Décarbonation : l'industrie chimique dévoile sa feuille de route

C’est le premier secteur à s'y atteler, dans le cadre de la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) : l'industrie chimique a dévoilé, dans une feuille de route de décarbonation, les grandes lignes des futures étapes de sa stratégie pour réduire d’au moins 26% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 2015. Elle s’appuie sur la mobilisation de leviers déjà matures, mais aussi des technologies de rupture comme l’hydrogène ou le stockage de CO2.
Marine Godelier
La Programmation Pluriannuelle de l'Energie, adoptée en avril 2020, avait fixé comme objectif de parvenir à 20 à 40% d'hydrogène « propre » dans les consommations industrielles de l'Hexagone d'ici à 2029, c'est-à-dire obtenu par électrolyse de l'eau.
La Programmation Pluriannuelle de l'Energie, adoptée en avril 2020, avait fixé comme objectif de parvenir à 20 à 40% d'hydrogène « propre » dans les consommations industrielles de l'Hexagone d'ici à 2029, c'est-à-dire obtenu par électrolyse de l'eau. (Crédits : LT)

Réduire de 26% les émissions de gaz à effet de serre en 2030, par rapport au niveau de 2015. C'est l'objectif que s'est fixé la filière Chimie française, dont Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l'Industrie, a dévoilé vendredi les grandes lignes pour y parvenir. « [S]a décarbonation est un enjeu fondamental pour assurer l'avenir de cette filière essentielle à notre résilience et à notre autonomie stratégique », a-t-elle déclaré à à Grenoble, lors d'une visite placée sous le signe de la reconquête industrielle.

C'est ainsi le premier secteur à esquisser une feuille de route - avant celle de l'acier, de l'aluminium ou du ciment -, dans le cadre de la Stratégie Nationale Bas-Carbone du gouvernement, publiée fin 2015, qui consiste à diminuer de 35% les émissions de l'industrie d'ici à 2030 afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050.

Concrètement, pour s'y atteler, la chimie mise sur l'amélioration de son efficacité énergétique, de sa production de chaleur bas carbone, ou encore sur l'abattement des émissions de protoxyde d'azote ou d'hydroflorycarbures (HFC), des gaz fluorés utilisés dans les secteurs du froid et de la climatisation, les mousses d'isolation, les aérosols et l'équipement d'extinction d'incendie.

Lire aussi : En Isère, Agnès Pannier-Runacher veut mêler reconquête et stratégie bas carbone

25% des émissions de l'industrie

Car si la filière a déjà réduit ses émissions de 63% depuis 1990, elle représente encore 20 millions de tonnes de CO2 (MtCO2) émises en 2018, soit 25% de celles de l'industrie manufacturière. Les principaux responsables sont le vapocraquage (27% des émissions de la filière), un procédé qui consiste à chauffer diverses charges issues de la distillation du pétrole afin d'obtenir différents composés (éthylène, propylène, etc), ainsi que les produits azotés et engrais (14%). Pour le reste, les émissions sont très fragmentées, entre polymères, carbonates, produits chlorés ou encore noir de carbone.

« 55% de ces émissions de GES sont liées à la combustion de produits énergétiques fossiles pour la production de chaleur, nécessaire aux procédés industriels. 45% sont liées à émissions de procédés (réactions chimiques autres que combustion et torchage gaz sur les installations chimiques notamment) », précise le rapport.

Les progrès s'accélèrent, souligne la feuille de route : depuis le lancement du plan de relance en septembre 2020, six projets ont déjà été soutenus dans le cadre des appels à projet décarbonation de l'industrie de l'Ademe, « ce qui a permis d'assurer une réduction des émissions annuelles de gaz à effet de serre de plus de 200 ktCO2eq ».

Se protéger des fuites de carbone

Mais l'Etat et la filière doivent se saisir « encore plus » des moyens disponibles, en s'appuyant sur des leviers matures. Par exemple, en encourageant l'électrification, grâce au maintien d'une fiscalité énergétique qui lui est favorable, et par l'établissement d'un « cadre réglementaire pertinent permettant la conclusion de contrats d'approvisionnement électrique ». Ou encore, en valorisant la chaleur bas carbone issue de la biomasse ou des combustibles solides de récupération.

Et à cet égard, agir au niveau européen est primordial : le rapport appelle à « défendre des mécanismes efficaces de protection contre les fuites de carbone », c'est-à-dire l'augmentation des émissions dans les pays à la réglementation climatique plus souple, du fait de la délocalisation d'activités pour y échapper. Cet instrument - que la France défend depuis plus de dix ans - est actuellement en cours de discussion à Bruxelles.

