Immobilier : "Les élus locaux ont le vrai pouvoir d'infléchir les prix"

Chaque année précédant les élections municipales, les maires, à quelques exceptions près, cessent de délivrer des permis de construire. Pourtant, la demande ne faiblit pas. Au milieu du gué, les professionnels tentent de résoudre cette équation insoluble. Entretien avec la présidente de la fédération des promoteurs immobiliers (FPI) Alexandra François-Cuxac.
César Armand
La présidente de la fédération des promoteurs immobiliers (FPI), Alexandra François-Cuxac.
La présidente de la fédération des promoteurs immobiliers (FPI), Alexandra François-Cuxac. (Crédits : Anna Camerac/Markimage)

LA TRIBUNE - Dans quel état d'esprit sont les promoteurs à six mois des élections municipales ?
ALEXANDRA FRANCOIS-CUXAC - Les débats sur la politique du logement reviennent sans cesse sur deux sujets : le nombre de logements à construire et la dépense budgétaire qui en résulte. En cette rentrée, l'attention se focalise sur la baisse de la construction et des ventes d'un côté, et sur l'avenir du PTZ et du Pinel de l'autre. Ce sont évidemment des sujets clés : en dix-huit mois, les permis de construire fléchissent de 500.000 par an à 440.000, et les mises en vente près de logements sont inférieures de plus de 15 % par rapport à l'an passé.

Lire aussi : BTP: les permis de construire rechutent, les promoteurs en difficulté

Clairement, la construction ralentit, et les perspectives ne sont pas bonnes, dans un contexte pré-municipales qui n'est jamais porteur. Ce double prisme « volumes » et « coûts », toutefois, nous prive des réflexions dont nous avons réellement besoin : que construire, à quel prix et où ? Remettons donc un peu de « qualitatif » et de hauteur de vue dans nos débats trop « quantitatifs ».

Nos concitoyens aspirent à une accélération de la transition écologique. Or, le bâtiment est le deuxième plus gros émetteur derrière les transports. Que faire pour changer la donne ?

Le grand défi que nous devons relever, c'est effectivement le changement climatique et l'objectif d'une France neutre en carbone en 2050. Le bâtiment, qui représente 26% des émissions de GES, doit faire sa mue et les professionnels s'y emploient déjà. Le débat se concentre aujourd'hui sur la rénovation du parc existant et sur la future réglementation environnementale des bâtiments neufs. Mais ne nous trompons pas de perspective : le vrai défi n'est pas le bâtiment « bas carbone », techniquement faisable et politiquement consensuel, mais la ville « bas carbone », qui soulève des questions de société beaucoup plus complexes.

Faut-il densifier encore nos métropoles ou parier sur des pôles urbains d'équilibre dans un réseau de villes moyennes revivifié ? Faut-il construire du neuf, émetteur de GES, mais recyclable en fin de vie, ou miser sur la rénovation du parc, plus coûteuse, mais neutre en termes d'artificialisation des sols ? Quelles mobilités faut-il intégrer dans le parc neuf : individuelles avec des bornes de recharge électrique, ou collectives donc sans parking ? À quelle échelle faut-il organiser la production d'énergie renouvelable ou l'agriculture urbaine : l'immeuble, pour responsabiliser les occupants, ou le quartier, pour être collectivement efficaces ? Autant de questions de fond qui, aujourd'hui, ne sont pas suffisamment débattues.

Après des mois où les "gilets jaunes" se sont retrouvés sur les ronds-points, simplement parfois pour créer du lien social, comment adresser des solutions pour tous les publics ?

Au-delà de ces questions de fond, nous n'avons pas non plus ouvert l'autre débat critique : pour qui construisons-nous ? Les Français vieillissent, divorcent, recomposent des familles : les logements devront s'adapter à la diversité des besoins en fonction des âges de la vie ; les jeunes voudront trouver chez eux la même digitalisation que celle qui marque déjà leurs études et leur travail, il leur faudra alors des logements connectés ; l'esprit coopératif et de partage accompagne la prise de conscience environnementale : il faudra sans doute plus d'espaces communs et d'occasions de partage dans les copropriétés. Autant de facteurs de transformation profonde de notre habitat.

Ainsi se dessine un futur aussi exigeant que stimulant pour les promoteurs, qui plus que beaucoup d'autres professions devront réinventer leurs pratiques et leurs produits. Avec cette entêtante nécessité qu'oublient beaucoup de ceux qui rêvent la ville de demain : la rendre plus inclusive et moins gentrifiée, accessible à tous les niveaux de revenus. Mission difficile, quand tout concourt de fait à la hausse des prix.

Les professionnels détiennent une partie de la réponse, via l'innovation dans un secteur de la construction qui, en termes d'industrialisation, vient loin derrière l'aéronautique ou à l'automobile ; mais ce sont les élus locaux qui ont le vrai pouvoir d'infléchir les prix : en libérant du foncier et de la constructibilité, en proportionnant mieux leurs prescriptions techniques sur le bâti neuf ou en modérant leurs exigences sur la part de logement social dans les programmes privés. Ce devrait être un des sujets majeurs de la campagne des élections municipales de 2020, qui mériterait de dépasser les clivages politiques.

