Le nouvel essor de la chimie du végétal

Soutenue par les pouvoirs publics, la chimie bio-sourcée tente de s'imposer comme alternative au recours aux matières fossiles. Mais elle doit encore prouver sa compétitivité et mesurer ses avantages "verts".
Giulietta Gamberini
L'identification des besoins et l'innovation sont la clé de voûte: "Afin d'accroître la rentabilité de nos molécules, nous essayons de garantir l'apport de plusieurs fonctionnalités à la fois", explique le directeur de la société de recherche Ifmas.

Aujourd'hui, sa présence est encore discrète : en 2012, la chimie du végétal était à l'origine de 23.000 emplois directs en France selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, contre environ 160.000 pour l'industrie chimique dans son ensemble. Mais sa place semble destinée à quasiment doubler, dépassant les 42.000 emplois directs, toujours selon les calculs de l'Ademe. La branche la plus ancienne de la chimie, reposant sur l'utilisation de ressources végétales plutôt que fossiles, et qui sera la protagoniste d'un sommet dédié du 25 au 27 avril à Lille, revient doucement sur le devant de la scène ces dernières années.

En raison de son moindre impact sur les ressources non renouvelables, mais aussi des nouveaux débouchés qu'elle dessine pour l'agriculture française, le gouvernement français lui a en effet réservé une place de choix dans sa stratégie de croissance verte, notamment dans le cadre des plans de La nouvelle France industrielle, puis de la "stratégie nationale de mobilisation de la biomasse" et de la "stratégie nationale bioéconomie" (dont la chimie verte est une composante). Des contraintes réglementaires croissantes encouragent en même temps la demande de produits issus de la chimie du végétal : la loi de transition énergétique à elle seule contient trois dispositions incitant à l'utilisation de matières biosourcées.

"A l'aube d'un bouleversement des processus industriels"

Dans cette foulée est ainsi par exemple née en 2012 Ifmas, société de recherche en chimie du végétal à actionnariat mixte public-privé, qui dans le cadre du Programme d'investissements d'avenir (PIA) a été dotée de 30,6 millions d'euros de subvention publique jusqu'en 2019. Les premiers produits mis au point fin 2016 par ses quelque 40 salariés et 150 chercheurs, des agents de séchage des peintures sans métaux lourds et des résines entièrement biosourcées (qui pourraient par exemple remplacer les micro-billes en plastique contenues dans les cosmétiques), visent justement à répondre aux demandes d'un marché de plus en plus exigeant en matière d'impact environnemental, en particulier dans les secteurs de la construction, de l'automobile, de la cosmétique, de la détergence et l'emballage. "Nous sommes à l'aube d'un bouleversement des processus industriels", estime son directeur général François Ténégal.

Dans le cadre d'une Europe plutôt à l'avant-garde (avec les Etats-Uni) en matière de chimie du végétal, la France a d'ailleurs de bonnes cartes à jouer dans ce secteur : première productrice agricole, elle compte aussi la deuxième industrie chimique du Vieux Continent, souligne le président de l'Association de la chimie du végétal (ACDV) François Monnet. Les principaux actionnaires privés d'Ifmas (le groupe Roquette, qui possède dans le Pas-de-Calais la plus grosse bio-raffinerie d'Europe, et la fabricant de peintures Mäder) ont par ailleurs commencé leurs recherches dans ce domaine bien avant la mise en commun de leurs moyens, témoigne François Ténégal.

Un secteur à forte valeur ajoutée

Pour vraiment s'affirmer, la chimie du végétal a toutefois encore quelques freins à vaincre. Dans un contexte de baisse des prix des matières fossiles, le premier est sans doute celui de la compétitivité de ses produits par rapport à ceux pétro-sourcés. "L'approche marché est au centre du salon de Lille car sans cela la filière ne décollera pas", convient Antoine Peters, responsable partenariats et relations extérieures du Pôle de la bioéconomie IAR.

Face à cet obstacle, l'identification des besoins et l'innovation sont la clé de voûte : "Afin d'accroître la rentabilité de nos molécules, nous essayons de garantir l'apport de plusieurs fonctionnalités à la fois", explique le directeur d'Ifmas, dont les nouveaux siccatifs assurent aussi un séchage plus rapide et une meilleure couleur des peintures qui les intègrent. Mais le caractère incontournable de l'innovation pour ce secteur est aussi ce qui lui confère sa forte valeur ajoutée, "de l'ordre de 400.000 euro de chiffre d'affaires par emploi - l'un des ratios les plus élevés pour les filières de la bioéconomie", souligne l'ACDV.

Les bio-déchets, l'avenir ?

L'autre difficulté consiste dans la mesure de l'avantage environnemental de la chimie du végétal par rapport à celle fossile, indispensable afin de la légitimercomme véritable alternative "verte". Ainsi, l'ACDV a élaboré un outil d'analyse de cycle de vie des produits issus de cette industrie, dont l'utilisation est toutefois réservée aux producteurs confrontés au choix entre molécules d'origine végétale ou pétro-sourcées. Le secteur réfléchit également à comment garantir une meilleure traçabilité des matières premières utilisées puisque, bien que l'ACDV affiche sa "volonté de valoriser les acteurs français et de contribuer à la création d'emplois locaux", le choix des végétaux dépend surtout des applications et se fait donc sur le marché global.

Dans une logique d'optimisation des ressources locales, la valorisation du gisement des bio-déchets des collectivités voire des agro-industriels est d'ailleurs l'une des principales pistes de recherche actuelles de la chimie du végétal, témoigne François Ténégal. A la différence des bio-carburants, la chimie bio-sourcée demande en effet une quantité assez réduite de matière première, souligne François Monnet: "Les miettes du repas de l'énergéticien sont un festin pour le chimiste", résume-t-il.

Giulietta Gamberini

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