent pas d'aller en Ehpad. Ils préfèrent vivre chez eux bien sûr, et cela implique d'adapter leur logement avec des douches à l'italienne, des monte-escaliers, des baignoires à portes et de modifier les espaces pour faire place aux fauteuils roulants. À partir de là, se dessine un nouveau type d'habitat inclusif et intergénérationnel. Sur ce point, nous proposons des solutions intermédiaires à taille humaine comme le projet Âges & Vie que nous développons avec Korian : ce sont des maisons situées en milieu rural, dans des petites villes, comme celle de Plainfaing dans les Vosges, et dans lesquelles sont logés 6 à 7 séniors qui ont besoin d'une assistance médicale limitée ; ils habitent le rez-de-chaussée tandis que les aides-soignants vivent à l'étage avec leur famille. Il s'agit vraiment d'une maison collective.

Ce qui n'est pas sans rappeler le développement de la cohabitation et de la colocation...

O.S. Absolument. Je suis très étonné de cette tendance chez les jeunes actifs dans l'habitat métropolitain. La colocation a pris un envol incroyable et pas seulement pour des raisons économiques. Ces jeunes actifs qui ont entre 22 et 29 ans, sont des diplômés universitaires et de grandes écoles, ils commencent tout juste à travailler et n'ont pas du tout le fantasme de la maison individuelle avec jardin et piscine. Ils ont plutôt envie d'une prolongation de la vie étudiante, de garder un environnement sympa entre gens du même âge dans un appartement spacieux.

Pour autant, les études démontrent qu'une grande majorité des Français plébiscitent la maison individuelle avec jardin...

O.S. Pour une certaine catégorie, sans doute. Mais pour les maires, que je rencontre souvent, le projet n'est pas l'extension de la ville sous forme de lotissements. Non, le projet c'est plutôt de régénérer le cœur de ville, de lui redonner de la vie. De rendre attractif le centre-ville dans lequel l'habitat est en majorité collectif.

Réhabiliter va bien souvent de pair avec innover et faire en sorte que l'habitat ne soit plus une « passoire thermique ». Vous avez d'ailleurs été missionné par l'État en 2021 pour écrire un rapport sur la réhabilitation énergétique des logements privés. Que proposiez-vous ?

O.S. En France, il existe à peu près 5 millions de « passoires thermiques ». D'où la nécessité de penser l'habitat autrement. Mais ce n'est pas si simple pour les particuliers. Cela peut même devenir très compliqué. Prenons l'exemple d'une personne qui, dans le cadre de MaPrimeRénov', envisage de changer sa chaudière ; elle fait appel à un chauffagiste qui lui conseille de passer à une chaudière au gaz. Afin de comparer les offres, elle fait appel à un second qui lui propose une pompe à chaleur. Dès lors, le doute s'installe. Et puis, un de ses amis lui affirme que le problème ne vient pas de la chaudière mais de l'isolation. À ce moment tout se complique. Ce sont des situations courantes au quotidien. Pour y remédier, ma recommandation était de mettre en place un véritable service public de l'accompagnement à la rénovation ce que j'avais appelé Mon Accompagnateur Rénov'. Un expert qui soit à même de vous présenter les bonnes solutions, de vous accompagner pour les devis et dans les travaux et de s'assurer que vous avez la bonne économie d'énergie en fin de parcours.

Vous étiez récemment en déplacement aux Antilles. Comment se dessine l'avenir de l'habitat sur le territoire d'outre-mer ?

O.S. Il se dessine dans un cri d'alerte à l'horizon 2030, celui de la relocalisation des habitations qui sont sur la côte, ce qui constitue une grande majorité de l'habitat dans cette région. Aujourd'hui, nous devons faire face au problème de retrait de la côte. À cause du changement climatique, on assiste à des phénomènes d'érosion, parfois des falaises s'effondrent, des endroits sont submergés. Comment dit-on à une personne « Votre maison est dangereuse. Si vous restez là, votre maison va s'effondrer » ? Ce sont des situations tragiques, nous avons la responsabilité de les gérer et de reloger les personnes concernées. Cette vision de l'habitat va en réalité concerner tout l'habitat côtier à l'horizon 2030, métropole comprise, de Dunkerque à Nice en passant par Biarritz.

Difficile de garder un cap optimiste avec un tel cri d'alerte...

O.S. C'est effectivement une réalité que l'on ne peut pas éviter. Mais encore une fois, ma conviction est que les solutions sont dans les territoires. Parce que les maires sont proches du terrain et qu'ils connaissent leur ville, et que de fait ils sont à même de trouver des solutions, je reste assez confiant en l'avenir.

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Commentaires 2
à écrit le 16/10/2022 à 17:01
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Derrières ces amas de progressisme et de bien-pensance dégoulinante, on devine bien que la vie quotidienne des habitants de ces projets architecturaux s'annonce très sombre.

à écrit le 15/10/2022 à 18:38
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entre la theorie et la realite, ya un monde, et le vrai monde c'est que quand on reconstruit on a 50% de logements sociaux, c'est a dire que les cons qui peuvent payer offrent un logement qu'ils ne peuvent pas se payer a des gens qui vont leur pourri...

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