César Armand

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Commentaires 16
à écrit le 12/09/2019 à 14:51
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"plus d'espaces communs": quand on voit le comportement hélas généralisé vis-à-vis de tout ce qui n'appartient pas en propre à l'individu (velib, autolib, ..), on peut se poser la question de la réalité de ce genre de perspective !

le 12/09/2019 à 21:14
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"Commun" a deux sens possible = ouvert à tout public dans ce cadre vous avez raison, mais dans l'idée de l'article, c'est plutôt accessible aux membres d'un réseau, ici, l'immeuble et non le quartier ou encore moins la commune. A partir du moment où...

le 13/09/2019 à 10:12
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@ Harpagon: je pensais ben effectivement à l'immeuble. Mais là aussi hélas, les dérives existent. Certaines AG de copro sont édifiantes à ce sujet

à écrit le 12/09/2019 à 13:55
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Lisant beaucoup de PLU je suis en effet surpris de voir combien ils sont peu imaginatifs. On lit des tartines sur les haies et les clôtures, mais quasiment rien sur les réseaux de chaleur. Par exemple, la possibilité de faire cohabiter ceux qui produ...

le 12/09/2019 à 21:17
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Peu armés et trop flemmards pour être imaginatifs ou coercitifs, parce que réfléchir, c'est tout de même à la portée de beaucoup quand ils l'ont décidé. Vous verrez que dans les dix prochaines années, tout d'un coup, nous allons assister à de gros ch...

le 13/09/2019 à 11:50
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Correct, et que dire de l'absence de solaire thermique pour chauffer l'eau voire les bâtiments. Je trouve dommage de s'affranchir de cette énergie gratos et abondante (entre 600 et 800W/m2 de panneau).

à écrit le 12/09/2019 à 11:35
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la France construit plus de 400 000 logements par an (pour 260 000 nouveaux ménages). autour de 260 000 au UK (220 000 en Angleterre) et 285 000 en Allemagne. Deloitte Property Index 2019 : la France a effectivement de loin le 1er taux de constructi...

à écrit le 12/09/2019 à 11:28
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La cherté de l'immobilier fait fuir l'industrie (même celle de pointe) de tout l'occident. J'ai eu l'occasion de discuter avec le dirigeant d'un grand groupe informatique français qui m'a parlé de l'ouverture de leur plus gros centre R&D, ou 1000 ing...

le 12/09/2019 à 12:19
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il faut arrêter le pipeau, l'ami. Paris était en 2018 la 1ère métropole mondiale pour l'accueil des investissements de R&D (KPMG Global Cities Investment Monitor 2019), devant Singapour et Bangalore. la France était de loin en tête en Europe, en 2018...

le 12/09/2019 à 14:21
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En Roumanie on ouvre des centres R&D beaucoup plus gros qu'en France. Pendant que Thales delocalise 1000 emplois d'ingénieur R&D en Roumanie, en France Huawei a crée 5 instituts de recherche qui emploient à peine 80 ingénieurs. On crée en France des ...

le 12/09/2019 à 14:26
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Par rapport à l'état providence en Roumanie, il y a même du mieux par rapport à la France : - durée du congé de maternité : 2 ans, indemnisé à 90% du salaire, quel que soit le salaire - les crèches sont gratuites et il ne manque pas de places

le 12/09/2019 à 21:27
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Ne comparez pas un pays dans la situation de la France après guerre, c'est-à-dire en pleine construction, avec un pays développé avec un parc immobilier important et un niveau de vie tel que de nombreuses personnes font la fine bouche pour accepter d...

à écrit le 12/09/2019 à 11:00
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Ce qui ne progresse pas en France c'est la rénovation de bâtiments et il faut une fiscalité plus incitative dans ce sens. Le données plus recentes le confirment. On pourrait remettre des centaines de milliers de batiments sur le marché avec la rénov...

à écrit le 12/09/2019 à 10:38
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Certes les Maires possèdent toujours beaucoup de pouvoirs mais celui-ci s'émousse lorsqu'il n'est pas ou mal utilisé.. Devant la complexité réelle du monde des affaires ils perdent pieds. Une solution serait, je le pense, qu'ils se limitent à faire a...

à écrit le 12/09/2019 à 9:07
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"mais ce sont les élus locaux qui ont le vrai pouvoir d'infléchir les prix : en libérant du foncier et de la constructibilité" Fausse bonne idée puisque "libérer le foncier" c'est l'offrir aux spéculateurs et donc l'enfermer mais à double tour ce...

le 12/09/2019 à 10:54
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Exact, d'autant que le foncier a déjà été libéré ce qui nous offre le spectacle peu glorieux de ces entrées de communes enlaidies par les grandes enseignes tandis que les cœurs de villes se meurent, sans parler de ces nombreuses zones rendues constru...

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