Anticancéreux : le dosage, une stratégie lucrative des labos

Le dosage unique par patient de l'anticancéreux Keytruda, validé par la FDA, pourrait coûter près de 1 milliard de dollars supplémentaire par an au système de santé américain, selon une étude. Un système avantageux pour le laboratoire qui, lui, dit lutter contre les gaspillages induit par des doses personnalisées.
Jean-Yves Paillé
Le Keytruda pourrait rapporter 6 milliards de dollars à Merck & Co en 2018, selon certains analystes.

C'est une décision anodine en apparence. Le laboratoire MSD (Merck & Co) a opté pour des doses uniques de 200 mg par patient toutes les trois semaines pour son Keytruda (pembrolizumab) une immunothérapie destinée aux personnes atteintes d'un cancer du poumon dit "non à petites cellules". Ce choix a été validé en mai par la FDA, l'Agence américaine des médicaments. Les études cliniques estiment qu'une dose unique est aussi efficace qu'une dose personnalisée (2 mg par kilo), rappelle une publication récente du Journal of the National Cancer Institute. Mais le coût n'est pas le même,selon le dosage. La publication scientifique, qui s'est intéressée au poids moyen des personnes malades du cancer et pouvant être traitées avec le Keytruda, conclut qu'une dose fixe devrait entraîner une dépense de 3,44 milliards de dollars par an, contre 2,6 milliards de dollars pour une dose personnalisée. Un patient de 75 kg, par exemple, n'aurait besoin que de 150 mg de Keytruda.

L'anticancéreux de MSD n'est pas le seul à être passé d'une dose personnalisée à une dose fixe aux Etats-Unis. La FDA avait validé une modification de ce type l'année dernière pour l'Opdivo (nivolumab), un traitement du laboratoire BMS, et concurrent du Keytruda utilisé contre les mélanomes avancés, les cancers du poumon notamment. Les injections de l'Opdivo de 3mg/kg se sont transformées en dose fixe de 240 mg par patient, et ce toutes les deux semaines.

Un gaspillage conséquent avec les doses personnalisées

Pourquoi passer à une dose fixe ? La FDA argue que cela facilite le travail du professionnel de santé, lui évite des inquiétudes autour de la bonne dose. Cela réduit également les gaspillages, assure l'Agence. Ce dernier argument est repris allègrement par Merck & Co, qui assure, en plus, donner de la visibilité aux organismes payeurs par ce système.

Il faut dire qu'aux Etats-Unis, le gaspillage dans l'utilisation de traitements contre le cancer grimperait à 3 milliards de dollars par an, selon une étude du British Medical Journal (BMJ) dévoilée en 2016.

Le BMJ confirme que ces pertes sont liées aux traitements selon le poids du patient... mais également au format des flacons. Ces derniers, à l'instar du Keytruda et de l'Opdivo contiennent 100 mg de produit thérapeutique le plus souvent. En clair, les dosent ne correspondent pas au poids précis des patients, des flacons étaient entamés puis jetés, car une fois ouvert, le produit doit être administré au bout de six heures. Le BMJ rapporte que certains médecins réduisent ces pertes en administrant le produit restant à d'autres patients, lorsque cela est possible. Pour le Keytruda, le BMJ chiffrait le gaspillage annuel à 198 millions d'euros par an pour le seul traitement du mélanome avec des doses personnalisées.

La solution pour diminuer les coûts pour les organismes payeurs pourrait être une contenance plus faible pour chaque flacon, et une injection personnalisée. En France, ce dosage au poids est de rigueur pour les patients touchés par un mélanome avancé, et les flacons de MSD contiennent 50 mg de Keytruda.

Jean-Yves Paillé

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