D'autant que les importations peuvent aussi poser problème : dans le cas des gaz fluorés (HFC), les émissions françaises sont en partie liées à des importations illégales, « difficiles à chiffrer », note la feuille de route. Alors qu'un règlement européen vise le développement de nouveaux fluides frigorigènes pour les remplacer, celles-ci pourraient bien mettre à mal l'objectif de décarbonation.

Technologies de rupture

Le rapport ouvre également la voie à l'utilisation de leviers non matures, pour « une décarbonation plus profonde à l'horizon 2030 », afin d'affiner l'évaluation du potentiel des technologies de rupture. Electrification des procédés, recyclage chimique des plastiques ou chimie du végétal : grâce à ces nouvelles méthodes, la réduction des émissions de gaz à effet de serre entre 2015 et 2030 pourrait atteindre non pas 26%, mais entre 30 et 36%, estime la feuille de route.

« Le but est de déployer un projet pilote de rupture dans chacun des grands domaines d'activité de la chimie (éthylène, ammoniac, recyclage chimique...) », peut-on lire.

Et surtout l'hydrogène bas carbone, sur laquelle la France mise beaucoup. « Il a été identifié comme une matière première et un vecteur énergétique majeur qui contribuera à la transition énergétique dans les secteurs du transport et de l'industrie », affirme le rapport. Essentiellement utilisé comme matière première pour la désulfuration des carburants, la production d'ammoniac, sa production par les entreprises de chimie françaises représente cependant environ 2,7M TCO2eq/an des émissions de gaz à effet de serre.

20 à 40% d'hydrogène bas carbone en 2029

Car il est aujourd'hui obtenu à l'aide d'un procédé polluant : le vaporeformage du gaz naturel, un combustible fossile essentiellement composé de méthane, 25 fois plus puissant que le CO2 en potentiel de réchauffement global. Aujourd'hui privilégiée par les industriels, cette méthode est moins chère que l'électrolyse, qui, en décomposant l'eau en dioxygène et dihydrogène gazeux grâce à un courant électrique, émet peu de CO2 - à condition bien sûr que l'électricité soit elle-même décarbonée.

Pour s'y attaquer, la Programmation Pluriannuelle de l'Energie, adoptée en avril 2020, avait fixé comme objectif de parvenir à 20 à 40% d'hydrogène « propre » dans les consommations industrielles de l'Hexagone d'ici à 2029. Un scénario qui permettrait d'éviter l'émission de 540.000 à plus d'1 million de tonnes d'équivalent CO2, avance la feuille de route. Et nécessite, par conséquent, de « mettre un place un soutien pour permettre l'approvisionnement en électricité décarbonée et compétitive à long terme », soulignent les auteurs.

Stocker le carbone dans des sites industriels

Autre piste explorée, qui concentre beaucoup d'espoirs : la capture et le stockage de CO2, afin d'éviter qu'il ne soit relâché dans l'atmosphère. « Selon le GIEC, les trajectoires de décarbonation compatibles avec la stabilisation à 1,5°C des températures nécessiteront de faire appel à cette technologie », note la feuille de route. En France, la zone portuaire du Val de Seine, entre le Havre et Rouen, qui rassemble de nombreux sites industriels intensifs en énergie et représente 6 millions d'équivalent CO2 par an, pourrait voir ses émissions réduire de 2 millions avec la mise en œuvre « progressive et linéaire » de la capture et du stockage du CO2, estiment les auteurs. Le tout, pour un coût estimé à 75 millions d'euros par an.

Lire aussi : Captage du CO2 : Le Havre met les gaz!

Mais un rapport de synthèse de l'Ademe publié en mars n'envisage pas le déploiement d'une telle technologie avant 2035. La feuille de route appelle néanmoins la filière à « étudier la viabilité de tels projets pour les activités chimie », et souligne la possibilité de lancer un projet pilote sur un site industriel français.

Celle-ci a vocation à être complétée dans l'année, de manière à approfondir le déploiement de ces technologies de rupture, mais aussi pour élargir la stratégie au secteur du Papier-Carton. Dans les prochaines semaines, ce sont les secteurs du ciment, de l'acier et de l'aluminium qui devraient emboîter le pas à la chimie, et poser à leur tour les jalons de leur décarbonation.

Marine Godelier

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