Quelle est réellement l'efficacité sanitaire de la France ? Hier encore les Français se vantaient d'avoir le meilleur système de santé au monde. Désormais, ils doutent et s'inquiètent. Aux pénuries de médicaments, de masques et autres équipements de protection sont venus s'ajouter les craintes des hospitaliers sur la réduction des capacités de leurs établissements. Ni le Haut Conseil de la santé publique ni Santé publique France n'ont alerté suffisamment tôt sur les risques de pandémie alors que notre pays n'était pas prêt à y faire face.
Dès l'apparition des premiers clusters, le manque de tests n'a pas permis de lutter contre les chaînes de contamination tandis que les services de réanimation menaçaient de se retrouver saturés, faute de lits et de respirateurs en nombre suffisant.
Pire, pendant le confinement, ordres et contrordres - comme sur l'utilité du masque - se sont multipliés, tout comme les révélations sur les bugs provoqués par la gestion bureaucratique de la santé publique et la fragilisation, voire le démantèlement, de notre industrie médicale, « déconfinée » en Chine. Dès lors, comment rendre à la France son indépendance industrielle et la doter des capacités pour lui permettre d'affronter de nouvelles catastrophes sanitaires qui, de l'avis des experts, ne manqueront pas de survenir ?
Le coût de la main-d'œuvre pèse lourdement
Dans une situation de crise, il faut distinguer trois types de produits stratégiques : le petit équipement de sécurité à usage unique, le matériel médical et les produits pharmaceutiques.
Pour les équipements de sécurité, il va être difficile de relocaliser la production en France. Une des dernières usines de masques du groupe américain Honeywell à Plaintel (Côtes-d'Armor) a été délocalisée en Tunisie. Dans cette industrie, le coût de la main-d'oeuvre pèse lourd. Serions-nous prêts à payer un masque français plus cher ? L'expérience du masque en tissu ne rend pas optimiste. En pleine pénurie, l'État a incité les entreprises du textile à en fabriquer et mobilisé 300 façonniers.
Mais aujourd'hui, les commandes baissent et des millions de masques leur restent sur les bras. L'État préfère en acheter 10 millions au Vietnam, moins chers... Dans le domaine du matériel médical lourd, comme les respirateurs, la dépendance aux fournisseurs extérieurs est aussi très forte. Comment en relocaliser la production ?
« Avec la Compagnie générale de radiologie, nous avions un champion en imagerie médicale, explique Gérard de Pouvourville, professeur en économie de la santé à l'Essec Business School. Mais Thomson l'a cédée à General Electric en 1987. Depuis, la France dépend entièrement des fabricants allemands et américains, mais aussi des Japonais et des Coréens grâce à leur avance dans l'électronique médicale. Recréer un tissu industriel nécessiterait de très gros investissements. »
Pas impossible, mais très coûteux.
Quant aux médicaments, c'est simple : comme toute l'Europe, nous dépendons de 60 à 80% des importations. Longtemps à la première place des pays européens pour la production pharmaceutique, la France a chuté à la quatrième place derrière le RoyaumeUni, l'Allemagne et l'Irlande. Un recul dû aux dysfonctionnements des politiques de santé.
« Alors que cette politique impose près de 1 milliard d'euros d'économie chaque année sur le prix des médicaments, sa part dans les dépenses de santé a chuté de 15% il y a dix ans à 12% aujourd'hui, précise Philippe Lamoureux, directeur général du Leem (Les Entreprises du médicament), le syndicat de l'industrie pharmaceutique. Le chiffre d'affaires du secteur n'a pas évolué depuis 2009 ! »
Conséquence : notre appareil de production a vieilli, même si Sanofi a annoncé qu'il allait investir plus d'un demi-milliard d'euros pour créer en France un nouveau site flexible et digitalisé. Si l'on compte encore 271 sites de fabrication dans l'Hexagone, seuls 32 travaillent avec des biotechnologies, essentiellement pour produire des vaccins. Les autres lignes sont souvent spécialisées en médicaments chimiques dits « matures », concurrencés par les génériques. Pour les anticorps monoclonaux et les médicaments innovants produits par biotechnologie, la France a été dépassée par l'Allemagne et la Suisse.
Stocker ou relocaliser ?
Selon Leem, il n'y aura pas de retour en arrière sur la mondialisation de la production. Avec plus de 1.200 médicaments d'importance stratégique, aucun pays ne pourrait produire tout ce dont il a besoin. Selon ces industriels, aller vers l'indépendance revient à mettre sur le tapis l'attractivité de la France et des marges industrielles. Une attractivité qui souffre de la régulation des prix et des délais administratifs, mais aussi d'une concurrence européenne avec des pays qui savent, eux, « chouchouter » leur industrie comme l'Allemagne, ou jouer du dumping fiscal comme l'Irlande.
« Janssen fait partie des laboratoires qui considèrent que plusieurs promesses du Conseil stratégique des industries de santé n'ont pas été suivies d'effet, regrette Emmanuelle Quilès, présidente de Janssen France. Avant la crise, le pays semblait davantage préoccupé par les économies à court terme que par l'innovation et l'accès aux médicaments. Cela n'encourage pas les labos étrangers à implanter leurs outils de recherche et de production sur le sol français. »
En dépit du crédit impôt recherche. Pour se relancer dans la course, il est donc urgent de repenser notre système de santé et la politique du médicament.
Mais plus globalement, que ce soit le petit équipement de sécurité à usage unique, le matériel médical ou les médicaments, faut-il stocker plutôt que relocaliser ? La réponse n'est pas simple. Car, outre les problèmes de coûts ou de péremption, les médicaments nécessaires changent radicalement selon la menace sanitaire. Difficile de savoir le ou lesquels privilégier. Qui aurait imaginé que nos services de réanimation allaient manquer de molécules de sédation comme le curare car la demande était 20 à 50 fois supérieure à la moyenne ?
Certes, les phénomènes de pénurie ne sont pas nouveaux en France et les laboratoires ont heureusement commencé à y réfléchir.
« La crise a accéléré encore leur réflexion sur les chaînes d'approvisionnement depuis les matières premières jusqu'à la commercialisation, observe Patrick Biecheler, associé chargé de la santé globale chez Roland Berger. Pour les produits stratégiques, il est essentiel d'analyser la chaîne de bout en bout pour identifier les zones de fragilité, car la relocalisation de leur production prendrait des années. »
Au final, la question de l'indépendance sanitaire, priorité du nouveau cap fixé par Emmanuel Macron, aura tout intérêt à se penser à l'échelle européenne pour pouvoir peser, mais aussi améliorer et simplifier les conditions de production des médicaments, en encourageant notamment le développement de sites de biotechnologies. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale nous dira cet automne quelles leçons les pouvoirs publics ont tirées de la première crise du COVID-19.
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TROIS CHIFFRES CLÉS :
- 85 traitements sur les 91 nouvellement autorisés en France en 2019 sont produits à l'étranger.
- 32 SITES et 8.500 emplois sont dédiés en France à la production de médicaments innovants, principalement dans le domaine des vaccins.
- 50% des postes de travail du secteur de la pharmacie en France concernent la production de traitements « matures » concurrencés par les génériques.
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